L'Afrique du Sud malade de ses viols

ENGAGEMENT. Pour gagner sa guerre contre les violences sexuelles faites aux femmes, le pays doit d'abord plonger dans sa tragique histoire.

Par Marianne Severin*

Les violences sexuelles sont profondément ancrées dans la société sud-africaine depuis l'époque coloniale. Malgré les nombreuses campagnes, les autorités ont du mal à trouver des solutions concrètes. 
Les violences sexuelles sont profondément ancrées dans la société sud-africaine depuis l'époque coloniale. Malgré les nombreuses campagnes, les autorités ont du mal à trouver des solutions concrètes.  © PHILL MAGAKOE / AFP

Temps de lecture : 7 min

Le fléau de la violence contre les femmes secoue l'Afrique du Sud, où 110 viols sont recensés chaque jour et où 30 femmes ont été tuées par leur conjoint durant le seul mois d'août 2019. Pour certains experts, le taux de violence basée sur le genre peut être comparé avec celui de pays en guerre. C'est simple, le nombre de viols a augmenté de 3,9 % pour s'établir à 41 583 au cours de l'année 2019, soit le nombre le plus élevé depuis quatre ans. Durant cette même année, 2 771 femmes ont été assassinées. « L'Afrique du Sud est l'un des endroits les plus dangereux au monde pour une femme, avec un niveau de violence comparable à celui d'un pays en guerre », a reconnu récemment le président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui a annoncé un plan d'urgence pour lutter contre ce fléau.

Lire aussi Les violences faites aux femmes cause nationale en Afrique du Sud

La partie immergée de l'iceberg

Face à de tels chiffres, difficile pour le pays de Nelson Mandela de mettre en exergue un quelconque progrès lors de la journée du 8 mars. Contrairement aux précédentes journées de réflexion sur les droits des femmes, cette année, il n'a pas été question de la violence basée sur le genre dans les débats publics. Au-delà de la forte actualité liée à la pandémie de coronavirus, le malaise est fort dans la société sud-africaine alors que le président Cyril Ramaphosa a lancé –ou plus tôt il s'est engagé à s'attaquer de front à – la problématique sans que les premiers résultats soient encore visibles. Quelles sont justement ces mesures et peuvent-elles réellement répondre à un fléau qui semble relever de la culture du viol dans l'imaginaire populaire ? Et si les violences sexuelles faites aux femmes avaient quelque chose à voir avec les fantômes du passé politique de l'Afrique du Sud ?

Un passé qui a forgé la notion de la masculinité

Il faut le dire d'emblée : les violences basées sur le genre sont les conséquences d'une violence endémique qui caractérise l'Afrique du Sud depuis la période coloniale. En effet, Pumta Gqola, l'auteure de l'ouvrage intitulé Le Viol : le cauchemar sud-africain (Rape : A South African Nightmare), explique la hausse des statistiques sur les viols après 1994 par le fait que les femmes noires ont pu, elles aussi, porter plainte. Avant, le viol était non seulement une caractéristique essentielle de la domination coloniale britannique, mais son acceptation dans les esprits s'est faite par le biais d'une infantilisation généralisée des populations noires. « Sous le colonialisme et l'apartheid, les Africains adultes étaient désignés, garçons et filles, légalement et économiquement infantilisés », écrit Gqola. « Affirmer sa masculinité était alors un moyen de rejeter cette position », ce qui explique pourquoi les femmes se sont retrouvées piégées entre deux conceptions extrêmes de la masculinité. D'autre part, « sous l'apartheid, aucun homme blanc n'a été pendu pour viol et les seuls hommes noirs qui ont été pendus pour viol ont été reconnus coupables de viols de femmes blanches », révèle Pumta Gqola. En conséquence, les violences et agressions envers les femmes noires ont été rarement condamnées. Et ces femmes n'avaient pas non plus accès à la police, les commissariats étant jusqu'à des années après des lieux hostiles. Les femmes ont joué un rôle important dans la lutte contre l'apartheid, elles ont été systématiquement persécutées, agressées ou violées. Ainsi, de génération en génération, les femmes prennent de plein fouet l'histoire brutale de l'Afrique du Sud, où l'« hyper-masculinité » – c'est-à-dire l'affirmation du pouvoir masculin – nie l'existence de la femme en tant qu'être à part entière, voire la chosifie. Aujourd'hui, les facteurs des violences sont complexes et couvrent toute la gamme psychosociale, de la pauvreté et du chômage à la violence intergénérationnelle et aux traumatismes infantiles. Deux rapports explosifs de Human Rights Watch parus en 1995 et un rapport d'Interpol de 1996 ont fini par cimenter cette perception et donner à l'Afrique du Sud, le statut de « capitale mondiale du viol ».

Et maintenant ?

Combattre ce fléau national, c'est agir à deux niveaux. Dans un premier temps, la lutte contre les violences faites aux femmes est avant tout une prise de conscience que l'éducation et l'enseignement sont des leviers qui aident, dans un tel contexte de violence, à la protection des populations vulnérables, telles que les femmes, mais également les filles et les enfants plus généralement. Alors que la violence, les comportements violents sont tolérés/appris dans les foyers, au sein des communautés, ainsi que dans les écoles, il est urgent de briser ce cercle de violence chez les plus jeunes eux-mêmes, trop souvent exposés à la négation de la femme. Ainsi, si rien n'est fait en matière d'éducation, la société sud-africaine continuera à engendrer des générations d'individus violents, dont des violeurs-prédateurs sexuels. La violence est en fait le seul moyen d'expression et d'affirmation d'une autorité à la fois dans la sphère publique et dans la sphère privée. De l'autre côté, l'État lui-même doit mettre en œuvre des politiques publiques en faveur de la lutte contre les violences envers les femmes. C'est donc dans un tel contexte que le gouvernement sud-africain, et plus particulièrement le président Cyril Ramaphosa, a fait l'annonce d'une série de mesures concrètes afin de répondre à l'appel de la société civile sud-africaine exigeant une meilleure protection des femmes dans le pays.

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (4)

  • furlukin

    ... Que l'autrice poursuit ingénument la dé-responsabilisation qu'elle reproche à la colonisation, ce que de leur côté @Hipparchia et @Surlaligne expliquent très bien.

    L'Histoire compte pour tout le monde et ne doit pas être négligée, mais exonérer à l'infini des gens de leurs responsabilités élémentaires c'est les considérer comme des mineurs, non comme des égaux.

    C'est pourtant une habitude de certains milieux qui se croient pourtant fermement émancipateurs !

  • Surlaligne

    En fait, ils ne sont responsables de rien, c'est le produit du colonialisme...
    Ce n'est pas avec de tels raisonnements que leur comportement va changer, ils sont excusés par avance.
    Pourtant, le principe de l'apartheid reposait sur le fait que chaque communauté vivait dans son coin et s'occupait de ses affaires.

  • Hipparchia

    N'est-ce pas un peu facile de mettre la culture du viol sur le compte
    du colonialisme, une fois de plus responsable de tous les maux ?
    L'Afrique du Sud est devenu un des pays les plus violents au monde, et comme partout ailleurs, les femmes sont les premières victimes