Coronavirus et confinement : chassée de chez elle parce que soignante

Publié le 22 mars 2020 à 10h30, mis à jour le 27 mars 2020 à 11h24
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ILLUSTRATION - Source : GEORGES GOBET / AFP

TÉMOIGNAGE - Alessia*, 32 ans, s’est retrouvée mise à la porte de sa colocation à cause de son poste d’interne en médecine dans un hôpital de la région parisienne. Obligée de trouver une solution d’hébergement à la hâte, en plus de ses heures de travail accaparantes en service de pneumologie, elle témoigne pour LCI.

Quand l’égoïsme et la peur prennent le pas sur l’empathie et la solidarité. Au moment où la France affronte une accélération de la propagation de l’épidémie de coronavirus sur l’ensemble du territoire (près de 15.000 cas confirmés samedi soir, dont plus de 1500 considérés comme graves, et 562 décès), le personnel de santé fait front, plus que jamais, du mieux qu’il peut. Des soignants qui, du professeur au brancardier, s’attirent logiquement les louanges, le soutien et toute la considération d’une large partie de la population aujourd’hui confinée. À l’image de ce rituel, désormais instauré chaque soir faute de mieux, d’applaudissements lancés depuis les fenêtres et les balcons des villes de France.

Cet élan de sympathie, Alessia*, une Italienne de 32 ans qui exerce comme interne (FFI) en pneumologie au sein d’un établissement de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), y est forcément sensible. Et pour cause, à l’inverse de ces ondes positives collectives, et sans compter la situation dramatique en cours dans son pays d’origine, où son conjoint exerce également comme pneumologue dans le Nord, la jeune femme vient d’être confrontée à l’exact opposé : l’individualisme extrême. Sous la pression de sa colocataire, celle qui est venue de la Péninsule il y a quelques mois pour finir ses études dans l’Hexagone a tout simplement fini par être chassée de chez elle.

"T'inquiète"

"Ça a commencé dimanche, le week-end dernier, la veille de l’allocution d’Emmanuel Macron. On avait déjà pris la décision de rester chez nous et elle m’a demandé : 'Tu es sûre que tu veux revenir ici tous les jours après l’hôpital ? Je ne vais pas risquer quelque chose en étant à côté de toi ?'" Compréhensive, la pneumologue tente alors de rassurer sa colocataire, lui rappelant que le personnel hospitalier, probablement mieux que n’importe qui, est formé aux fameux gestes barrière, que des protocoles stricts existent en cas de doute quant à une éventuelle contamination. D’autant qu’à ce moment-là, nous explique-t-elle, son service n’abrite pas de cas 'Covid positif'. "Dans l’hôpital, on prend toutes les précautions, on porte des masques, des gants", embraye Alessia. "Je lui ai dit : 'T’inquiète, je vais faire attention, me laver dès que j’arrive et laisser mes affaires à distance. Je ferai ce qu’il faut.'" 

Mais rien n’y fait. Le lendemain, lundi soir, lors de la prise de parole du chef de l’Etat, en train d’annoncer le confinement de la population, sa colocataire, une compatriote âgée d’une quinzaine d’années de plus qu’elle et travaillant comme professeure de chant, s’inquiète de nouveau. Asthmatique, elle redoute d’être une personne à risque en cas d'infection. Pendant qu'Alessia s'affaire à s'occuper des malades en soins intensifs, les SMS pleuvent, toujours plus craintifs. Sur l’écran de son téléphone, la pneumologue répète ses mots rassurants, martelant que tout sera fait pour éviter le danger. Même chose une fois rentrée chez elle. "J'ai passé mon temps à lui redire les mêmes choses." De quoi s’offrir un semblant de répit, le temps d’une nuit seulement. 

