« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Cette célèbre mise en garde de Simone de Beauvoir est plus que jamais d’actualité. On peut malheureusement ajouter « crise sanitaire » à la liste des crises remettant en question les droits des femmes. Les « progrès limités réalisés au cours des dernières décennies » en matière d’égalité des sexes « risquent d’être réduits », avertit le secrétaire général de l’ONU dans un rapport sur l’impact de la COVID-19 sur les femmes qui nous presse de faire de cet enjeu une priorité. 

Depuis quelques semaines, Ariane Audet, photographe et écrivaine montréalaise vivant dans la région de Washington, s’est donné comme mission de documenter le post-partum hors de l’ordinaire de notre époque, à hauteur de femmes.

PHOTO MICHAEL DICKENS

Ariane Audet et sa fille Lou

Celles qui sont enceintes ou qui viennent de mettre un enfant au monde en ces jours aux airs de fin du monde. Celles dont la charge mentale déjà lourde s’est muée en surcharge mentale à laquelle on a ajouté l’école à la maison. Celles qui vivent une détresse profonde et risquent plus que jamais de tomber entre les mailles du filet. Celles qui, au Québec comme aux États-Unis, sont majoritairement au front, dans le système de santé.

« Les femmes sont souvent les premières à faire les frais d’une crise, non seulement dans l’espace domestique, mais aussi dans les soins de santé. C’est ce qui fait reculer les droits des femmes », constate la jeune femme de 33 ans, en citant l’exemple de l’accouchement en solo imposé dans les hôpitaux américains durant la pandémie, au détriment de la santé des femmes et des enfants et en faisant fi des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.

Les Postpartum Pandemic Stories d’Ariane Audet, qui ont attiré l’attention du Washington Post, sont le prolongement d’une promesse qu’elle s’est faite il y a trois ans, alors qu’elle était internée dans un hôpital psychiatrique en Caroline du Nord, souffrant de dépression et d’anxiété post-partum graves, à la suite de la naissance de son premier enfant. « Je suis extrêmement privilégiée. Mon mari a des assurances, liées à son emploi. J’ai pu me faire soigner… »

Aurait-elle pu l’être si la dépression post-partum l’avait happée aujourd’hui, en pleine crise de la COVID-19 ? Elle n’en est pas certaine. « Je ne sais pas comment j’aurais fait… Cela aurait certainement été plus difficile. »

En 2017, grâce à une équipe de soignants extraordinaires, grâce à sa famille et à ses amis, Ariane Audet a pu être écoutée, épaulée et se relever. En quittant l’hôpital, elle s’est promis de créer une communauté pour soutenir à sa façon les femmes en post-partum, dans cette période de leur vie où elles sont particulièrement vulnérables. La promesse a pris la forme d’un projet documentaire féministe appelé Faces of Postpartum, pour lequel, depuis trois ans, cette titulaire d’un doctorat en études littéraires va à la rencontre de femmes, discute avec elles de leur expérience de la maternité, publie leur histoire et leur photo.

PHOTO ARIANE AUDET, FACES OF POSTPARTUM

Dans le cadre du projet documentaire Faces of Postpartum lancé en 2017, Ariane Audet allait à la rencontre de femmes enceintes ou qui venaient d'accoucher. Pandémie oblige, le projet se poursuit de façon virtuelle.

Avec la pandémie, elle a décidé de poursuivre l’expérience de façon virtuelle, en commençant par son propre témoignage de mère de deux jeunes enfants pour qui ce confinement se vit avec « plus de larmes, plus de médicaments, plus de rires, plus d’écrans ». Moins de sommeil. Plus d’inquiétudes. Et des montagnes de questions sur l’impact de la pandémie dans la vie des femmes dont elle raconte l’histoire depuis trois ans. « Nous ne prenons pas les mères au sérieux lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts quand le monde va bien. Et maintenant ? »

N’y cherchez pas des cupcakes, des arcs-en-ciel et des conseils de parents champions de la conciliation confinement-télétravail-famille. Ariane Audet s’intéresse surtout à la face cachée de la maternité, à tout ce que les belles mises en scène des réseaux sociaux ne montrent pas. Dans son recueil de poésie Déjà la horde de chair (L’Hexagone, 2016), finaliste au prix Émile-Nelligan, elle dissèque la violence au féminin, celle à laquelle on est soumise, celle que l’on s’inflige, celle qui a toujours été tue.

De même, dans ses histoires de post-partum, l’idée est de créer un espace pour déposer sa détresse. Donner une voix à celles que l’on n’entend pas, briser l’isolement, que le confinement aggrave. Dire les choses pour peut-être les changer.

Je ramasse le trop-plein. Et Dieu sait qu’il y en a ces temps-ci…

Ariane Audet

Pour le moment, le projet documentaire est uniquement en anglais. Mais l’auteure, qui recueille aussi des témoignages du Québec, compte en lancer une version française. Quelle différence entre les histoires de post-partum du Québec et des États-Unis ? « C’est comme comparer des pommes avec des bananes. Ici, le sentiment d’impuissance et d’abandon est très fort. Les femmes sont laissées à elles-mêmes. » Au Québec, le système de santé universel, bien qu’imparfait, permet de mieux s’en sortir.

La crise de la COVID-19 ne fait pas que mettre à l’épreuve nos systèmes de santé. C’est aussi un test pour nos sociétés. Test d’humanité. Test de solidarité. Test d’égalité. Aux États-Unis, en l’absence d’un filet social digne de son nom et de politiques égalitaires qui mettent le sort des femmes au cœur de la réflexion, les échecs sont plus spectaculaires, la violence des inégalités, plus frappante.

« Je vis dans un État où on peut porter une arme en allant chez Walmart ! C’est assez troublant de voir à quel point la violence se reflète dans le système de santé et dans d’autres sphères. Le taux de mortalité maternelle aux États-Unis est l’un des plus hauts des pays développés industrialisés. Tout ça est bien connu et existait avant. Avec la crise, c’est juste mis en lumière de façon dramatique… »

Je demande à Ariane Audet ce qu’elle espère que l’on tirera de ses histoires de post-partum et pandémie. « Dans un monde idéal, on changerait les lois ! Les femmes seraient au pouvoir. On n’aurait plus besoin de se battre ! »

Elle éclate de rire.

Comme le monde idéal ne semble pas exactement pour demain, ses attentes, dans l’immédiat, sont plus modestes. « Si une seule personne lit ça et se dit : “Ouf ! Je ne suis pas toute seule”, j’aurai fait mon job ! »

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