Publicité

Safe Campus, 1er outil contre les violences sexistes dans les universités et grandes écoles

Marine Dupriez va faire souffler un vent de révolution dans les universités et les grandes écoles françaises. A 27 ans, elle a décidé de s’engager pour mettre fin aux violences sexistes et sexuelles qui peuvent régner dans les milieux étudiants, en proie au harcèlement, au slut-shaming ou encore aux agressions sexuelles.

17430_1581942061_marinevf.jpg
Safe Campus, le 1er site contre le sexisme en grandes écoles (Marine Dupriez)

Par Camélia Echchihab

Publié le 17 févr. 2020 à 13:24Mis à jour le 17 févr. 2020 à 13:31

Nous relations la complexité de ce climat, ancré depuis des décennies dans les grandes écoles de commerce en octobre dernier... Tout comme Mediapart ou encore les Inrocks, qui évoquent également l’homophobie, le racisme, l’antisémitisme. Au point que plus de 500 étudiant.es se mobilisent dans une tribune qui exhorte les administrations d’écoles à agir.

Parmi les mesures à prendre : la nécessité de former les encadrants à recevoir la parole des victimes de violences sexuelles. C’est le coeur du projet de Marine Dupriez, qui lance Safe Campus, une plateforme qui offre des solutions clés-en-main aux établissements d’enseignement supérieur. Rencontre avec cette ancienne étudiante de l’Edhec, bien déterminée à faire changer les choses.

Qu’est ce qui t’a donné envie de t’engager dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu étudiant ?

J’ai vécu des situations de sexisme en tant qu’étudiante dans une grande école de commerce. Moi-même, j’ai adhéré au climat général, j’y étais totalement intégrée. Il y avait une pression très forte pour rentrer dans une association et les étudiants de deuxième année jouaient du pouvoir que cela leur donnait sur les nouveaux. Je me souviens pendant le séminaire d’intégration des personnes étaient désignées au hasard pour monter sur scène et faire le show, le but final étant d’enlever le maximum de vêtements.

Publicité

Lors de l’année de césure, moment où l’on sort de cet univers confiné pour partir en stages, j’ai commencé à réaliser qu’il s’était passé des choses qui me mettaient profondément mal à l’aise. A l’époque, je n’avais pas les outils théoriques et pratiques pour comprendre pourquoi. C’est pour cela que je tiens tellement à la prévention : il est crucial de donner aux étudiant.es des outils pour ne plus fermer les yeux sur ce malaise que beaucoup ressentent.

Qu’est-ce qui t’a permis de prendre du recul et de déconstruire les ressorts de ce climat sexiste ?

Les violences sexistes et sexuelles existent dans tous les milieux, et c’est un tort de penser qu’elles épargnent les élites. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai fait pas mal de bénévolat dans différents milieux : j’ai travaillé dans un organisme qui promeut l’entreprenariat des femmes, fait de la sensibilisation contre les violences sexuelles dans des lycées.... Cela m’a montré qu’il suffisait de pas grand chose, en termes d’informations, pour éviter des situations de violence qui peuvent marquer à vie. Aider une victime à se dire que ce n’est pas elle, la coupable, c’est déjà énorme ! Et j’ai trouvé cela fou que personne ne s’occupe de ces problématiques dans le milieu étudiant.

Tu as donc commencé à t’engager avec l’association En Avant Toute(s) en juillet dernier, avant de lancer la plateforme Safe Campus fin 2019. En quoi consiste ton projet ?

C’est un dispositif complet que je propose aux établissements d’enseignement supérieur pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il repose sur trois axes : la sensibilisation des étudiant.es, la formation des encadrant.es et la communication sur le campus. Sur la plateforme, je mets à disposition des écoles et universités des expertes issues d’associations qui luttent contre les violences sexuelles et sexistes, comme En Avant Toute(s), Handsaway ou la structure l’Egalité à la Page, capables de répondre aux spécificités des problématiques étudiantes.