Sa famille, ses amis, tout le monde avait peur du fait qu’elle vive avec moi
Alessia, interne en médecine à l’AP-HP

"Mardi matin, elle m’a de nouveau envoyé plein de messages", poursuit la trentenaire à l'accent transalpin. "Elle m’a dit qu’elle avait parlé à sa famille et ses amis en Italie, et que tout le monde avait peur du fait qu’elle vive avec moi, à cause de mon métier de médecin. Elle me raconte qu’elle dort mal, qu’elle est en permanence angoissée." La colocataire exige le départ d’Alessia. "Elle m’a dit : 'Dès ce soir, tu prends tes affaires, les choses les plus indispensables, et tu pars.' Je lui ai répondu : 'Tu es folle, je ne peux pas ! Je travaille douze heures par jour, et quand j’arrive le soir je suis fatiguée, je veux simplement prendre ma douche et me coucher. Tu imagines le stress qu’on subit déjà, alors qu’on attend la "vague" de coronavirus dans quelques semaines ? Et toi tu me mets à la porte ? Ce n’est pas normal ! Je paye mes loyers, j’ai le droit d’être chez moi.'" 

Quoi qu’il advienne, l'interne refuse de partir en pleine semaine et suggère d’en reparler durant le week-end. Sa colocataire la traite d’"égoïste", d’"irresponsable", affirme qu’elle risque sa vie pour elle… La rupture est consommée. 

Quand elle rentre chez elle le soir, Alessia est surprise de trouver celle qui est devenue son cauchemar avec un ami, alors même que le confinement est censé être respecté. "Il ne se sentait pas bien, elle lui a proposé de passer. Je n’arrive pas à comprendre son attitude." Là, le discours change. La quinquagénaire assure qu’elle est finalement prête à laisser la pneumologue vivre dans leur appartement, si toutes les précautions sont prises. "Elle m’a dit que j’étais comme une fille pour elle, et que je pouvais me tranquilliser". Sauf qu’à nouveau, la peur va rapidement reprendre le dessus.   

"Basta !"

"Encore une fois, dans la matinée de mercredi, elle m’a envoyé des textos me disant ‘basta !’ (‘assez !’). Elle voulait vraiment que je parte, définitivement." Dans son service, Alessia craque et fond en larmes, désemparée par ces revirements incessants. "Normalement, c’est elle qui aurait dû trouver une solution", fait valoir la jeune femme qui, même si elle comprend "très bien" les craintes, bien qu’irrationnelles, reste scandalisée par l’individualisme auquel elle a été confrontée. "En pleine crise sanitaire mondiale, elle n’a pas hésité à mettre un médecin dehors…"

À l’hôpital, ses collègues, tout aussi outrés, cherchent alors à l’aider. "Elle se sentait vraiment mal", souligne l’un d’eux, nous précisant que le service commence à faire face à un engorgement des lits, alors même que du matériel manque encore. Au cours de la semaine, les patients touchés par le coronavirus se sont multipliés. "C’est vraiment la guerre." 

Dans ce contexte d’urgence inédit, Alessia doit gérer ses déboires personnels. Heureusement pour elle, la solidarité se met en place. "Là, j’ai vécu tout le contraire des derniers jours", reprend l’Italienne. "Une amie d’une de mes co-internes partie rejoindre sa famille en province m’a proposé de récupérer temporairement son appartement, me disant que je n’aurais rien à payer. Elle voulait aider les médecins." Le jeudi, avec le soutien de ses chefs, qui lui disent de prendre tout le temps nécessaire, la jeune femme organise donc son déménagement à la hâte, du 8e au 11e arrondissement de la capitale. Un logement où elle devrait pouvoir rester quelques semaines, le temps de trouver une solution pérenne. Sans pression cette fois. 

Coronavirus : le coup de gueule des soignantsSource : JT 13h Semaine

Faut-il voir derrière cette histoire un phénomène plus large, amené à prendre de l’ampleur ? Rien n’est moins sûr, même si ce type précis de situation reste évidemment marginal. Toujours est-il qu’en cette cette période de grands bouleversements, des messages essaiment ces derniers jours sur le réseaux sociaux (voir le tweet ci-dessous), symbolisant une forme d’appréhension de certains à voir les soignants propager le virus dans leur environnement immédiat, et notamment leur voisinage. Signe, sans doute, que la méfiance s'est d’ores et déjà instillée. 

Alessia, elle, bien que choquée par ce qui vient de lui arriver, préfère retenir les marques d’affection, se concentrer sur les semaines à venir. Et souhaite surtout que son cas ne se reproduise pas. "J’étais tellement désespérée, j’espère vraiment que ça n’arrivera à personne d’autre, plus jamais."

*le prénom a été modifié 


Alexandre DECROIX

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