Coronavirus : artistes, opéras et salles de concerts bichonnent, en ligne, les amateurs de classique

Contraints à la fermeture et au chômage forcé, artistes et institutions réagissent en proposant une offre alternative en streaming, faite maison ou puisée dans des archives souvent très riches. L’occasion de se réconforter en élargissant sa culture musicale.

Par Sophie Bourdais

Publié le 18 mars 2020 à 15h15

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h27

Il a été l’un des premiers à prendre des mesures radicales contre le coronavirus et ses conséquences sociales restrictives : depuis le 12 mars, le pianiste germano-russe Igor Levit propose des récitals à domicile, tous les soirs à 19 heures, visionnables en direct (puis rattrapables) sur Twitter et Instagram. Il continue à les donner depuis son salon, et ne s’est autorisé une pause que le lundi 16 mars… pour aller jouer les Variations Diabelli de Beethoven à l’Opéra d’État de Bavière, retransmises en direct par l’institution munichoise ! Reliée jusqu’à présent à son combat incessant contre l’extrémisme, le racisme et l’antistémitisme, l’injonction « No Fear » (Pas peur), qui claque sur la bannière du compte d’Igor Levit, prend de nouvelles dimensions.

Comme Igor Levit, d’autres artistes exorcisent leur chômage forcé, leur solitude et leur angoisse face à l’avenir (pour ces musiciens indépendants, la catastrophe sanitaire est aussi une catastrophe économique, et les chanteurs français ont d’ailleurs lancé un appel au secours en forme de « cri du cœur », qui n’a, pour l’heure, reçu aucune réponse), en jouant pour un public bien plus large et dispersé que d’ordinaire, qu’il s’agit d’abord de réconforter et/ou de distraire. La mezzo-soprano Joyce DiDonato et le ténor Piotr Beczala ont chanté ensemble sur Instagram et Facebook. Le violoniste Renaud Capuçon a tweeté des vidéos de lui-même jouant Dvořák et Massenet à domicile en utilisant l’application NomadPlay (qui, depuis mardi soir, offre un accès gratuit à sa plateforme pendant un mois, avec le code TOGETHER01, pour tous les musiciens, amateurs ou professionnels). Son frère Gautier fait de même avec son violoncelle.

La soprano et cheffe d’orchestre Barbara Hannigan a décidé d’offrir des « cadeaux musicaux » avec les artistes de son programme de mentorat Equilibrium, en commençant par un duo avec le pianiste Alphonse Cemin autour du An die Musik, de Franz Schubert. Le chef canadien Yannick Nézet-Séguin joue aussi du Schubert (la Sonata Arpeggione) avec son compagnon, dans son salon, pour encourager les mélomanes à rester chez eux. La violoncelliste Alisa Weilerstein s’apprête à partager avec qui voudra jeu et réflexions sur les six Suites pour violoncelle seul de Johann Sebastian Bach (à raison d’un mouvement par jour sur trente-six jours)… Et d’autres initiatives vont suivre.

Les maisons de concert et d’opéra ont d’autres moyens. Comme l’Opéra de Bavière, qui propose le 21 mars, en direct, le ballet Joyaux, de George Balanchine, et offre jusqu’au 28 mars un appétissant Trovatore, de Verdi, avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros. D’autres maisons d’opéra et de concert pallient l’annulation de leurs spectacles en proposant des offres de vidéo à la demande, souvent puisées dans leurs ressources audiovisuelles, plus ou moins limitées dans le temps, et toutes gratuites. Voici un recensement, par institution et en commençant par la France, de l’offre actuellement disponible.

Opéra de Paris

Saison noire pour l’Opéra de Paris, qui ne sort de la plus longue grève de son histoire que pour fermer ses portes jusqu’au 15 avril. La maison réagit en proposant en streaming, sur son site et sur Culturebox, sept de ses productions données entre 2014 et 2020, mises en ligne tour à tour pendant six jours. Dès mardi à 19h30, tous les lyricomanes qui n’ont pu voir la toute récente Manon, de Massenet, avec Pretty Yende et Benjamin Bernheim, annulé après quelques représentations (et filmé à huis clos juste avant la fermeture), pourront la découvrir jusqu’au 22 mars. Viendront ensuite Don Giovanni (du 23 au 29 mars), Le Lac des cygnes (du 30 mars au 5 avril), Le Barbier de Séville (du 6 au 12 avril), une soirée Jerome Robbins (du 13 au 19 avril), Les Contes d’Hoffmann (filmé en 2016) du 20 au 26 avril, et enfin Carmen (filmé en 2017) du 27 avril au 3 mai. Déjà disponibles sur le site de l’Opéra : le ballet Giselle (avec Culturebox), et Les Indes galantes, de Rameau, dans la production de Clément Cogitore (avec Arte Concert). Il est également recommandé d’aller se promener du côté de la 3e Scène, toujours accessible, avec ou sans virus.

Philharmonie de Paris

« Un kit de survie musical » a été rapidement proposé par la Philharmonie de Paris, forcée d’annuler ou de reporter toutes ses manifestations au moins jusqu’au 15 avril, y compris le très attendu concours de cheffes d’orchestre La Maestra, reprogrammé du 15 au 18 septembre 2020. Le kit comprend de nombreuses captations de concerts classique et jazz sur Philharmonie Live, une visite virtuelle du musée de la Musique sur Streetview et des playlists sur la plateforme Soundsgood.

