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coming outLes grands-parents face au coming out : "A l’époque, je ne l’aurais pas accepté"

Par Stéphanie Gatignol le 19/05/2020
Coming out

Issus de générations où l’on parlait peu de « ces choses-là », ils racontent leur réaction lorsqu’ils ont appris l’homosexualité d’un petit-enfant. Témoignages. 

 « C’est toujours compliqué de devoir annoncer son homosexualité à ses grands-parents, estime Maëva, 22 ans. Il y a la peur qu’ils jugent, qu’ils ne la prennent pas au sérieux ou disent que « ça passera ». Du fait d’un gros écart d’âge, on les imagine plus vieux jeu, peut-être à tort. Car, c’est probablement aussi cliché que de les croire plus bienveillants parce qu’ils ont de la sagesse et de l’expérience ».  En 2013, une lettre à rebours des a priori était mise à l’honneur dans la presse. Un grand-père anglais y prenait fait et cause pour son petit-fils que sa mère avait congédié après son coming out.  Qualifiant la réaction de sa fille d’ « abomination », le papy concluait sa mise au point salée d’un lapidaire : « Puisqu’il est question de renier nos enfants, je pense que je vais en profiter pour te dire au revoir.(…) Reviens quand tu auras un cœur.» 

"C'est bien qu'il l'ait dit"

Muriel, 71 ans, n’aurait pas hésité à jouer les intermédiaires si les parents de son petit-fils n’avaient pas admis qu’il était gay. Elle n’a pas eu à s’en soucier. Baptiste, 22 ans, était au lycée lorsqu’il a fait part de ses préférences à Audrey, sa maman. C’est elle qui a mis sa grand-mère maternelle dans la confidence, une semaine après. Contrairement à sa fille qui ne s’était doutée de rien face à ce garçon qui « fait très mâle physiquement », Muriel avait eu la puce à l’oreille. Pendant les vacances qu’il passait chez elle, Baptiste était toujours entouré de trois ou quatre copines. « Quand je relevais qu’elles étaient toutes plus belles les unes que les autres, il me répondait : tu sais, Mamie, ce sont mes petites sœurs.» Muriel n’a pas averti Audrey, ce n’était pas son rôle. « Je n’avais pas à aller au- devant de Baptiste », mais elle s’est félicitée qu’il ait parlé. 

« J’ai fini par lui lancer qu’il était homophobe. Et le roi des cons. » 

La sexagénaire a vu trop de gens souffrir du silence ou du mensonge. Comme ce collègue de son âge qui s’est marié avec sa meilleure amie pour que ses parents le laissent tranquille. « Elle s’est fait faire une insémination avec son sperme et ils ont eu des jumeaux, ce dont il était très heureux », mais devoir en passer par la couverture d’une vie hétérosexuelle afin d’avoir la paix, « c’est une horreur ! », déplore-t-elle. Son discernement tient probablement à son éducation. « Quand j’étais petite, Maman m’avait expliqué que des hommes peuvent aimer d’autres hommes. » A sa première déception sentimentale, Baptiste s’est inquiété de ne jamais réussir à faire sa vie avec quelqu’un. « J’ai pu lui certifier que ce n’était pas une question d’orientation et qu’il y avait des homosexuels très heureux ». Muriel a une demi-sœur. Qui, de son côté, a elle-même une sœur et un frère homosexuel. « Nous, les trois filles, sommes divorcées. La seule histoire à avoir tenu, c’est la sienne ! » 

Peur de l'agression physique

A l’idée que l’homosexualité puisse poser problème, elle le répète en boucle : « non, je ne comprends pas qu’à notre époque, on puisse être contre.»  Elle a cessé de voir une copine qui s’obstinait à conserver ses œillères. « J’avais beau lui expliquer qu’il s’agissait de sentiments, qu’il n’y avait rien d’écœurant, elle ne voulait rien entendre. » Elle raconte aussi cette prise de bec avec un homme auquel elle expliquait que le tango argentin se dansait, à l’origine, entre messieurs. Cette réalité heurtait sa virilité. « J’ai fini par lui lancer qu’il était homophobe. Et le roi des cons. »

