Cinéma maghrébin, la femme au centre de l’écran

"Adam" et "Un Divan à Tunis"  - Maryam Touzani et Manèle Labidi
"Adam" et "Un Divan à Tunis" - Maryam Touzani et Manèle Labidi
"Adam" et "Un Divan à Tunis" - Maryam Touzani et Manèle Labidi
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Elles évoquent les tabous des sociétés marocaine et tunisienne. Dans leurs films respectifs,"Adam" et "Un Divan à Tunis", les réalisatrices Maryam Touzani et Manèle Labidi mettent en scène des personnages féminins modernes, marginalisés par leur indépendance. Elles sont nos invitées aujourd’hui.

Avec

Adam (Ad Vitam) de Maryam Touzani, sorti en salles le 5 février, et Un Divan à Tunis (Diaphana Distribution) de Manèle Labidi, sorti le 12 février, sont deux premiers longs-métrages. Ils participent à un renouveau du cinéma maghrébin, porté également par des figures comme Nabil Ayouch au Maroc (dont Maryam Touzani co-scénarise les films) ou Mohammed Ben Attia en Tunisie. Ils abordent les tabous de sociétés encore aux prises avec leurs traditions.

La question qui traverse les deux longs-métrages pourrait être de savoir comment vivre le changement dans le cadre très rigide des traditions, en particulier pour les femmes d'aujourd'hui qui doivent lutter pour leur émancipation et leurs droits. D'un côté, Adam se concentre sur deux personnages de femmes et traite de front la peur du scandale pour les femmes non mariées qui se retrouvent enceintes au Maroc. De l'autre, Un Divan à Tunis, film choral, raconte l'arrivée d'une psychanalyste dans une banlieue populaire de Tunis au lendemain de la Révolution, dans une société "schizophrène" où le besoin de parler est freiné par le tabou qui entoure la psychanalyse.

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Bien sûr que c’est un acte politique ;[…] je voulais qu’à travers cette histoire on puisse soulever des questions que j’estime essentielles : sur la femme, sur les libertés individuelles […] sur la situation des mères célibataires, l’avortement, la liberté de disposer de son corps , toutes ces choses qui sont tabou. […]. Aujourd’hui, il y a une vraie énergie de la jeune génération qui […] a pris le relais, qui n’a plus envie de se laisser faire et se taire, qui défend publiquement son point de vue. […] Avant, c’étaient des luttes secrètes, tapies.          
(Maryam Touzani) 

Les deux réalisatrices défendent tout au long de leur œuvre la liberté des femmes : Maryam Touzani dit fonder son travail sur la défense des femmes, tandis que Manele Labidi a fait un court métrage, Une chambre à moi, qui s’inspirait de la vie de Virginia Woolf. Elles insistent sur la nécessité de l'entraide féminine pour faire bouger les lignes politiques :

"Adam" est un film qui met en avant des luttes féminines et l’entraide féminine ; (…) c’est aussi ça qui peut faire changer les choses, les lois. (…) Pour ça, il faut prendre consciences des luttes de chacune, des luttes individuelles.          
(Maryam Touzani)

J’avais envie de mettre en scène un personnage féminin dont les caractéristiques s’apparentent à ce qu’on voit plus souvent chez les hommes ; elle est très masculine dans son apparence, (…) elle fait le choix de vivre seul, elle fume dans la rue ce qui est un acte extrêmement politique dans ce pays ! De par ces choix elle transgresse à Tunis, elle devient sulfureuse parce qu’elle ne rentre pas dans le cadre du  mariage, du brushing, de la surféminisation qu’on impose aujourd’hui aux femmes. Sans pour autant qu’elle soit dans une provocation gratuite.          
(Manèle Labidi)

Adam comme Un Divan à Tunis sont portés par deux actrices à la carrière internationale : Golshifteh Farahani, franco-iranienne, pour Un divan à Tunis, et Lubna Azabal, belge, pour Adam.

Les films abordent également la question de la langue comme plongée dans une culture puisque Maryam Touzani, marocaine, tourne son film intégralement en marocain avec une actrice berge, Lubna Azabal, qui a dû apprendre le marocain et travailler son accent. Dans le film de Manèle Labidi, française d'origine tunisienne, français et tunisien sont mêlés dans la bouche des habitants, créant des situations comiques ou dramatiques selon les cas :

J’avais le sentiment que l’humour manquait pour parler de cette zone au Maghreb. Je voulais sortir de la surpolitisation […], avant tout, parler de trajectoires personnelles et universelles plutôt que d’avoir un discours politique militant.          
(Manèle Labidi)

C’était un travail très intéressant pour Lubna de se réapproprier la langue ; […] c’est passé très longtemps par des rencontres avec des femmes de la Medinah, à les écouter […] et aussi avec un coach pour apprendre les dialogues en arabe. […] Ça a produit quelque chose de très beau, cette réappropriation de la langue chez elle, comme une réappropriation de ses racines.

La Grande table idées
34 min

Extraits sonores :

  • Extrait du film Un divan à Tunis de Manèle Labidi
  • Bande-annonce du film Adam de Maryam Touzani
  • Interview de Nabil Ayouch au 7/9 de France Inter, 10/09/2015

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