France Musique

Outre une impressionnante collection de concerts enregistrés à réécouter, France Musique propose aussi des concerts filmés, et une remarquable collection de ressources audiovisuelles pour apprivoiser ou approfondir toutes sortes de genres musicaux. Avis aux familles qui voudraient en profiter pour élargir les horizons de leurs bambins, un dossier spécial « Écouter, voir la musique » a été concocté à leur intention.

Opéra royal de Versailles

L’institution versaillaise vient de capter à huis clos les Symphonies nos 5 et 7 de Beethoven, interprétées par Les Siècles, sous la direction de François-Xavier Roth, et disponibles sur Culturebox (ainsi que sur Mezzo pour les abonnés).

La Monnaie/De Munt (Bruxelles)

Fermée jusqu’au 5 avril et contrainte de reporter son appétissante Pikovaya Dama (La Dame de pique, de Piotr Ilitch Tchaïkovski), qui devait être donnée du 21 avril au 9 mai, La Monnaie (re)met à disposition jusqu’à la fin du mois d’avril, sur son site, sur Youtube et sur le site de l’Opéra Comique, la captation du formidable Macbeth Underworld, de Pascal Dusapin, enregistré lors de sa création mondiale en septembre 2019. On pourra ainsi se consoler un peu de l’annulation de la création française, qui devait se faire dès le 20 mars à l’Opéra Comique.

Opéra royal de Wallonie-Liège

Quatre des productions de la maison liégeoise, dont un tout récent Don Carlos de Verdi, sont disponibles sur Culturebox.

Orchestre philharmonique de Berlin

Seul orchestre à disposer de manière permanente d’une salle virtuelle ultra connectée, avec son Digital Concert Hall habituellement payant et accessible sur abonnement, le Berliner Philharmoniker l’ouvre gracieusement à tous les mélomanes, sur simple inscription, jusqu’au 31 mars. Plus de six cents concerts y sont disponibles, dont certains sont légendaires. Courez-y !

Staatsoper Berlin

Chaque jour et jusqu’au 19 avril, l’Opéra d’État de Berlin propose une nouvelle captation d’une production maison – opéra, ballet, concert (de la Staatskapelle Berlin dirigée par Daniel Barenboim) ou récital – disponible jusqu’au lendemain. Ce mardi, comme à Paris, on y aura vu la Manon de Massenet (mais avec Anna Netrebko dans le rôle-titre), et mercredi 18, Tristan et Isolde, de Wagner. Pour la suite, tout est détaillé ici.

Wiener Staatsoper

« L’Opéra de Vienne est fermé mais continue de jouer quotidiennement : en ligne », annonce le site de la prestigieuse institution, qui puise dans ses archives depuis le 15 mars et jusqu’à nouvel ordre pour alimenter en spectacles les amateurs d’opéras et de ballets du monde entier, en s’efforçant même de suivre précisément l’agenda des spectacles initialement prévus. Chaque opéra sera diffusé à partir de 19 heures (17 heures pour les longues traversées wagnériennes du Ring, proposé dans son intégralité) et restera disponible pendant vingt-quatre heures. Pour en profiter, il suffit de s’inscrire, sans frais, sur staatsoperlive.com (accessible en anglais pour les non-germanophones). Le programme est disponible à cet endroit.

Metropolitan Opera

Fermé jusqu’au 31 mars, le MET de New York met gratuitement à disposition (« pour le réconfort des amateurs d’opéra », précise son directeur, Peter Gelb), à raison d’un opéra par jour (La Bohème ce 18 mars), les fleurons de sa collection Live in HD, captée in situ. Chaque retransmission commence à 19h30 heure américaine et reste disponible vingt heures. Le programme de la première semaine est disponible ici. Attention, le MET a déjà prévenu que la fréquentation (mondiale) de son site tendait à saturer, et qu’il y travaillait. Notons que cette politique généreuse envers le public ne s’applique pas aux artistes solistes non salariés par la maison : Peter Gelb a provoqué leur colère en faisant jouer la clause de force majeure afin de n’en rémunérer aucun pendant la période de fermeture forcée.

Royal Opera House (Londres)

Parmi les derniers à fermer ses portes (il ne l’a fait que le lundi 17 mars), Covent Garden a pensé aussi à ses habitués et aux autres, et promet déjà une offre de spectacles gratuits en streaming dont nous n’avons pas encore le détail. Son site est à surveiller.

Fenice (Venise)

La maison vénitienne promeut activement un respect du confinement (#IoRestoACasa) qu’elle entend rendre indolore grâce à sa chaîne YouTube. On y trouve plusieurs opéras à visionner dans leur intégralité.

Comme d’habitude enfin, les mélomanes trouveront plus que leur bonheur sur Culturebox, Arte Concert (qui propose notamment une intégrale Beethoven et le Fidelio tout juste capté à l’Opéra de Vienne dans la version originale de 1805), Operavision (en plus de toutes les productions déjà mises en ligne, la plateforme européenne instaure un mois Mozart avec cinq productions mises à disposition entre le 17 et le 31 mars, chacune pour une durée de six mois), medici.tv, et Youtube enfin, où nombre de grandes formations symphoniques disposent de leurs propres chaînes… De quoi adoucir le maintien à domicile, en croisant les doigts pour que le streaming puisse continuer à s’effectuer dans les meilleures conditions techniques possibles.

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