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Société - Explosions du port

Prenez en compte les femmes dans la réponse à la tragédie de Beyrouth, réclame la société civile

Féministes et associations des droits des femmes du Liban s’associent dans la publication d’une charte, avec la coordination discrète d’ONU Femmes.

Prenez en compte les femmes dans la réponse à la tragédie de Beyrouth, réclame la société civile

Parmi les femmes les plus vulnérables, de nombreuses personnes âgées, seules et sans revenu. Une commerçante blessée et encore sous le choc, à l’issue de l’explosion de Beyrouth. Photo João Sousa

Une quarantaine d’associations et d’activistes féministes de la société civile libanaise publiaient une charte, fin août, pour rappeler aux acteurs locaux et internationaux la nécessité de tenir compte des femmes, dans leur réponse à la tragédie du port de Beyrouth. Passée inaperçue, cette charte est une nouvelle fois lancée aujourd’hui, avec d’autant plus d’énergie que dans leur évaluation des dommages et des besoins d’urgence post-catastrophe, la Banque mondiale, les Nations unies et l’Union européenne ont totalement ignoré les droits des femmes, de même que les communautés les plus marginalisées. Son objectif ? Revendiquer non seulement la reconnaissance des besoins des femmes et des populations marginalisées, notamment les communautés migrantes, LGBTQ, les femmes enceintes, les personnes âgées… mais les inclure dans la prise de décision, dans les feuilles de route et dans les politiques susceptibles d’éclore du drame qui a endeuillé la capitale libanaise, le 4 août dernier, faisant près de 200 morts, 6 500 blessés et 300 000 sans-abri.


L'explosion du port a rendu certaines femmes encore plus vulnérables. Dans le quartier de la Quarantaine, une mère de famille syrienne. Photo Joao Sousa


Sous-représentées dans la vie économique et politique

« Nous, les militantes féministes et les organisations de défense des droits des femmes au Liban, sommes profondément préoccupées par la situation humanitaire catastrophique créée par l’explosion de Beyrouth et par l’incapacité du gouvernement sortant à résoudre les difficultés des populations sinistrées en ces temps durs », souligne le document. « Nous appelons le nouveau gouvernement à rompre avec le vieux système politique sectaire, patriarcal et corrompu, et à travailler pour aider toutes les personnes touchées, y compris les femmes qui ont été trop longtemps réduites au silence et qui sont sous-représentées dans la vie économique et politique du pays », ajoute-t-il. « Nous demandons également aux partenaires internationaux du Liban de veiller à ce que leur appui parvienne à ceux qui en ont le plus besoin, y compris les femmes vulnérables, de manière équitable, neutre et responsable », poursuit le texte.

Le ton est donné. Parmi les personnes sinistrées de l’explosion de Beyrouth, de nombreuses femmes sont désormais sans abri, sans source de revenu et dans la misère la plus totale. Une situation particulièrement pénible lorsqu’elles sont âgées, qu’elles sont seules, qu’elles ont perdu un époux ou un fils qui les faisait vivre. « Ces femmes sont en grande difficulté, note la présidente de l’ONG Kafa, qui milite contre la violence faite aux femmes, Zoya Jureidini Rouhana. Et pourtant, aucune opération d’urgence n’a tenu compte de cette priorité », déplore-t-elle, évoquant la situation familiale de dépendance de nombreuses femmes, leur grande vulnérabilité, leurs besoins liés au genre. La réponse attendue ne réside donc pas uniquement dans la distribution d’aides humanitaires, mais dans le relogement des femmes sinistrées, dans la réparation de leur logement endommagé par le souffle de l’explosion et enfin dans l’évaluation de leurs besoins de subsistance à plus long terme. « Des besoins d’autant plus pressants que cette catastrophe est venue s’ajouter à une grave crise économique », note Mme Rouhana. Alors si l’association Kafa a mis en place un plan d’urgence, ajoutant à ses activités habituelles de protection des victimes de violence familiale une réponse ponctuelle à ses bénéficiaires sinistrées depuis le drame du port, « c’est une politique institutionnalisée d’assistance qui est aujourd’hui nécessaire, tant les besoins sont énormes ». D’où la nécessité « que la voix des femmes soit entendue », insiste la militante, dont l’association fait partie des signataires.

Les revendications reposent sur 4 points essentiels

L’initiative part d’une nécessité d’unifier les voix des femmes du Liban et d’acteurs divers qui militent pour leurs droits. Il est aussi question d’apprendre des erreurs passées. C’est dans ce cadre qu’ONU Femmes (UN Women) a proposé le projet, pour lequel elle a joué le rôle discret de coordinateur et de médiateur entre la quarantaine d’ONG et d’activistes concernés. Sans pour autant se mettre en avant. Car ce n’est un secret pour personne, les associations féministes du Liban peinent à dialoguer entre elles et à travailler ensemble pour revendiquer les droits des femmes. Nombre d’entre elles n’ont pas chômé, à l’issue de la catastrophe, élaborant des stratégies et des listes de besoins liés au genre. Mais ce travail a été accompli en rangs dispersés. « Nous avons travaillé à égale distance de tous pour l’élaboration par la société civile d’une liste unifiée de revendications féministes », affirme à L’Orient-Le Jour la coordinatrice de programme au sein d’ONU Femmes, Joumana Zabaneh. « Ce n’est qu’un premier pas vers l’instauration d’une plate-forme commune », précise-t-elle.