Safe Campus ne peut marcher que si chaque axe est mis en place. Si, par exemple, on fait de la sensibilisation auprès des élèves, mais qu’un.e plaignant.e s’adresse à un.e encadrant.e non formé, ou que le processus de signalement est long et lourd... Ce n’est pas cohérent.

Comment es-tu accueillie lorsque tu démarches les écoles ?

Il y a une écoute, un intérêt, mais la sensibilisation est souvent associée à quelque chose qui peut être fait par n’importe qui. Alors que pour parler de sujets aussi sensibles, il faut une expertise pour savoir accueillir la parole des victimes. Et cela n’est pas encore la priorité des écoles, notamment en termes de budgets. Par exemple, une des écoles les plus prestigieuses nous a dit être convaincue du bien fondé de la démarche mais n’a toujours pas débloqué le budget nécessaire pour démarrer…

Une école de commerce n’a rien à voir avec une faculté d’histoire... Comment peut-on s’adapter aux spécificités des différents environnements scolaires ?

Selon le type d’établissements, les problématiques varient. En fac, il y aura une grosse problématique liée à la relation entre doctorants et directeurs de thèse, au harcèlement sexuel. Le Clasches fait déjà un gros travail là-dessus. Sur les campus en vase clos, il y aura plus de soirées, d’esprits de groupe et d’intégration donc plus de violences entre étudiant.e.s.

Y’a-t-il, selon toi, une forme spécifique de sexisme dans les écoles de commerce, comme le dénoncent les nombreux papiers qui ont amené les étudiant.es à se mobiliser ?

Publicité

Je n’étais pas du tout surprise par les “révélations” de ces articles, qui ont permis aux langues de se délier. Les violences sexuelles concernent l’ensemble de la société, pas particulièrement les business schools parce qu’on y étudie les ressorts du capitalisme... Mais plutôt parce que ces écoles réunissent plusieurs critères à risques de la vie étudiante en vase clos comme la forte proximité des habitations, que ce soit dans une ville ou sur un campus. Il y a aussi le facteur sortie de classe préparatoire très intense qui joue, selon moi, un rôle : on promet à ces élèves un espace de délivrance en école. On leur répète aussi qu’ils sont dans un environnement élitiste, difficile d’accès, qui peut procurer un sentiment d’impunité.

Penses-tu que ce soit aux administrations de prendre des mesures, comme le demandent les signataires de la tribune ?

Pour le moment, il y a une prise de conscience insuffisante dans ces écoles. C’est très important de faire du punitif, d’interdire des sites, des assos, des chants sexistes... Mais il faut aussi faire de la prévention pour éviter que des violences ne se reproduisent surtout sur un lieu à risque comme les campus. Les écoles reconnaissent le danger sur la drogue et l’alcool... c’est donc bien leur responsabilité de désamorcer ce risque.

Pourquoi les établissements prennent-ils tant de temps à prendre des mesures ?

La problématique est la même dans l’ensemble de la société, qui commence à peine à évoquer ces sujets, avec la vague #MeToo. Chez les administrations, il y a une forme de peur : prendre en charge le problème, c’est reconnaître qu’il existe. C’est d’ailleurs une logique d’image qui se prolonge dans le monde de l’entreprise : il y a cette crainte d’instaurer un climat de peur et de délation à partir du moment où l’on met en place des mesures. Mais c’est faux : une étude (*) a démontré que faire de la prévention contribue à instaurer un climat bienveillant et sûr en permettant aux acteur.rices de mieux identifier les situations de harcèlement sexuel. Dans tous les cas, la priorité pour les écoles aujourd’hui devrait être le bien être de leur étudiant.e.s, pas leur image.

(*)« Identification du harcèlement sexuel et légitimité des salariés à intervenir : effets des informations délivrées et de la relation hiérarchique », R. Chakroun & N. Soudre-Lécué, Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement, 75(4), 2014, p. 382-395.

Camélia Echchihab

Publicité