SANTEA Bordeaux, un centre pour les victimes de mutilations sexuelles

Bordeaux : Un institut créé pour aider « 300 femmes victimes d’excision par an »

SANTECe lundi 7 septembre, un institut régional de soins pour les femmes victimes de mutilations sexuelles ouvre à Bordeaux. Marie-Claire Kakpotia Moraldo est à l’initiative de ce projet avec son association Les Orchidées rouges, qui lutte contre l’excision
 Marie-Claire Kakpotia Moraldo a fondé l'association Les orchidées rouges qui lutte contre l'excision.
Marie-Claire Kakpotia Moraldo a fondé l'association Les orchidées rouges qui lutte contre l'excision. - Les orchidées rouges  / Les orchidées rouges
Elsa Provenzano

Propos recueillis par Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Un institut régional d’aide aux femmes victimes de mutilations sexuelles ouvre ce lundi à Bordeaux.
  • Animé par une équipe pluridisciplinaire, il propose un parcours personnalisé avec une possibilité de chirurgie réparatrice de l’excision.
  • La fondatrice de l’association qui porte le projet, elle-même victime d’excision, ambitionne d’accompagner 300 jeunes filles et femmes par an.

Proposer un accompagnement global (psychologique, social et médical) aux filles et femmes victimes de mutilations sexuelles, c’est la mission que veut remplir l’institut régional qui ouvre ce lundi à Bordeaux sous l’impulsion de l’association Les orchidées rouges. Sa fondatrice Marie-Claire Kakpotia Moraldo détaille le projet pour 20 Minutes.

Comment repérez-vous les femmes qui ont besoin d’aide ?

L’institut est rentré en contact sur toute la région avec des associations qui accompagnent des publics susceptibles d’être concernés par l’excision ​pour qu’elles puissent les orienter. Par exemple, dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), il y a beaucoup de femmes qui ont subi l’excision et qui quittent leurs pays pour protéger leurs petites filles.

Comment est organisé l’accompagnement des victimes ?

La structure mobilise une équipe pluridisciplinaire de 25 personnes (gynécologues, médecins généralistes, sexologues, professionnels du bien être, travailleurs sociaux, psychologues etc.) Parmi eux des salariés, des prestataires qui travaillent également pour d’autres associations et des bénévoles.

Le premier rendez-vous se fait avec une infirmière, référente d’accueil et d’accompagnement, qui recueille leurs histoires. Elles bénéficient ensuite d’une consultation avec un gynécologue qui diagnostique quel type d’excision elles ont subi et préconise éventuellement une chirurgie. Les femmes doivent valider avec l’infirmière le parcours proposé par l’équipe pluridisciplinaire. Il est important qu’elles soient actrices d’un changement après avoir subi quelque chose qu’elles n’ont pas choisi.

L’institut a un partenariat la clinique Jean Villar à Bruges dans laquelle travaille un chirurgien membre de l’association qui a été formé à la chirurgie réparatrice de l’excision par l’inventeur de cette technique. On crée toute une bulle autour des femmes pour qu’il n’y ait pas de rupture dans l’accompagnement.

Des interventions chirurgicales sont-elles toujours possibles ?

On n’a encore jamais vu de cas où elles n’étaient pas possibles, en général les mutilations sexuelles sont réparables. Mais il est vrai qu’il y a parfois des excisions compliquées.

Les cas les plus difficiles à réparer, ce sont les excisions réalisées sous anesthésie dans des pays comme l’Egypte et la Guinée, car le clitoris est coupé à ras. L’excision traditionnelle, la plus répandue, se fait sans anesthésie, et quand la jeune fille se débat l’exciseuse ne peut pas couper de façon aussi radicale.

Et ces chirurgies sont-elles toujours souhaitables ?

La chirurgie aide bien sûr mais elle vient en complément d’une reconstruction psychologique, en amont et en aval de l’intervention. Il y a plusieurs types d’excisions. Pour les femmes victimes d’infibulation, la chirurgie est salvatrice. Il est clair que quand on a fermé la vulve d’une femme on n’a pas d’autre choix que de l’ouvrir si on veut qu’elle ait une sexualité normale. Certaines femmes excisées peuvent retrouver des sensations sans chirurgie alors que d’autres qui ont des douleurs pendant les rapports vont en avoir besoin.

Vous êtes vous-même passé par ce processus de reconstruction puisque vous avez subi une excision ?

Je suis née dans le nord de la Côte d’Ivoire, c’est là-bas que j’ai été excisée à l’âge de 9 ans par une tante, pendant les vacances scolaires, alors que ma mère était contre cette pratique. Sur le moment je n’ai pas vraiment réalisé ce qui s’était passé, j’ai eu mal certes mais je ne savais pas les conséquences que cela aurait sur ma vie de femme adulte. Plus tard, j’ai développé un sentiment d’infériorité, je ne me sentais plus comme une femme à part entière, je ressentais un profond mal-être.

A 34 ans, j’ai décidé de me reconstruire, je ne voulais surtout pas que l’excision ait le dernier mot sur ma vie. Je me suis fait opérer le 7 décembre 2016 et c’est ma deuxième date de naissance, je suis enfin devenue entière. J’avais déjà fait un travail psychologique énorme, mais ce sentiment de ne pas être entière subsistait, j’ai vécu l’excision comme une amputation.

Qu’est-ce qui a été le plus traumatisant dans cette expérience ?

Le plus difficile c’est d’être dépossédé de son corps. C’est lié à l’effet de surprise, à la brutalité de l’acte. Les exciseuses racontent des mensonges, moi on m’a dit que j’allais à une fête et au moment où j’ai compris, on me plaquait au sol et on me coupait le clitoris. Cela crée aussi un rapport biaisé à la sexualité. Là où j’ai grandi, on disait qu’il fallait vite exciser une jeune fille avant qu’elle coure derrière les hommes. Inconsciemment, on se dit alors que la sexualité est mauvaise.

Êtes-vous de plus en plus sollicitée en tant qu’association de lutte contre l’excision ?

Oui, on a de plus en plus de demandes, la situation est préoccupante. Plus l’association se développe et plus je reçois de jeunes filles nées en France et excisées pendant les vacances scolaires. Et le taux d’excision a également bondi à cause du Covid-19 notamment car les associations de terrain dans les pays concernés ont été moins présentes. A l’institut, on pourra accompagner jusqu’à 300 femmes par an.

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