Covid-19 : pourquoi il est urgent d’allonger les délais de l’IVG

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Le confinement a rendu compliqué l’accès à l’avortement. Des militantes, avocates, médecins ou politiques réclament un allongement des délais de 12 à 14 semaines. Une demande pour le moment rejetée par le Sénat.

Le droit à disposer de son corps est un droit arraché de haute lutte, comme le prouvent nos archives. En 1961, Marcelle Auclair, ayant appelé aux témoignages dans notre magazine, publie Le livre noir de l’avortement.

En 1972, le reportage de Jeanne Dodeman sur la pratique militante des avortements dévoile la méthode Karman. Au fil des années, Marie Claire aura accompagné les victoires, le remboursement par la Sécurité sociale en 1982, l’IVG médicamenteuse pratiquée par les sages-femmes, l’allongement des délais… mais aussi dénoncé les reculs, les inégalités territoriales, sociales, économiques, les pressions des anti-choix et les refus des médecins réfugiés derrière leur clause de conscience.

En 2020, les mots de Simone de Beauvoir prennent une nouvelle résonance quand une "crise sanitaire" freine l’accès au droit à l’avortement : "N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question".

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De nombreuses femmes hors-délai 

Ainsi, dès le début du confinement, les militantes du Planning familial ont tiré le signal d’alarme : sur les plateformes téléphoniques, les appels avaient triplé et en parallèle la vente des tests de grossesse avait explose de 37%. Ce qu’elles craignaient s’est hélas produit : confinées 55 jours dans un huis-clos familial parfois violent, dans l’impossibilité de consulter, des femmes qui n’ont pu diagnostiquer à temps leur grossesse sont aujourd’hui à la limite ou hors délais pour avoir recours à une IVG.

"J’en ai reçu une ce matin, j’en reçois une autre demain, je ne vois que des hors délais, constate Ghada Hatem, gynécologue, présidente de la Maison des femmes à Saint-Denis (93). On a tous vécu le confinement, le fait de ne pas être libre de ses mouvements. Or, quand vous vivez dans un environnement où vous n’êtes pas en sécurité, vous hésitez encore plus à faire des choses à la limite, ou quand vous êtes une jeune fille et que vos parents ne savent même pas que vous n’êtes plus vierge, comment pouvez-vous justifier de disparaître une journée ? Beaucoup ont peur et ne sont pas encore sorties, on va voir arriver toutes celles qui se disent 'Il est temps que je consulte'. Le gouvernement doit arrêter d’imaginer que le kif des femmes, c’est de se faire avorter hors délai, et comprendre que ça ne concerne que des femmes qui ont eu des galères..."

Le 12 mai, une soixantaine de député(e)s et sénatrices publiaient une tribune dans Libération, suivie le 14 mai par celle d’avocats et de médecins, dans le Nouvel Observateur, tous appelant à assouplir la loi pour prévoir l’allongement des délais d’accès à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse afin de garantir le droit des femmes à disposer de leur corps.

Une frilosité en ce qui concerne l'IVG chirurgicale

Dans le cadre du projet de loi Urgence Covid-19, Laurence Rossignol, sénatrice de l'Oise, avait déjà déposé le 19 mars dernier un amendement dans ce sens. Un amendement refusé par le ministre de la Santé Olivier Véran et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.

Interrogée, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, nous rappelle les dispositions qu’elle a prises avec Olivier Véran : "J’ai dit dès le début du confinement qu'il fallait tenir compte de cette période particulière, penser aux dénis de grossesse, aux femmes et jeunes filles victimes de violences sexuelles, viol conjugal ou inceste, tombée enceintes à ce moment-là. Au changement de mode de vie qui dérègle les cycles… dès les premiers jours, le gouvernement a permis l'accès libre à la pilule en pharmacie sans passer par un médecin. Ensuite, nous avons allongé les délais d’IVG médicamenteuse à neuf semaines et permis qu’elle soit possible entièrement par télé-consultation."

