FÉMINISME - Au départ, il y avait Fiona Schmidt, journaliste dans la presse féminine (et parfois contributrice sur Le HuffPost) désireuse de ne pas avoir d’enfant. À ce projet qui dérange encore tant en 2020, cette “moutonne noire de la maternité” voulait consacrer un livre.
Et puis, au fil de ses réflexions, le sujet du livre s’est étoffé. Car la pression que lui renvoyait le reste du monde, les femmes qui avaient des enfants la ressentaient tout autant. Tous les membres de notre société étaient en fait à divers degrés concernés.
Cette pression généralisée autour de la maternité, Fiona Schmidt l’a appelée la charge maternelle. Pour mieux en cerner les contours, tant cette charge lui semblait omniprésente, elle a décidé en avril 2019 d’ouvrir un compte Instagram pour récolter des témoignages, @bordel.de.mères. Des milliers de témoignages de femmes francophones lui sont ainsi parvenus.
Nourrie de ces histoires et de nombreuses lectures autour de la sociologie, de la psychologie et du féminisme, elle en a tiré un essai, “Lâchez-nous l’utérus”, pour montrer combien cette charge pèse sur nos épaules et sur notre vie. Entretien.
Comment définissez-vous la charge maternelle?
Il s’agit de la somme des préjugés intégrés dès l’enfance qui présentent la maternité désirée, radieuse et bienveillante comme la norme, une part non négociable de l’identité féminine et le seul projet de vie qui vaille.
La charge maternelle pèse indifféremment sur les femmes qui ne veulent pas d’enfant, sur celles qui ne savent pas si elles en veulent, sur celles qui ne peuvent pas en avoir ainsi que sur les mères débordées, déprimées, indifférentes, absentes ou qui ne font pas tourner toute leur vie autour d’eux, ces mères indignes qui servent toujours d’épouvantails plantés dans le champ ensoleillé d’une maternité facile et sereine.
Avec ce livre, je n’ai pas voulu parler de ce qui divise les femmes, mais de ce qui les rassemble. Plus exactement, j’ai souhaité que leurs différences puissent enfin les rassembler.
Qu’ont en commun tous les témoignages que vous avez reçus et continuez de recevoir? Que révèlent-ils de notre société?
Il y a au moins trois points communs très symboliques entre tous ces témoignages qui sont pourtant très différents: la gratitude, le soulagement et le fait de s’excuser. Les personnes qui m’écrivent commencent dans 90% des cas par me remercier, elles se disent très heureuses d’avoir un espace pour parler de ce dont elles ne peuvent pas partager avec leur entourage. Elles sont soulagées de ne plus être seules. Puis elles s’excusent. Elles s’excusent d’un message trop long, d’être peut-être hors sujet, de livrer un témoignage qu’elles jugent “pas intéressant”. Ces points communs sont très révélateurs de la condition féminine aujourd’hui.
On a besoin de parler et, en même temps, ce n’est pas une habitude. On ne se sent pas légitime pour le faire. Tout ce qui a trait à la charge maternelle, on a longtemps considéré qu’il ne s’agissait pas d’un problème. J’ai ressenti l’isolement de ces femmes, quelles que soient leur histoire et leur envie de parler. Cette prise de parole, c’est déjà une façon de changer les choses.
Face à cet isolement, à la solitude, à cette charge maternelle, ce que vous proposez en conclusion de votre livre, c’est la sororité pour toutes et tous.
Je lis partout que la sororité, la bienveillance, il y en a marre. Sororité, ce mot n’a que six mois et on considère déjà que c’est un gros mot! Personnellement, je m’en fiche qu’on utilise bienveillance et sororité à toutes les sauces. C’est comme féminisme. Plus on l’entend, plus ça va activer des neurones dans un plus grand nombre de cerveaux. Je ne dis pas qu’il faut comprendre l’autre, le cautionner. Il s’agit juste d’admettre qu’il est aussi légitime que nous sur cette Terre.
Comment la cultiver au quotidien?
La sororité repose sur deux principes: la parole et l’écoute. Il s’agit d’un échange sans jugement, juste d’un partage d’expériences. La maternité est le sujet qui nous définit socialement, nous, les femmes, qu’on veuille ou non des enfants. La maternité est le premier jalon de la féminité.