Dans ses propos, un amour inconditionnel pour ce petit-fils arrivé comme un « super cadeau » il y a 22 ans trois jours après son anniversaire. Elle espère qu’un jour, lui aussi pourra avoir un enfant. « Il les adore et fera un très bon papa ». Sa seule peur ? Que Baptiste puisse subir une agression physique. Quand il sort le soir, elle préfère lui payer le taxi pour qu’il rentre en sécurité…

Et la violence peut aussi s’exercer par le verbe. Michaël en sait quelque chose. A 29 ans, il se souvient des quolibets de la cour d’école, des « PD », des « tapette », ce mot qu’il a eu tant de mal à prononcer quand sa mère l’interrogeait sur ce qu’il y endurait. Il avait seize ans lorsqu’il lui a annoncé, dans les larmes, son orientation sexuelle. C’est elle qui, peu de temps après, a relayé l’info auprès de ses propres parents qui ont, aujourd’hui, 79 ans. Comme la grand-mère maternelle de Michaël entend mal, il s’est proposé de servir d’intermédiaire pour lui poser nos questions. S’en est suivie une conversation qui leur a permis d’évoquer, pour la première fois, ce fameux jour de 2007 où ses grands-parents ont appris. « Elle avait l’air contente de cet échange. Et semblait vouloir me rassurer, alors que je l’étais totalement. » Son aïeule lui a expliqué qu’elle et son mari s’étaient surtout inquiétés de la réaction de (s)on père, plus dur sur ces sujets ».

"Les gens parleront toujours. Si ce n’est pas ça, ce sera autre chose."

"Être homo, d'accord, mais.." 

Pour ces seniors, l’annonce fut une non-surprise, presqu’un soulagement. « Ils avaient vu que je n’étais pas un garçon comme les autres. J’étais assez efféminé… » Ils attendaient simplement qu’il fasse le premier pas. Très croyante, sa mamie a décidé qu’elle n’irait plus à l’église. Le refus des modèles de vie différents, les scandales de pédophilie l’en ont écartée. « Mais elle prie pour moi », souligne Michaël. Malgré sa tolérance, elle conçoit que d’autres puissent avoir besoin de cheminer. Jeune, elle n’était pas aussi ouverte d’esprit ; sa propre histoire l’a fait évoluer car, elle aussi, s’est sentie rejetée. La demoiselle issue d’un milieu bourgeois a épousé un immigré portugais. Pour les siens, c’est comme si elle avait choisi un voyou…  Aujourd’hui,  elle se fiche du qu’en-dira-t-on ? « Les gens parleront toujours. Si ce n’est pas ça, ce sera autre chose. Et ce qui est chez nous nous regarde. » A ses côtés, le grand-père est sur la même longueur d’ondes. Dans le regard de cet homme taiseux qui « était très strict » avec sa fille, le petit-fils lit « de la bienveillance et il adore mon copain ». 

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Durant l’échange que Michaël a eu avec sa grand-mère, une remarque l’a titillé. « Elle m’a dit : tu es discret… ». Le jeune homme n’est pas enclin à manifester son affection en public. Mais « cette phrase pourrait signifier qu’il est convenable d’effacer qui l’on est. Qu’être homo, d’accord, mais sans trop s’afficher. Si je défilais avec un short et un boa, ce serait plus difficile à avaler.» Il a décelé dans cette réflexion que « son niveau d’acceptation n’était peut-être pas tout à fait le même que celui des générations actuelles.» Michaël a, néanmoins, conscience de sa chance. D’autant que, pour son futur époux, c’est une autre affaire.

Refus du mariage

Le grand-père paternel de Sylvain* s’est éteint à 89 ans sans que son petit-fils ait pu mettre des mots sur un secret de Polichinelle. Catholique pratiquante, la famille avait donné pour consigne de ne jamais lui en parler. Et il ne voulait pas serrer la main de Michaël. Quant à sa femme, 94 ans aujourd’hui, elle envisage leur mariage en septembre comme une mascarade. Elle refuse de voir la plaquette commerciale du cadre prévu pour la fête et trouve le faire-part trop traditionnel, avec ces parents et leurs enfants qui convient les invités. Cette appropriation des codes lui est inconcevable.

