Léa Salamé et les femmes « puissantes »

La journaliste a interviewé 12 femmes aux parcours exceptionnels. Des vies faites de réussites, de doutes et de discriminations.

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L'écrivaine Leïla Slimani, l'une des femmes puissantes du livre de Léa Salamé.
L'écrivaine Leïla Slimani, l'une des femmes puissantes du livre de Léa Salamé. © Céline Villegas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Temps de lecture : 5 min

Des femmes puissantes. Elles le sont, en effet, le mot n'est pas usurpé. Il fallait cependant le trouver, le tordre et même le retourner pour qu'on puisse l'entendre au féminin, sans relever de dissonance ou y voir un oxymore. Puissant : un mot qui sent la testostérone, la politique faite par des hommes, le lecteur de Nietzsche qui se sent pousser des muscles sous la chemise, la virilité écrasante… C'est pourtant le mot choisi par Léa Salamé – passant outre la perplexité de sa « patronne » – pour désigner les femmes qu'elle a interviewées pour France Inter. Elle vient d'en faire un livre*. La question est un rituel de début d'entretien : « Si je vous dis que vous êtes une femme puissante, que me répondez-vous ? » La grande majorité d'entre elles exprime une gêne, refuse d'assumer ce qualificatif ou tente de le disséquer pour mieux l'affaiblir. Ces seules réponses valent toutes les analyses.

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La peur qui paralyse

Elles ont réalisé de grandes choses dans le sport, la politique, l'édition, la littérature, le cinéma ou la médecine, mais ce n'est pas vraiment le sujet. Ce qui compte ici, c'est l'énergie trouvée pour surmonter les contraintes, les préjugés et les regards. Les femmes savent lire. Elles savent lire ces regards qui se posent sur elles et qui disent l'illégitimité, l'infériorité et la moquerie, quand les mots ne font pas le travail plus frontalement. Comment en sont-elles arrivées là ? Comment en est-on arrivé là ? « Parce que les femmes sont élevées avec cette idée de la maîtrise, répond la romancière Leïla Slimani. Maîtrise du désir pour ne pas exciter les hommes ; maîtrise de la parole parce qu'il ne faut pas trop parler et rester pudique ; maîtrise de l'égoïsme parce qu'il faut élever les enfants. » Ou peut-être est-ce parce qu'à force de relégation, la peur finit par se manifester au moment de l'action, comme une petite voix qui dit non. Christiane Taubira : « Je crois que de toutes les émotions, de tous les sentiments, la peur est vraiment le seul qui soit capable de paralyser, donc de neutraliser vos capacités, vos potentialités, votre réactivité. C'est le seul capable de vous empêcher, de vous interdire. » La peur, encore, « qui peut entraver les choses, parfois les endommager à tout jamais. Et les hommes le savent », estime la journaliste Laure Adler. La peur, toujours, qui « empêche d'ouvrir certaines portes », selon la rabbine Delphine Horvilleur.

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Je réclame la justice, non la vengeance

L'éducation est évidemment centrale, et la reproduction, consciente ou inconsciente, se charge de perpétuer les schémas. Il ne s'agit pas seulement d'une place accordée aux femmes (la tenue du foyer, l'éducation des enfants, les métiers qui exigent une sensibilité particulière…) et de vertus prêtées aux hommes (la responsabilité professionnelle, l'ambition, la disponibilité…), on parle tout bonnement d'inégalités. « Il y a dans la relation aux symboles du pouvoir, quelque chose qui relève un peu du genre. Parce que vous êtes une femme, il arrive toujours un moment où l'on vous dit que vous allez vous occuper des crèches. Et que, comme vous êtes moins intéressée par l'argent, vous allez donc gagner moins d'argent… » témoigne l'ancienne ministre Nathalie Kosciusko-Morizet. Si ces femmes regrettent la part belle faite aux hommes dans notre société, elles le font sans jeter aux enfers le sexe opposé, sans détestation ni envie de vengeance. « Je réclame la justice, non la vengeance », déclare Leïla Slimani, interrogée sur les excès de certains mouvements féministes. « Nous ne sommes pas en guerre. […] Les hommes ne sont pas des porcs. Beaucoup sont féministes », ajoute Laure Adler, qui aurait pu pourtant la faire, la guerre, à ceux qui, lorsqu'elle dirigeait France culture, se sont comportés avec elle comme des goujats, pour ne pas dire plus : « Mes seins, mes fesses, ma bouche. C'étaient des caricatures obscènes distribuées par piles de tracts à l'intérieur de la Maison de la radio, à la cantine, devant les ascenseurs et sur tous les pare-brise des voitures garées aux alentours. » Christiane Taubira, elle aussi, a dû batailler contre ceux qui l'ont insultée parce que femme, noire et, durant son enfance, pauvre. L'ancienne ministre livre une analyse passionnante sur les « incompréhensions » entre le féminisme occidental et l'afro-féminisme, lequel mène une lutte plus large.

