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La dissidente iranienne Masih Alinejad : "J'ai choisi d'être la voix de tous ceux qui ne peuvent s'exprimer"

FEMMES DU MONDE - Karen Lajon, grand reporter au service Etranger du Journal du Dimanche, revient sur le parcours extraordinaire ou peu ordinaire de femmes dans le monde. Cette semaine, elle s'est entretenue avec Masih Alinejad, militante iranienne réfugiée aux Etats-Unis, et qui ne cesse de s'opposer au régime des mollahs.

Karen Lajon , Mis à jour le
La dissidente iranienne Masih Alinejad.
La dissidente iranienne Masih Alinejad. © DR.

A l'heure du coronavirus, il est quasi impossible de savoir réellement ce qui se passe en Iran. Officiellement, il y aurait quelques 2.800 décès liés au Covid-19 et plus de 41.495 cas recensés, selon les autorités sanitaires iraniennes. Un porte-parole du régime a confirmé qu'au cours des dernières 24 heures, 117 nouveaux cas avaient été enregistrés et invité la population à rester plus que jamais confinée chez elle. Une décision bien trop tardive selon Masih Alinejad qui depuis le début de l'épidémie reçoit vidéos, messages et photos prises par des Iraniens qui contournent la censure en diffusant eux-mêmes des images de l'intérieur du pays. Parfois au péril de leur vie.

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J'ai trois millions de followers sur Instagram

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Ils les envoient donc à une femme dont le visage les a longtemps accompagnés avant qu'elle ne se réfugie chez l'Oncle Sam en 2009, la journaliste Masih Alinejad. Ainsi, il y a quelques jours, une vidéo montrait un hôpital iranien où les cadavres emballés dans des sacs en plastique noir gisaient à même le sol, faute de place. Sur une autre, on pouvait apercevoir les rues vides de la capitale et des bassidji (milices de sécurité des Gardiens de la révolution) en combinaison anti-virus juchés sur leurs motos patrouillant la ville. "J'ai trois millions de followers sur Instagram, s'exclame Masih, ce sont beaucoup de femmes, des mères. Ce sont de véritables héroïnes. Elles n'hésitent pas à faire passer photos et vidéos souvent malgré le risque de finir en prison", s'exclame avec admiration la dissidente. 

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Black out 

Selon elle, l'épidémie a explosé à Qom, la ville sainte des chiites située au sud-ouest de Téhéran et où les autorités n'ont pas arrêté suffisamment tôt les pélerinages. "Le président Rohani lui-même avait commencé par ridiculiser les conseils des médecins qui voulaient placer la ville en quarantaine en disant que ces mesures étaient dignes du Moyen-Age," poursuit Masih Alinejad. La foi est telle dans cette cité des tchadors que lorsque le gouvernement a fermé les lieux de prières, les fidèles se sont jetés sur les portes afin de casser les cadenas.

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Les gens meurent d'un virus encore plus dangereux que le coronavirus, celui du régime des mollahs

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"Les gens meurent d'un virus encore plus dangereux que le coronavirus, s'insurge-t-elle encore, celui du régime des mollahs." Alors, elle donne la parole à tous ceux qui osent la prendre. Cela va du personnel hospitalier qui explique qu'il n'a ni masque, ni ventilateur, ou de ces jeunes femmes qui ont lancé une campagne de solidarité pour venir en aide aux enfants qui sont dans le besoin. Ou encore ces photos de cette grand-mère qui dans un village reculé du pays, a décidé de coudre des masques puisque le gouvernement ne les distribue pas. Des hommes aussi s'expriment comme ce directeur d'hôpital dont on voit le visage et qui affirme que les officiels iraniens ont exigé des dirigeants hospitaliers de ne rien dire au sujet du coronavirus au tout début de l'épidémie. 

