À moins d’avoir eu la chance de copuler exclusivement avec des individus responsables, prévenants et bienveillants, il nous est toutes arrivées au moins une fois, en tant que femmes hétéros, de coucher avec un homme qui refusait de porter un préservatif.

"J’en ai pas sur moi, la flemme d’aller en acheter!", "Ça me fait débander !", "J’ai beaucoup moins de sensations", "C’est un truc de mauviettes !" ou encore "Il n’en font pas à ma taille" : les prétextes et mauvaises excuses pour se délester du tant redouté bout de latex ne viennent généralement jamais à manquer, quand le sujet n’est pas tout simplement éludé. 

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Les lois de l’attraction

Preuve de ce phénomène : quand on se risque à taper sur Google “Je ne veux pas porter de capote”, on tombe alors sur près de 720 000 résultats qui d’ailleurs, pour les premiers du moins, mettent en garde contre ce dangereux postulat. À l’inverse, quand on écrit dans la barre de recherche “Que faire lorsqu’il refuse de mettre un préservatif ?”, le nombre de réponses monte jusqu’à 1,2 millions.

Autrement dit, le refus de porter un préservatif dans le cadre d’une relation intime hétérosexuelle pour des raisons de commodité individuelle et, par extension, le fait d’imposer cette décision à sa partenaire au détriment de la santé sexuelle de cette dernière, reste encore, au XXIe siècle, une problématique (très) courante.

S’il reste difficile de la quantifier précisément, une étude de l’université de Southampton1 a pu dégager certaines tendances. Ainsi, plus un homme trouverait une femme attirante, plus il serait susceptible de refuser de porter un préservatif s’il était amené à coucher avec elle. Plus navrant encore : plus un homme aurait tendance à se trouver lui-même beau et attirant, moins il serait enclin à se protéger pendant un rapport sexuel. “Un bel homme peut avoir le sentiment qu’il peut influencer sa partenaire dans le fait de ne pas porter un préservatif.” précise le rapport.

Un constat crédible lorsque l’on sait que, selon une autre étude de la même université, les femmes ont plus tendance à coucher avec un homme sans préservatif lorsqu’elles trouvent que ce dernier est extrêmement attirant. À croire que les lois de l’attraction ne font pas toujours bien les choses en matière de sexualité protégée.

“Je ne te raconte pas le combat pour qu'il mette des capotes les garde jusqu'au bout”

Car, on le sait, coucher avec un sombre inconnu sans recourir à un préservatif, c’est s’exposer à tout un tas d’infections et de maladies sexuellement transmissibles, voire à une potentielle grossesse non désirée. Des risques non négligeables, que certains sont pourtant près à balayer d’un revers de la main au nom de leur sacro-saint plaisir. "Quand j'ai commencé à avoir des relations sexuelles, j'ai commencé à prendre la pilule, qui me foutait en vrac, mais comme mon copain disait “la capote me gêne”, “j'ai moins de sensations” et “j'arrive pas à bander dans du plastique”, je n'avais vraiment pas le choix", expliquait Eglantine dans un article de Slate d’octobre 2019.

"Un jour, j'ai dû arrêter (la pilule, ndlr), avant de finir à l'hôpital. Et mon mec de l'époque, qui savait, n'a pas voulu mettre de capote, ne s'est pas retiré, j'ai dû aller chercher une pilule du lendemain. Parce que lui, ça le faisait chier. Je ne te raconte pas le combat pour qu'il mette des capotes et qu'il les garde jusqu'au bout. Combien de fois il les a viré en cours de rapport ? Je ne peux même pas compter", poursuit la jeune femme dans cette enquête signée Clémentine Gallot, journaliste indépendante et co-autrice d’un essai publié en juin dernier intitulé La charge sexuelle : pourquoi la sexualité est l'autre charge mentale des femmes (First Editions, 2020).

 

Charge sexuelle et contraception sous pression 

Contactée par e-mail, Clémentine Gallot nous explique pourquoi ce refus de certains hommes de porter un préservatif, en plus d’être égoïste et un brin inconscient, accroît la charge sexuelle qui pèse déjà au préalable sur les femmes, à l’image de la charge mentale concernant la répartition des tâches domestiques au sein des couples.

“Le port du préservatif est à l'intersection de deux problématiques : la santé sexuelle et la contraception. Il a fait son grand retour dans les années 80 avec le Sida. Mais, au lieu d'impliquer les hommes, les campagnes d'Etat vont être dirigées vers les femmes. Par ailleurs, en matière de santé sexuelle, on s'est rendu compte que les hommes hétéros décorrèlent santé et sexualité, alors que lorsqu’on est gay ou bisexuel par exemple, on bien a compris le message du VIH !”

Comme le rappelle la journaliste, 60% des hommes* ne discuteraient ni de contraception ni d’infections sexuellement transmissibles (IST) avant un premier rapport, délégant ainsi aux femmes la responsabilité du “soin”, du “care” corporel. Une charge sexuelle donc, qui se double quasiment systématiquement d’une charge contraceptive, comme l’ont démontré les chercheuses Cécile Thomé et Cécile Ventola.

“Elles parlent de “naturalisation de la contrainte” : en France, les femmes sont vues comme dépositaires de la santé sexuelle du couple, comme s’il s’agissait d’un domaine de compétences typiquement féminin”, détaille Clémentine Gallot. Une intériorisation que confirme également Fiona Schmidt, militante féministe et créatrice du compte Bordel de mères, dans ce même article de la journaliste. "J'ai découvert la charge mentale contraceptive en 2017", se rappelle-t-elle. Avant d'avoir ce déclic, je me suis toujours dit que c'était moi qui était susceptible de tomber enceinte, donc que c'était mon problème. Comme si cela faisait partie de la féminité. Les capotes, c'est moi qui les avais et qui y pensais. Depuis mes 15 ans, ce ne sont pas mes copains qui ont souffert la mort en prenant la pilule, que je ne supportais pas", raconte-t-elle.

La capote de l’égalité

Autant de contraintes qui poussent certaines jeunes femmes, comme Justine*, 29 ans, à ne plus prendre de contraception, bien que l’homme qu’elle fréquente affirme ne pas aimer porter de préservatifs. “C’est à cause de la charge mentale contraceptive que j’ai pris cette décision. Ça me parait aberrant que l’être qui ait la charge de la contraception soit celui qui soit fertile seulement quelques jours par mois, alors que celui qui l’est toute l’année n’en prend pas du tout !”.

Sa solution pour ne pas tomber enceinte ? “Le retrait. Ça marche bien pour le moment et ça me convient plutôt bien.”

Si la médecine considère cette méthode de contraception comme bien trop aléatoire, inefficace et incertaine pour être prônée, d’autres spécialistes préconisent une remise à plat de l’éducation sexuelle dans son ensemble, du moins telle qu’elle est conçue par les institutions et autres autorités publiques.

Le but ? Corriger ces comportements genrées discriminants face à la contraception et la santé sexuelle. Et faire du préservatif le nouvel allié d’une sphère de l’intime construite sous le signe de l’égalité.

Merci à Clémentine Gallot, co-autrice du livre “La charge sexuelle : pourquoi la sexualité est l’autre charge mentale des femmes.” (First Editions, 2020), d’avoir répondu à nos questions.

1. “Does Attractiveness Influence Condom Use Intentions in Heterosexual Men ? An Experimental Study” de Anastasia Eleftheriou, Seth Bullock, Cynthia A Graham, Nicole Stone et Roger Ingham. Juin 2016.

* Le prénom a été changé sur demande.