« La condamnation de Fariba Adelkhah en Iran est illégale »

ENTRETIEN. L'avocat iranien de la chercheuse française condamnée à six ans de prison explique pourquoi cette peine ne respecte pas, selon lui, la Constitution.

Propos recueillis par

Fariba Adelkhah est spécialiste du chiisme et de l'Iran contemporain au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po.
Fariba Adelkhah est spécialiste du chiisme et de l'Iran contemporain au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po. © Qumars Hojjaty/Pars Times

Temps de lecture : 6 min

Le couperet est tombé samedi matin. Après onze mois de détention dans la prison d'Evin de Téhéran, Fariba Adelkhah, chercheuse franco-iranienne au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po, a été condamnée à six ans de prison – cinq ans pour « collusion en vue d'attenter à la sûreté nationale » et un an pour « propagande contre le système ». Une peine particulièrement lourde, que la France a condamnée. Elle « n'est fondée sur aucun élément sérieux ou fait établi, et revêt donc un caractère politique », a dénoncé dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.

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La surprise est d'autant plus grande que son collègue et compagnon, Roland Marchal, a, lui, été libéré le 20 mars dernier dans un retentissant échange avec l'ingénieur iranien Jalal Rohollahnejad, qui était, pour sa part, incarcéré à Nice depuis janvier 2019. Saeid Dehghan, avocat à Téhéran de Fariba Adelkhah, explique pourquoi cette peine ne respecte pas, selon lui, la Constitution iranienne et donne des nouvelles de l'état de santé de sa cliente.

Le Point : La peine prononcée contre votre cliente vous a-t-elle surpris ?

-Saeid-Dehghan-Fariba-Adelkhah- ©  DR
Saeid Dehghan est l'avocat de la chercheuse française Fariba Adelkhah. © DR
Saeid Dehghan : La peine qui a été prononcée est illégale. Les quatre cinquièmes du document sont un copié-collé de l'acte d'accusation, et le cinquième restant ne fait que donner des détails sur la traduction de la peine en termes d'années de prison. À mon sens, le juge n'a pas effectué son travail. Il n'a même pas mentionné nos plaidoiries. Pas une ligne ! Normalement, il aurait dû faire preuve de neutralité vis-à-vis du procureur et de l'avocat. Il est donc sorti de son rôle.

Cette peine peut-elle encore être annulée en appel ?

Fariba Adelkhah a été condamnée à 6 ans de prison. Mais cette peine n'est pas encore définitive. Nous avons fait appel ce dimanche et le cas doit être étudié par la cour d'appel, puis par la Cour suprême. Nous n'avons pas beaucoup d'espoir concernant la première, car le cas de madame Adelkhah est lié à la « sécurité de l'État » et doit donc être jugé par le Tribunal révolutionnaire, généralement plus sévère. S'il avait été simplement « politique », alors, c'est un tribunal civil de Téhéran, réputé beaucoup moins dur, qui l'aurait jugée. Nous fondons un peu plus d'espoir dans la Cour suprême, sauf si un événement politique intervient d'ici là.

Sur quoi les accusations portées contre Fariba Adelkhah pèsent-elles exactement ?

Fariba Adelkhah a été accusée d'espionnage dès son arrestation en juin 2019. Mais nous avons réussi à monter un dossier solide, de sorte que cette charge a été abandonnée à la fin de l'année dernière. Nous pensions donc que l'affaire serait rapidement pliée. C'est là qu'ils ont ajouté trois nouvelles accusations : collusion en vue d'attenter à la sûreté nationale, mise en danger de l'espace public à travers l'opposition à la loi sur le port obligatoire du voile et propagande contre le système.

La propre Constitution de la République islamique n'est pas respectée.

Pourquoi, contrairement à Roland Marchal, Fariba Adelkhah n'a-t-elle pas été libérée, d'après vous ?

À la différence de Roland Marchal qui étudiait l'Afrique, Fariba Adelkhah travaillait sur l'Iran et le chiisme. Elle a réalisé sa thèse sur la question du voile, et tous ces sujets sont considérés comme sensibles par les autorités iraniennes. Mais ces travaux ont été réalisés dans le cadre de ses activités de chercheuse. Elle doit donc être blanchie.

Lire aussi Roland Marchal : « Mes interrogateurs en Iran me questionnaient sur Macron et les Gilets jaunes »

Pourtant, ses écrits étaient très pondérés…

Il est vrai qu'elle est très prudente dans ses écrits académiques, mais cela ne signifie nullement qu'elle était sympathisante du régime iranien, comme certains l'accusent. Le point essentiel, à mon sens, est que ses travaux ne sont en rien une menace à la sécurité de l'État. D'après l'article 168 de la Constitution iranienne, son cas devrait être considéré comme politique et donc jugé par un tribunal public, en la présence de journalistes et d'un jury populaire. Nous insistons là-dessus. Or, cela n'est pas le cas. Cela signifie que la propre Constitution de la République islamique n'est pas respectée. En tant que chercheuse, Fariba Adelkhah a donné un avis dans le cadre de la liberté d'expression, qui est censée être garantie en Iran par l'article 23 de la Constitution.