La campagne "Ma liberté furtive" 

Masih Alinejad s'est faît connaître au-delà des frontières iraniennes par une photo, postée sur son compte Facebook. Elle a 33 ans, elle se trouve en Angleterre, nous sommes en 2014. C'est le printemps, et il fait beau. Les cheveux au vent, Masih est photographiée par son compagnon. Plus tard, elle accompagne ce cliché d'une légende : "Dans mon pays, un tel comportement serait illégal." Le geste fait sensation. De nombreuses jeunes filles répondent à cet appel d'oser ôter le hijab. Une nouvelle campagne débute alors, intitulée MyStealthy Freedom (Ma liberté furtive), et qui invite toutes les Iraniennes à se photographier les cheveux découverts. Son compte explose. Que le régime se le tienne pour dit, Masih Alinejad, la militante devenue dissidente, n'arrêtera pas la lutte. 

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Facile, allez-vous dire. Elle résiste de loin. Ce serait lui faire un mauvais procès. Parce que Masih Alinejad n'est pas née avec une cuillère d'argent dans la bouche, ne vient pas des quartiers nord de Téhéran, concentration des plus grandes richesses du pays. Non, elle vient de Ghomikola, "la capitale du monde", a-t-elle toujours raconté, lorsqu'elle est interrogée sur ses origines. "La capitale de mon monde, mais en réalité, un tout petit point sur la carte iranienne, dans la province de Mazandaran, au nord de l'Iran. Là-bas, ils sont fiers de leur indépendance, ils ont leur propre dialect." Les plages de sable fin de la Mer Caspienne bordent les parties nords de la province et au sud le Mont Damavand et ses hauteurs enneigées. Le point culminant du pays. Des signes. Indépendance, hauteur, ce qui caractérisera Masih plus tard, la petite dernière d'une maisonnée de six enfants. 

Affronter les ténèbres, sa force 

Une centaine de familles habitent le village qui appartient à une sorte de seigneur féodal. D'après Masih, le nombre n'a pas varié. Tout le monde se connaît. Tout le monde sait tout de tout. La vie est simple et frugal. Sa maman ne sait ni lire ni écrire, mais coud avec merveille, son père est un marchand ambulant et vend des légumes. Elle doit lutter dès son plus jeune âge contre... tout. "La pression sociale bien sûr mais aussi familiale, la discrimination naturelle entre filles et garçons. Heureusement ma mère m'a toujours poussé. Elle est mon mentor, elle me disait "les ténèbres sont un monstre, un démon noir et sans forme, si tu as peur de lui, alors tu seras engloutie dans son enveloppe. Ouvre grands les yeux, affronte le noir et les ténèbres disparaîront". Alors, c'est ce que j'ai fait, j'ai affronté la vie toute ma vie." 

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Je suis une enfant de cette révolution et j'ai pratiquement toujours vécu à l'ombre de cet événement

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Masih Alinejad est née trois ans avant la Révolution islamique qui renversa du trône Shah Mohammad Reza Pahlavi. "Je suis une enfant de cette révolution et j'ai pratiquement toujours vécu à l'ombre de cet événement au sens propre comme au sens figuré." Ses parents soutiennent la Révolution. Ils ne savent pas encore... En feuilletant l'album de famille, elle découvrira des photos d'avant, de sa mère portant un foulard coloré et un manteau à la mode. Et son père (qui à l'époque est un fervent révolutionnaire) affichant une superbe moustache, un costume et une cravate. "En fait, je ne les avais jamais vus comme ça." Plus tard, les images se succèderont à l'identique. Tchador noir pour les femmes, barbe naissante pour les hommes et plus de cette horrible cravate, symbole d'un Occident décadent. Un jeune religieux en cette année 1979 se distingue. Il est le premier à ordonner à son équipe de femmes qui travaillent pour lui au ministère de porter le hijab. "Ou vous le mettez ou bien vous ne venez pas travailler." En 1983, la loi passe, le voile devient obligatoire. Le jeune religieux s'appelle Hassan Rouhani, il deviendra en 2013 le septième président iranien. 

Le hijab 

Les cheveux de Masih Alinejad sont spectaculaires. Longs et bouclés, en un mot magnifiques. Ils représentent son identité. "La Révolution me l'a confisquée." A seize ans, elle brave les interdits et ose sortir de la maison, la tête découverte. Graine de rebelle. Qui aime l'école et les livres. La liberté. Mais à cette époque de transformation religieuse sectaire, la voie de l'indépendance passe par un mari. Il s'appelle Reza, il sera son ticket pour quitter Ghomikoka, croit-elle. Mais la police vient chercher Reza, le père de la jeune fille, mort de honte, demande même aux services de renseignement du régime de l'emmener, elle, la chair de sa chair. Son monde s'écroule. Elle sera emprisonnée pendant un mois. Ce sont ses geôliers qui lui apprendront qu'elle est enceinte. 