Alors comment expliquer cette frilosité quand il s’agit d’allonger le délai de l’IVG chirurgicale de deux petites semaines et ce jusqu'à trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire le 10 juillet prochain ?

"Avec Olivier Véran, nous avons interrogé la Haute Autorité de Santé, explique Marlène Schiappa, car allonger les délais d'accès à l'IVG, c'est une décision très loin de faire consensus et qui se doit d'être bordée juridiquement. Notre décision d’avoir allongé l’IVG médicamenteuse est contestée juridiquement par Alliance Vita qui a déposé un recours devant le Conseil d'État. Je reste prudente dans l'expression, ce n'est pas pour moi, on a l’habitude d’en prendre plein la figure quand on défend les droits des femmes, mais on ne doit donner que des informations sérieuses et validées par toutes les autorités sur ce sujet, pour les femmes elles-mêmes…"

Un véritable bras-de-fer avec le gouvernement

Un argument irrecevable pour l’avocate Michelle Dayan, présidente de Lawyers for Women (L4W), mobilisée avec d’autres juristes pour réécrire un nouvel amendement à rattacher à la loi sur l’état d’urgence sanitaire qui est passé en séance publique au Sénat le 26 mai, et a été rejeté avec un écart de 13 voix.

"Il y a eu un certain nombre d’ordonnances et de décrets votés en urgence sur à peu près tous les sujets, on a allongé tous les délais de procédure, on a organisé le report de la déclaration des revenus, de l’Urssaf, on a même pensé à une ordonnance pour tenir les assemblées d’actionnaires en visioconférence, on a tout prévu sauf l’allongement de deux petites semaines de l’IVG chirurgicale, rappelle-t-elle à Marie Claire. L’arsenal législatif est au service de la volonté politique et sociétale. L’argument de Marlène Schiappa n’est pas recevable. Ils ont bien allongé de deux semaines le délai de l’IVG médicamenteuse et ça n’a pas posé de difficulté juridique, donc quand on veut, on peut. Cette loi sur l’état d’urgence sanitaire est une loi fourre-tout. On pouvait très bien y rattacher l’amendement proposé par Laurence Rossignol rejeté comme 'cavalier législatif', un faux prétexte. Et notre demande de passer de 12 à 14 semaines n’a rien d’exceptionnel quand on sait que le délai de l’IVG est de 14 semaines en Espagne et en Autriche, 18 semaines en Suède, 20 aux Pays-Bas et 22 au Royaume-Uni…"

Pourquoi ce bras de fer avec le gouvernement que l’on peut difficilement soupçonné d’être opposé à l’avortement ? "Ils n’ont pas envie d’un nouveau débat de société dans ce contexte difficile, dit Michelle Dayan, contactée quelques jours avant l'examen de l'amendement. Le 26 mai, au Sénat, il faudra que Laurence Rossignol parle bien des violences subies pendant le confinement, des problèmes économiques qui changent le cours d’une vie, des grossesses non désirées et des inégalités sociales. Comment faire quand on n’a pas les moyens d’avorter dans la clinique privée d’à côté, ou à l’étranger, aucun réseau ou ami gynécologue ? Juridiquement, il y a rupture d’égalité devant la loi. Nous, on prépare les assignations pour dans quelques mois…"

Même colère chez la Dre Ghada Hatem, qui affronte au quotidien la détresse des femmes. "Honnêtement, à part la trouille, je ne vois pas. Et cela me désole. On parle de deux petites semaines ! Je repense beaucoup à Simone Veil, seule à l’Assemblée nationale  face à des hommes hostiles. C’était même pas son combat, mais elle l’a mené comme une guerrière parce que ça allait avec son éthique. Aujourd’hui, je me dis qu’il n’y en pas un qui se lèverait et qui dirait 'Oui je comprends, je prends sur moi, on y va'. Mis sur la table, ces amendements passaient. Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils ont peur des anti-IVG. Il faut accepter de déplaire à certains électeurs sinon ça veut dire qu’on n’a zéro conviction, zéro engagement."

  

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