Pourrait-elle être, elle aussi, échangée contre un prisonnier iranien détenu à l'étranger ?

Tout ce qui est relatif aux échanges des prisonniers n'a rien à voir avec le droit. Maintenant, selon mon expérience, il y a eu, par le passé, des échanges de ce type, et le dernier exemple en date n'est autre que celui de Roland Marchal, qui a été échangé au mois de mars contre Jalal Rohollahnejad, un prisonnier iranien détenu en France. Le tribunal révolutionnaire ne pouvait pas condamner monsieur Marchal, car son dossier était vide. Il en va de même pour Fariba Adelkhah. On peut donc imaginer que des négociations entre les systèmes politiques et les renseignements de l'Iran et de la France ne puissent pas être sans effet. Maintenant, à mon avis, la possibilité d'un échange est plus faible concernant Fariba Adelkhah. D'après la loi, l'Iran ne reconnaît pas la double nationalité, ce qui était le cas avant même la révolution de 1979. Par conséquent, ma cliente est traitée ici comme une citoyenne iranienne. Or, dans le système de la République islamique, un échange entre Iraniens n'a aucun sens.

Comment va votre cliente ?

Heureusement, son état psychologique s'est beaucoup amélioré. Je rappelle qu'elle avait réalisé en début d'année une grève de la faim qui l'avait beaucoup affaiblie. Elle pouvait à peine marcher et nous l'avons exhortée à reprendre son alimentation, ce qu'elle a finalement accepté. Mais Fariba Adelkhah souffre toujours de problèmes rénaux.

Lire aussi En Iran, le supplice de Kylie Moore-Gilbert

Pouvez-vous la voir fréquemment ?

On ne m'empêche pas de voir ma cliente. Je peux lui rendre visite au moins une fois par mois, parfois plus, quand je le demande, et nous nous parlons trois fois par semaine au téléphone. Fariba Adelkhah se trouve dans le quartier public de la prison d'Evin réservé aux femmes. Elle s'y trouve avec une quarantaine d'autres détenues, dont l'avocate Nasrin Sotoudeh, et la citoyenne irano-britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe (qui ont toutes deux bénéficié d'une permission de sortie). J'ai, par ailleurs appris, que Fariba était devenue responsable de la bibliothèque de la prison et qu'elle donnait à ses codétenues des cours de français.

Pourquoi Fariba Adelkhah n'a-t-elle pas bénéficié, elle aussi, en mars d'une permission de sortie ?

Nous avons réclamé cette libération à plusieurs reprises, mais elle n'a jamais été acceptée. La faute incombe à certains responsables du pouvoir judiciaire iranien, qui prennent souvent des décisions trop dures qui ne respectent pas l'État de droit. Ils ne sont pas neutres vis-à-vis des dossiers qu'ils traitent.

N'est-ce pas mission impossible que d'être aujourd'hui avocat en Iran ?

Il est intéressant de noter que le comportement de ce même Tribunal révolutionnaire change totalement lorsque les dossiers ne relèvent pas de la sécurité de l'État. Nos plaidoiries sont alors considérées par le juge, et les peines prononcées sont beaucoup moins dures, si ce n'est annulées. Je vous rappelle, par ailleurs, que l'on a obtenu de cette même cour l'annulation de l'accusation d'espionnage formulée contre Fariba Adelkhah au mois de janvier. Or, celle-ci constituait l'essentiel du dossier. En résumé, il est très difficile d'être avocat en Iran dans la situation actuelle. Cela équivaut à marcher sur un champ de mines. Mais, dans le même temps, la justice peut fonctionner dans certains cas. Comme le dit cet adage iranien, la source d'eau peut trouver son chemin entre les pierres. Elle peut les mouiller et les rendre plus souples.

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Commentaires (9)

  • jpg1

    Je pense que l'Iran ne devrait pas gâcher le reste de sympathie que lui porte encore l'opinion publique française : à quoi jouent les mollahs et son représentant "suprême" ?

  • alibofi

    Il faut l'échanger avec Laetitia Avia.

  • le Papou

    Après l'anglo-australienne Kylie Moore-Gilbert (le Point du 6 mai), le régime des mollahs a pris en otage une autre chercheuse, française cette fois.
    Comme à chaque fois, les occidentaux se contentent de protester... Mais finiront bien par céder et, acceptant cette prise d'otage, échanger la malheureuse contre un terroriste, un vrai.
    Ces moyenâgeux ne comprennent que la loi du talion. Comme nous n'allons pas nous abaisser à utiliser leurs méthodes barbares, il est grand temps de mettre le régime iranien au ban des nations et de cesser toute relation avec lui.