C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En avril dernier, la Une du «  Parisien » faisant figurer quatre hommes pour raconter « Le monde d’après », a déclenché un tollé unanime et la demande d’un rapport sur la représentation des femmes dans les médias en temps de crise. Après cinq mois de travail, 80 auditions et plus de 200 personnes entendues, le rapport a été remis par la députée Céline Calvez à Roselyne Bachelot, ministre de la Culture et Elisabeth Moreno, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Les résultats édifiants. Entre le 1er mars et le 31 mai, le nombre de femmes sollicitées par les médias a chuté de manière drastique, alors qu’elles jouaient pourtant un rôle primordial dans la lutte face au Covid-19. 

Une sous-représentation accentuée pendant la crise 

Pour Marine Périn, porte-parole de l’association Prenons la une, qui défend une juste représentation des femmes dans les médias et l'égalité professionnelle dans les rédactions, la crise est venue aggraver les inégalités entre les sexes. « Comme le pointait une tribune du journal "Le Monde", ces chiffres reflètent les rapports de domination qui s’opèrent dans notre société. »

Les femmes ont toujours été sous-représentées dans les médias, mais il semblerait que le confinement ait favorisé les mauvaises manières. À la télévision, la parole masculine est restée majoritaire, oscillant entre 57% et 80% selon les chaînes. Même la radio, qui d’habitude laisse une place aux femmes, a joué les mauvaises élèves. Sur les chaînes généralistes, la parole des femmes représentait 35,3% pour les chaînes publiques et 29,3% pour les chaînes privées. Quant aux Unes de sept journaux de la presse quotidienne, on dénombrait 83% de personnalités masculines, contre 17% de femmes. Seuls « Le Monde » et « Libération » dépassaient les 20 %.  

Un constat encore plus flagrant du côté des experts interrogés pour analyser la crise sanitaire. À France Télévisions, la part des femmes «  expertes » est tombée à 9% en mars avant de remonter à 20% en avril sur France 2 et France 3, au lieu de 40% en temps normal. « Ce n’est pas cohérent puisque la crise a révélé que les femmes étaient à l’avant-garde des personnes qui continuaient de travailler pour maintenir la société à flot », déclare Marine Périn. Et pourtant. Dans les médias, le rôle des femmes s’est majoritairement cantonné à celui de témoins. Les caissières, infirmières et mères de famille étaient surreprésentées pour raconter l’impact de la crise dans leur quotidien tandis que la parole masculine était majoritairement celle qui donnait le savoir et les analyses. Autre disparité soulevée par Marine Périn, celle entre le taux de présence et le temps de parole des femmes. « Le rapport du CSA de 2019, concernant d’audiovisuel, révélait que les femmes représentaient 41% du taux de présence sur les plateaux mais elles n’avaient que 36% de temps de parole. » Pour l’association, ces inégalités démontrent à quel point au-delà des chiffres, il faut veiller à une représentation qualitative. « Il ne suffit pas d’inviter des femmes. Il faut déconstruire certaines pratiques : veiller au temps de parole, au manterrupting – cette fâcheuse tendance qu’ont certains hommes, à couper la parole aux femmes au cours de débats en raison du genre de leurs interlocutrices-, à la parité dans les productions et chez les journalistes… » 

Bonus/malus et baromètres, les futures armes de l’égalité dans les médias ?  

« Pour que les femmes comptent, il faut d’abord les compter », prévient Céline Calvez. Pour renforcer la place des femmes dans les médias, la députée LREM insiste notamment sur la nécessité d’améliorer la qualité, la quantité et la fréquence du comptage de la présence des femmes, à la fois dans les contenus et dans les organisations. En la matière, la députée confie qu’il y a encore du boulot. Le rapport propose de généraliser plusieurs outils de comptage déjà mis en place dans certaines rédactions : le journal « Ouest France » dispose d’un baromètre de données, « Les Échos » procède régulièrement à des « screenings » de sa version numérique et « Le Monde » collecte tous les trois mois des données sur le sexe des signataires des tribunes, des personnes interviewées et sur la une du journal. Pour Prenons la une, tous les outils de comptages possibles sont à valoriser. « C’est important que les médias s’autosaisissent de cette problématique, même si ça ne les dispense pas, encore une fois, de faire attention à la façon dans les femmes sont traitées dans les contenus, sur les plateaux et au sein des rédactions », explique Marine Périn.  

Autre recommandation préconisée par Céline Calvez, celle d’inciter financièrement les entreprises à accorder une plus grande place aux femmes dans les médias en conditionnant les aides publiques à une obligation d’équilibre entre les femmes et les hommes dans le contenu de l’information. Une mesure incitative faisant grincer des dents certains groupes pour lesquels leur survie est parfois conditionnée à ces aides. C’est sans doute pour cette raison qu’entre la première monture et le rapport final, les sanctions envers les entreprises qui ne respecteraient pas les dispositions légales se sont amoindries. Un choix que regrette Prenons la une. « Le rapport définitif hésite et penche plutôt pour une aide bonus qu’un malus. Ce dernier ne vaut plus que sur une partie des aides publiques et non plus sur la totalité. De plus, il s’agit désormais d’une obligation de moyen et non plus de résultat », détaille Marine Périn avant d’ajouter qu'à une époque, l’association conditionnait les aides à la presse à une parité également au sein des rédactions, et non simplement dans le contenu des informations.  

Par ailleurs, Prenons la une pointe du doigt l’inefficacité du label Afnor et de l’index Pénicaud, deux recommandations suggérées par le rapport. Le premier a déjà été obtenu par des entreprises dans d’autres secteurs d’activités et cela ne les a pas empêchés d’être condamnées au Prud’hommes pour discriminations salariales en raison du sexe. « C’est une coquille vide », déplore Marine Périn. Quant à l’index Pénicaud, l’association explique que c’est un chiffre compliqué à calculer dans lequel se noie le chiffre des inégalités salariales. « C’est un chiffre qui ne veut rien dire pour le grand public. Il faut que les entreprises affichent directement l’écart de salaire. »

Enfin, Céline Calvez a tenu à rappeler dans son rapport l’importance de la formation pour augmenter la sensibilisation à la fois dans les organisations et dans les contenus. Elle insiste sur l’éducation, chez les plus jeunes mais aussi « tout au long de la vie ». À ce titre, Marine Périn salut plusieurs initiatives. « Ouest-France a mis en place une charte dans les rédactions pour traiter correctement la place des femmes dans les médias, cela passe par exemple, par ne pas parler plus du physique d’une interlocutrice que d’un interlocuteur, réfléchir à interroger des expertes... De notre côté, nous intervenons dans les écoles pour sensibiliser les étudiants. Petit à petit, de bonnes pratiques se mettent en place. » 

Malheureusement, pour le moment l’ensemble de ces initiatives ne se traduisent pas dans les chiffres. Prenons la une attend avec impatience le rapport Global Media Monitoring Project (GMMP) qui propose tous les cinq ans, d’analyser les médias de plus de 70 pays sur une journée en particulier afin de fournir une vue d’ensemble sur la représentation des femmes dans les médias. « Normalement, le GMMP devait avoir lieu en mars 2020 mais les chercheuses l’ont décalé à cause de la crise, sentant que cette période serait particulière du point de vue de la représentativité. Finalement, le rapport sera rendu à l’automne. Ça va être intéressant de voir l’évolution sur cinq ans. » 

En attendant, le cabinet d’Elisabeth Moreno a d’ores et déjà indiqué que l’ensemble des mesures préconisées dans le rapport remis mercredi dernier par Céline Valvez, allait être attentivement examiné par la ministre.