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Témoignage : "Sportive, je vis avec une jambe en moins"

Témoignage : "Sportive, je vis avec une jambe en moins"
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Il y a un an et demi, Pauline perd sa jambe gauche à la suite d’un accident. Après avoir touché le fond, elle a réappris à vivre, autrement. Elle raconte.

Pauline Deroulède, 29 ans, joueuse en tennis fauteuil. Amputée de la jambe gauche, cette jeune professeure de tennis et assistante réalisatrice décide, pour ne pas sombrer, de transformer sa colère en rage de vivre, et relève désormais des défis sportifs de haut niveau

Son scooter, c'était son autonomie, sa liberté. Conductrice modèle, elle a toujours été prudente et consciente du danger. Le 27 octobre 2018, en début de soirée, assise sur son scooter garé sur un trottoir parisien, elle attend son amie partie acheter des fleurs. Un conducteur de 90 ans perd le contrôle de sa voiture et la percute violemment, ainsi que deux autres personnes. Quand elle aperçoit sa jambe arrachée, quelques mètres plus loin, elle pense aussitôt à un attentat. C'est à l'hôpital qu'elle apprend qu'elle a été victime d'un chauffeur inconséquent. Elle ressent alors un profond sentiment d’injustice…

"Ce sont les autres qui m'ont donné la force de vivre”

“Avec Typhaine, c’était “notre accident”. Elle a tout vu, tout entendu. Nous nous connaissions depuis un an seulement. Un vrai coup de foudre. Sa première parole, alors que je baignais dans le sang, avec une jambe en moins : “Je vais t'aimer toute la vie”. Son amour m'a portée et sauvée. J'ai passé quasi huit mois à l'hôpital militaire de Percy, à Clamart, près de Paris. En quatre mois, j’ai subi douze anesthésies générales. Dans les premiers temps, shootée aux médicaments, perfusée de partout, j'étais incapable d'imaginer ce qu'allait être la réalité de ma vie. J’ai trouvé l'énergie de me battre pour Typhaine et mes proches, qui n'auraient pas supporté ma disparition. Je voulais aussi me montrer à la hauteur des soldats, légionnaires et gendarmes d'élite qui m’entouraient dans cet hôpital. Je les trouvais héroïques. Un côté guerrier m'animait. Quatre heures après mon accident, en salle de réveil, je me suis surprise à penser, alors que j’étais au plus mal : “Je veux gagner les prochains JO paralympiques !” Une folie, compte-tenu du chemin à parcourir…

“Mon corps est mon moteur”

Le sport a toujours fait partie de ma vie : tennis, CrossFit, ski… C'est ma drogue, mon exutoire. Avant mon accident, j’allais à la salle de sport tous les jours. Hospitalisée, j'ai commencé mes premières tractions sur le trapèze de lit. Avant de faire des abdos ou du soulevé de poids, dès que j'ai pu, dans la salle de rééducation, sur mes heures de kiné. Le 27 février 2019, équipée d'une prothèse, j'ai marché pour la première fois. J'étais plus heureuse de serrer Typhaine dans mes bras debout que d'esquisser quelques pas. Je suis sortie de l'hôpital fin mai, après une rééducation longue et exigeante pour apprendre à marcher correctement, avec les bons appuis. Puis l'été est arrivé. Au programme, cinq mariages, dont un en Israël. Je n'allais pas être en pantalon avec la chaleur qu'il faisait ! Pas le choix : j'ai dû apprivoiser mon nouveau corps, affronter le regard des autres, en maillot de bain sur la plage… Une victoire. Qui ne m'empêche pas d’appréhender le prochain été.

“Préparer les JO donne un sens à ma vie"

En juillet, j'ai participé au programme “La Relève”, lancé en 2019 par le Comité paralympique et sportif français afin de détecter de futurs médaillés Paris 2024. J'avais le triathlon en tête. Pour moi, qui était classée 2/6 avant mon accident, il était impossible de jouer en tennis fauteuil. J'avais pourtant de sérieuses chances de médaille… C'est la rencontre avec Stéphane Houdet, ex-numéro 1 mondial, champion paralympique et multiple vainqueur de tournoi du grand chelem, qui m'a décidée. Nous étions amputé de la même jambe, avions le même classement, il était “marchant” comme moi. Depuis la rentrée, je m'entraîne quinze heures par semaine, à Feucherolles, au Comité des Yvelines, aux côtés de jeunes espoirs du tennis français. Je dois apprendre à me déplacer différemment, encaisser les frustrations de ne pas pouvoir rattraper des balles que j'aurais eues debout. C'est un autre sport, tout aussi physique. Je retrouve le goût de l'effort, la quête de performance. Et le plaisir de me lever le matin.

“C’était comme si j'étais encore en vie pour que cette loi passe”

A cause d'une personne âgée qui n'était plus apte à conduire, trois vies ont été brisées : celle de Jérémy, sorti du coma au bout de six mois, de Daphné dont les jambes ont été broyées, et la mienne. C'est pour eux aussi que je me bats. Moi qui ne me suis jamais intéressée à la politique, je multiplie les réunions à l'Assemblée nationale pour que soit mis en place un test d'aptitude pour tous les conducteurs. Les véhicules sont bien soumis au contrôle technique, pourquoi pas les humains ? Avec l'Allemagne, la France est le seul pays où l'on obtient dès 18 ans un permis à durée illimité. Dans un premier temps, cela pourrait être tous les 10 ans, puis tous les 5 ans et 2 ans, sur des simulateurs dans les auto-écoles. En attendant le procès, j'ai demandé à la juge d'instruction l'autorisation, qui m'a été accordée, de rencontrer ce monsieur. J'ai besoin de le voir pour qu'il affronte mon regard et réalise ce qu'il a fait. Pour moi, justice sera rendue quand une loi sera votée pour les tests d’aptitude.

“Avec ma prothèse, fini les talons !”

Dans la journée, j'utilise ma prothèse pour marcher. Mais le soir, quand j'arrive à la maison, je suis soulagée de l'enlever pour retrouver mon fauteuil. Adaptée aux sportifs et aux militaires qui retournent sur le terrain, elle est résistante mais me comprime la jambe et me fait transpirer, surtout sous un slim : je n'ai aucune envie d'être en jogging ! Grâce à elle, je peux de nouveau marcher, conduire (uniquement sur une boîte automatique), danser, et même skier. La contrainte, c'est que je suis obligée de porter tout le temps des baskets, mes autres chaussures ne sont pas adaptées. Moi qui adorait les talons ! Le plus dur, c'est de me reconstruire psychologiquement. A chaque fois que la nuit tombe, je me sens mal. Je suis encore incapable de regarder les photos de la Pauline d’avant. Les flashs et les sons de l'accident me polluent régulièrement, même si l’EMDR (1) m’aide à les apprivoiser. J'essaie néanmoins de voir le bon côté des choses. Si je n'avais pas eu cet accident, je n'aurais pas cette vie de sportive de haut niveau, à laquelle j'ai toujours aspiré, ni rencontré tous ces sportifs exceptionnels, comme Stéphane Houdet ou le nageur handisport Sami El Gueddari, qui m'a invitée à danser à ses côtés lors d’une demi-finale de “Danse avec les stars”. Il est devenu mon grand frère dans le monde du handicap. Ma philosophie de vie a changé : je n'ai plus le temps d'avoir des soucis ou des problèmes relationnels. Après tant de souffrance, je veux profiter de la vie, celle que j'ai véritablement choisie… et de mon couple.

(1)Thérapie de “Désensibilisation et Retraitement par les Mouvements Oculaires" indiquée dans le traitement du stress post-traumatique et des phobies

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