C’est un sujet identitaire pour toutes les femmes alors que la plupart des hommes commencent à penser à la paternité à l’âge adulte, quand ils sont dans une relation stable. Sur @bordel.de.meres, j’ai beaucoup d’adolescentes qui ont 14, 15 ans qui me suivent et qui, soit disent qu’elles veulent être mères, soit en ont marre d’être sans cesse ramenées à cette question. Je ne connais aucun ado garçon qui me dise “j’en ai marre d’être sans cesse ramené au fait de devenir père, de vouloir des enfants”.
Et pour autant, les hommes aussi ressentent la charge maternelle, comment se répercute-t-elle?
Les hommes qui veulent s’investir dans leur rôle de parents souffrent encore souvent du fait que les tâches de la parentalité sont encore considérées par un large pan de la population comme “un truc de gonzesse”, donc comme des tâches avilissantes, dévirilisantes.
Il y a aussi cette masculinité toxique qui traîne. Le fait de s’occuper d’un enfant quand il y a une mère dans les parages, c’est très mal considéré. On dit encore aux pères qui s’investissent qu’ils se font mener par le bout du nez, voire qu’ils sont castrés. S’investir dans son rôle de parent, faire sa part, faire la même chose que les mères, ce serait dévirilisant.
Les hommes souffrent aussi d’une autre chose, c’est la présomption d’incompétence. On a essentialisé une qualité: parce que c’est la femme cisgenre (quand le genre ressenti d’une personne correspond à son sexe biologique, NDLR) qui porte l’enfant, elle sait mieux que l’homme tout ce qui relève de l’éducation des enfants. La plupart des gens, l’entourage, le personnel administratif, le corps médical, s’adressent systématiquement à la mère même quand le père est présent dans la salle. J’ai reçu beaucoup de témoignages sur le sujet.
Quand un homme prend une initiative par rapport à son enfant, il y a beaucoup plus de chance qu’on le reprenne. Quand il habille son enfant, il y aura toujours quelque chose qui n’ira pas. On va vérifier derrière lui. On part du principe que ce n’est pas son domaine de compétences premier. Cela infantilise les hommes et cela les déresponsabilise.
Au cœur du livre, on retrouve aussi une catégorie peu étudiée par les sciences humaines, les refuzniks de la maternité, selon vos termes. Sur ces femmes qui, comme vous, ne veulent pas d’enfants, comment se matérialise la charge maternelle?
Comme beaucoup de femmes disent que leur désir d’enfant est ancré en elle, moi, mon désir de ne pas en avoir est profondément ancré en moi. La différence, c’est que moi, j’ai toujours eu à l’expliquer alors que les femmes, quand elles parlent de maternité, personne ne leur demande pourquoi elles ont voulu des enfants. On me le demande systématiquement. Je suis toujours sommée de m’expliquer car les gens considèrent que c’est contre-nature.
Ma charge maternelle c’est aussi que je suis considérée comme une outsider. Aujourd’hui, à mon âge, 38 ans, quand je rencontre de nouvelles personnes, on me demande forcément combien j’ai d’enfants. Ça a été une vraie souffrance parce que pendant longtemps je me suis considérée comme anormale. Tous les préjugés accolés suivaient: l’égoïsme, la méchanceté, le fait de ne pas aimer les enfants. Ne pas vouloir d’enfant et le dire, ça isole. C’est un problème pour les femmes comme pour les hommes. Certains considèrent ça comme un handicap, comme s’il me manquait quelque chose.
Le fait de réfléchir à des questions féministes m’a permis de prendre de la distance par rapport à ça. L’expérience Bordel de mères m’a fait prendre conscience de mes derniers préjugés à l’égard des mères. Il y a 4, 5 ans, le jour où j’ai arrêté de dire que j’assumais de ne pas vouloir d’enfant, que je trouvais que c’était une posture punk, badass, j’ai réussi à faire la paix avec ça et avec moi-même. Ça m’a permis de m’ouvrir aux autres.
Vous rendez hommage à votre mère dans le livre. Est-ce que ce cheminement, ce livre, a changé votre relation?
J’ai eu la chance d’avoir des parents, et une mère en particulier, qui n’a jamais trouvé problématique que je ne veuille pas d’enfant. Et ça, c’est déjà une révolution. C’est un sujet dont on a toujours parlé.
Ma mère est professeure d’anglais et elle m’a préparé des fiches de lecture pour certains ouvrages anglophones présents dans mon corpus. Elle est très ouverte d’esprit mais en lui faisant lire des ouvrages féministes, elle a eu des épiphanies! On a parlé de beaucoup de choses grâce à ça, autour du féminisme, de la place de la femme dans la société.
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