Les revendications féministes sont nombreuses, parfois même divergentes. « Les revendications adoptées à l’unanimité reposent sur quatre points essentiels », explique la responsable onusienne. « Il est d’abord nécessaire de reconnaître dans l’évaluation post-explosion la grande vulnérabilité des femmes, des personnes âgées seules, de celles qui ont perdu un époux dans le drame… », souligne-t-elle. Mme Zabaneh insiste de plus « sur l’importance de la participation féminine locale auprès des donateurs dans le cadre de la prise de décision, et de manière plus globale sur la parité au sein du nouveau gouvernement ». L’experte appelle aussi à « identifier les besoins des femmes, ceux des communautés marginalisées, des personnes handicapées, des travailleuses migrantes. » Il ne faut pas oublier celles qui ont perdu leur emploi depuis l’explosion ou du fait de la crise économique et de la pandémie de Covid-19 «, insiste-t-elle, rappelant que moins de 30 % des femmes libanaises exercent une profession. Elle invite enfin à « une prise de conscience sur la santé reproductive et sexuelle des femmes sinistrées, à leur accès aux soins de santé et au planning familial, notamment les femmes enceintes et les membres de la communauté LGBTQ ». « N’est-ce pas l’occasion d’appliquer le Plan d’action national sur la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, actrices de la paix et de la sécurité, adopté le 12 septembre dernier à Beyrouth? » demande Mme Zabaneh.

Unifier les demandes

L’appel des femmes du Liban sera-t-il entendu ? Il est probablement trop tôt pour le dire. Mais l’importance de cette charte réside dans l’unification des demandes féministes quant à la réponse à l’explosion du port. Elle pourrait même marquer le début d’un processus plus global lié au genre. « Il était nécessaire de rassembler les associations féministes, car les revendications des femmes et celles liées au genre étaient absentes, comme elles l’ont toujours été », fait remarquer Myriam Sfeir Mourad, directrice de l’Institut arabe pour les femmes au sein de l’Université libano-américaine (AIW). « Pas étonnant dans cet état des lieux que la cellule de gestion des catastrophes ne compte aucune femme », regrette-t-elle. « D’où l’importance de ce rassemblement dans un même objectif, susceptible de permettre aux femmes du Liban de passer à la vitesse supérieure. »

Les signataires de la charte

Abaad ; Abnaa Saïda al-balad association ; al-Jalil Organization for Development ; Arab Forum for the Rights of People with Disabilities; Arab Foundation for Freedoms and Equality (AFE); Arab Institute for Human Rights Lebanon branch (AIHR) ; Association Najdeh ; Center for Inclusive Business and Leadership for Women (CIBL.W/AUB) ; Collective for Research & Training on Development – action (CRTDA) ; Dar al- Amal ; Daraj ; Fe-male ; Fiftyfifty ; Global Compact Network Lebanon (GCNL) ; Haven for Artists ; Helem ; Joumana Haddad Freedoms Center ; Justice without Frontiers (JWF) ; Kafa (enough) Violence & Exploitation; Khateera ; Lebanese Association for Democratic Elections (LADE); Lebanese League for Women in Business (LLWB) ; Lebanese Union for People with Physical Disabilities (LUPD) ; Lebanon Family Planning Association for Development and Empowerment (LFPADE); LiHaqqi feminist group ; Maharat foundation ; Marsa Sexual Health Center ; M-Coalition ; Mousawat organization ; National Association for Disabled Persons (NARD) ; Palestinian Women’s Humanitarian Organization (PWHO) ; Restart Center for Rehabilitation of Victims of Violence and Torture ; Safadi foundation; Soins infirmiers et développement communautaire (SIDC); The Arab Institute for Women (AiW/LAU) ; The Lebanese Council to Resist Violence against Woman (LECORVAW) ; The Lebanese Women Democratic Gathering (RDFL); Women from Lebanon (WNLB) ; Women now for Development ; Dr Carmen Geha ; Ms Dima Matta ; Dr Halimé Kaakour; Dr Lina Daouk-Öyry ; Ms Manar Zeaiter.


Une quarantaine d’associations et d’activistes féministes de la société civile libanaise publiaient une charte, fin août, pour rappeler aux acteurs locaux et internationaux la nécessité de tenir compte des femmes, dans leur réponse à la tragédie du port de Beyrouth. Passée inaperçue, cette charte est une nouvelle fois lancée aujourd’hui, avec d’autant plus d’énergie que...

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Depuis quand la femme a un mot à dire au Liban ?

Eleni Caridopoulou

18 h 23, le 10 septembre 2020

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Commentaires (2)

  • Depuis quand la femme a un mot à dire au Liban ?

    Eleni Caridopoulou

    18 h 23, le 10 septembre 2020

  • Ces ""revendications féministes"" ne manquent pas d’être soulevées et commentées à l’avenir lors de débats sérieux sur la double explosion du port, comme on a entendu d’autres ""revendications féministes"" en France ou ailleurs, pendant la crise sanitaire du Covid. Ces associations ont du mal à se fédérer, et leur chemin sera long. Elles se présentent au nom de la triple peine, crise économique et crise sanitaire, et femmes isolées, alors que tout le monde est dans le même enfer.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 16, le 10 septembre 2020

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