Bref, elle a décidé qu’elle n’assisterait pas à la cérémonie… bien qu’elle entretienne une très bonne relation avec le couple. « Elle distingue ce que l’on représente de ce que l’on est, explique Michaël qui dissocie, lui, la femme de convictions et la femme humaine. » Sylvain a de l’affection pour elle et souffre de sa rigidité. Comme de devoir cacher la démarche de GPA dans laquelle le couple s’est engagé aux Etats-Unis. L’une des grands-mères s’en réjouit, sans forcément en cerner les enjeux et les contours. Elle a même imaginé une liste de prénoms pour son arrière petit-enfant. Pour l’autre, sujet tabou et plus qu’épineux ! « Si elle est toujours là à la naissance du bébé, qu’est-ce qu’on fait ?» 

"C'est leur vie"

Dans la galerie de portraits, il y a aussi ces grands-parents prêts à tolérer pour leurs petits-enfants ce qu’ils n’auraient pas admis pour leurs enfants. A l’image de Michel, 76 ans, le grand-père de Maëva. Il a compris qu’elle était lesbienne par une allusion implicite de son fils. Maëva n’avait pas demandé à son papa de baliser le terrain, mais « comme je fuis un peu les problèmes, ça m’a bien arrangée. » « Si elle était venue elle-même, je ne lui aurais pas fait la leçon », poursuit Michel. C’est peut-être l’âge, mais je l’ai sans doute beaucoup mieux accepté que je ne l’aurais fait il y a trente ans. A l’époque, je n’aurais pas voulu que le partenaire vienne à la maison. »

"Il ne changera pas d’avis, mais il reste mon grand-père et moi, sa petite-fille. »

De son propre aveu, il est devenu plus conciliant. Parce qu’avec les années, « on a d’autres soucis », parce que « c’est leur vie » et parce que « c’est devenu de plus en plus courant et que ça se sait de plus en plus ». L’orientation sexuelle de Maëva ne l’a pas gêné. Mais, avec le courage de la franchise, il lâche un  : « imaginez si toutes les femmes arrêtaient de faire des enfants… » Voir deux hommes s’embrasser « le dégoûte un peu » ; deux filles moins. A condition que cela reste discret. Il désapprouve la loi Taubira et l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. « Une grosse erreur ! Le PACS existait…»  La difficulté qu’éprouvent certains parents face au coming-out ?  Il peut la comprendre. « Quand on met des enfants au monde, c’est avec l’espoir qu’ils en fassent aussi. »

Comme Maëva sait qu’elle et Michel peuvent facilement « monter au créneau » sur ces sujets qui fâchent, elle évite les discussions vaines. « Ce n’est pas simple d’éduquer ses grands-parents, mais je crois qu’il y a d’autres combats à mener, se marre-t-elle. Il ne changera pas d’avis, mais il reste mon grand-père et moi, sa petite-fille. » Au-delà du carcan des préjugés, elle se souvient de cette cousine lesbienne qu’elle voyait chez ses grands-parents quand elle était petite. « Elle venait chez eux avec sa copine, ils ne lui ont jamais tourné le dos.» 

Plus lourd que méchant

Jusqu’ici, Maëva n’a jamais pris la peine d’informer la branche maternelle de sa famille. Même sa grand-mère dont elle est très proche, dont elle est sûre qu’elle sait et qu’elle réagira parfaitement. « Son petit frère qu’elle aimait énormément est mort du SIDA ». Si elle traîne des pieds, c’est, semble-t-il, plus par procrastination que par anxiété. « Il faudrait que je lui dise », se promet-elle, tout en glissant qu’elle préférait que ses cousines s’y collent. Quant à son grand-père paternel, il tomberait des nues !  « Lorsque je suis partie au Canada, il m’a suggéré de ramener un bûcheron. Mon père a rigolé en lançant : « plutôt une bûcheronne ! », mais il n’a rien capté… Un jour, il a même demandé à mon frère comment il trouvait ma copine. Il voulait le caser avec elle ! »

  Sa réaction s’il saisissait ces allusions semées comme des petits cailloux blancs ?  « Elle serait plus lourde que méchante. Parce qu’il est super gentil». Sur l’autre branche de son arbre généalogique, Michel reste campé sur ses principes. Mais, ni son regard sur Maëva, ni l’amour qu’il lui porte n’ont changé. « Et elle nous le rend bien », dit-il. Serait-il prêt à accueillir sa petite amie sous son toit ? « Oui, je crois que ça ne me dérangerait pas ». Mais pas les copines de passage. « Seulement si c’est du sérieux ! »

 

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