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Le rôle du père

Des bourgeoises, pense-t-on ? Cela n'annule en rien l'injustice subie, surtout quand il nous faut regarder, pour certaines, d'où elles viennent, le chemin parcouru. Il y a les obstacles évoqués ; il y a aussi les drames de la vie – qui n'épargnent personne. Leïla Slimani raconte l'incarcération de son père au moment de l'intronisation de Mohammed VI. Christiane Taubira l'absence de son père et la mort de sa mère quand elle avait seize ans. Laure Adler confie avoir perdu la foi le jour où son fils est mort. Béatrice Dalle a fui la maison à 14 ans, ne supportant plus l'atmosphère raciste qui y régnait… Les pères ne sont jamais bien loin, qui par leurs attitudes, bonnes ou mauvaises, ont donné à ces femmes un petit supplément d'âme, jamais étranger à leur réussite. Elles ont pour elles les mots – on y revient – qui leur permettent de décrire leur vie, de l'analyser, de prendre du recul ou tout bonnement de verbaliser. « Le stylo incarne le pouvoir d'exprimer quelque chose. Il permet d'accéder à l'éducation, et donne le pouvoir de parler, de dire ce qu'on pense », relève l'ancienne tenniswoman Amélie Mauresmo.

L'Orientale

Car oui, il en faut des mots pour nommer les regards – on y revient aussi –, comme ceux qui ont un jour, et peut-être toujours, enfermé Léa Salamé dans sa seule identité orientale (« Le problème de votre fille, c'est qu'elle est orientale. À quel moment va-t-elle comprendre qu'elle doit devenir cartésienne », a osé un responsable de l'école Franklin). Orientale et femme, de surcroît, qui s'est entendu dire qu'une voix féminine dans une matinale radio ne valait pas celle d'un homme, qui s'est vu confier une rubrique à la télévision intitulée « Le regard de Léa »… Ce livre part d'elle et reflète un peu ce qu'elle est devenue. Il est né de cette « révolution intérieure » qui lui permet aujourd'hui de se dire librement « féministe ».

*« Femmes puissantes », éditions Les Arènes-France Inter.

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Commentaires (22)

  • Abner de Sabatier

    Madame Dugenou également.

  • Pacifiquement

    L’épicurien que je suis n’aime pas trop les gens qui passent leurs vies a courir après les honneurs, la gloire, le pouvoir, l’argent... Les individus qui pensent qu’ils ont quelque chose à prouver ne m’intéresse pas, qu’ils soient hommes ou femmes. C’est la raison pour laquelle le féminisme ne m’a jamais trop parlé. Le féminisme est une idéologie très vaste, certes, qui comporte beaucoup d’éléments, et qu’on ne peut pas rejeter en bloc, mais il y a dans le féminisme ce côté « ambition » que je n’aime pas.

  • Libravis

    A croire qu’on ne présente aujourd’hui les femmes que sous l’angle de la revanche, de la lutte nécessaire contre le mâle néfaste. Article pathétique, décevant, car sans sens critique. L’angoisse, le rabaissement, le manque de confiance, le harcèlement et j’en passe, les hommes les vivent aussi, ça n’a rien de féminin ou masculin, ça vient juste de l’éducation et de la vie qu’on a mené. Vous devriez faire un article sur le taux de suicide des adultes, très largement masculin, ça vous éclairerait peut-être sur le bien ou le mal-être des unes et des autres. La femme verbalise son mal être ou ses rancœurs, c’est peut-être ce qui la sauve, ce serait interessant de creuser. En tout cas je trouve décrédibilisant pour les femmes de les faire passer sans cesse pour des pleureuses revanchardes, beaucoup heureusement ont une vie heureuse et équilibrée avec un environnement qui leur a donné autant de chances qu’à leurs frères.