Ce sera l'acte fondateur de sa désobéissance face au régime des mollahs. Son futur époux sortira de prison quatre mois plus tard. Ils prénommeront leur fils, Pouyan. Cinq mois après, un religieux est élu à la présidence. C'est un outsider, il affiche un visage doux et souriant. Il est coquet, il aime les jolies chaussures, il est différent. Il n'aurait jamais dû gagner. Le système des mollahs aurait-il des failles? A cette époque, Masih n'en sait fichtre rien, elle est engluée dans la maternité. Le couple déménage à Téhéran. Et commence à travailler. Elle fait des sondages pour une radio-télé d'Etat. Reza, le poète qui cherche une muse pour écrire, tombe amoureux d'une autre femme, demande le divorce et obtient la garde totale de leur fils. La Révolution a parlé. 

Correspondante du Parlement iranien 

La suite est une lutte de tous les instants. Masih devient journaliste, se forge une conscience politique. Elle n'est jamais allée à l'université et n'a même pas fini le lycée. Ne parle aucune langue étrangère. Et n'a aucun appui. Elle commence par un stage non rémunéré puis deviendra la première femme correspondante qui couvre le Majlis, le Parlement iranien. Une malheureuse histoire de chaussures rouges jugées indécentes entraîne une suspension de trois mois. Ce qui ne l'empêchera pas de décrocher une interview avec le Président Khatami. Elle sera aussi la première journaliste à être expulsée et interdite de Parlement. La rebellion prend une tournure de plus en plus sérieuse. De plus en plus dangereuse. 

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Il a commencé à se conduire comme Donald Trump avant que Donald Trump n'existe en tant que leader

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Son appartement est visité par les services, elle est suivie, surveillée. Une femme prend alors sa défense et veut la représenter. L'avocate Shirin Ebadi qui a reçu la suprême récompense, le Prix Nobel de la Paix. Nous sommes en 2005. L'Iran choisit un nouveau président Mahmoud Ahmadinejad. "Il a commencé à se conduire comme Donald Trump avant que Donald Trump n'existe en tant que leader."

Masih a 30 ans, elle est nommée correspondante à Beyrouth, elle découvre les bikinis et les filles cheveux au vent. Le choc est total, plus rien ne sera jamais comme avant. Il n'y aura pas de retour en arrière. Elle mettra deux jours à oser enlever son foulard et effacer ainsi vingt-trois longues années de port obligatoire dans l'espace public. Personne ne leur jettera un regard. 

Elle voulait interviewer Barack Obama 

En 2007, alors qu'elle est de plus en plus connue et qu'elle n'est plus autorisée à voir son fils qu'une fois par mois, elle s'envole pour Londres, histoire de se faire oublier et d'apprendre l'Anglais. Un an plus tard, Barack Obama est élu. "Et dans ma grande folie, j'ai demandé une interview. Plusieurs même. J'étais devenue la journaliste iranienne qui ne cessait de faire des demandes d'interviews. On m'interrogeait juste pour ça." Ce qui lui ouvre les portes de l'Amérique mais pas celle du bureau du nouveau président des Etats-Unis. Aujourd'hui, elle y vit.

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Je n'ai plus de ligne rouge, il y va de ma responsabilité de tout dénoncer

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"J'ai choisi d'être la voix de tous ceux qui ne peuvent s'exprimer, dit-elle avec force. Je n'ai plus de ligne rouge, il y va de ma responsabilité de tout dénoncer." Mais cela a un prix. A cause de cette voix sans barrière, son frère Ali Alinejad est emprisonné en Iran depuis le mois de septembre 2019. Sa faute? Avoir pour soeur, la dissidente Masih Alinejad. 

The Wind in my Hair : My Fight for Freedom in Modern Iran (non traduit). Editions Little Brown and Compagny

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