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Et si le milieu de la musique devenait plus inclusif?

Et si le milieu de la musique devenait plus inclusif?

© Elisabeth Ubbe - Getty Images

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Par Jehanne Bergé

Nous l’avons déjà évoqué dans plusieurs articles, les femmes restent minoritaires dans le monde de la musique et de la culture en général. Mais comment lutter contre cette invisibilité ?  En objectivant et en créant des outils pour dépasser ce déséquilibre. Scivias ouvre la voie et inspire le changement.

Comme dans le reste de la société, on observe en musique des formes de sexisme systémique qui influence la carrière d’artistes femmes. Comment faire pour changer les choses ?

En réfléchissant, analysant, prenant la parole. C’est dans ce sens que le projet Scivias, a été fondé en 2019, à l’initiative de sept institutions publiques actives dans le développement des carrières musicales en Fédération Wallonie Bruxelles.

Ensemble, les structures ont pensé une charte dont le but est d'affirmer l'existence de discriminations envers les femmes dans le secteur de la musique, de donner de la visibilité à cette problématique de manière active et de rapporter les actions de luttes entreprises. Le 24 septembre au BRASS, le premier rapport "Les musiciennes et professionnelles de la musique en Fédération Wallonie-Bruxelles" a été présenté aux professionnel·le·s du secteur.

Les hommes à la direction et à la technique, les femmes à la billetterie et l’administration

Jeudi dernier, Bénédicte Linard ministre de la Culture (des Droits des femmes, des Médias, de la Santé et de l'Enfance) a introduit la soirée en rappelant l’importance de "montrer du doigt ce qui ne va pas".

Montrer du doigt, c’est bien ce que fait Scivias à travers ce rapport qui objectivise ce que tout le monde savait déjà : les femmes sont sous-représentées dans le milieu musical. Scivias compte aujourd’hui 28 organisations parmi ses membres. Pour rejoindre le projet, chacune de ces structures s’est engagée à observer et rapporter différents chiffres témoignant de l'activité annuelle de l'organisation, analysés sous le prisme du genre.

Sans nier son caractère anxiogène, nous considérons aussi cette période comme propice à une reconstruction intelligente, équilibrée et inclusive de nos pratiques professionnelles

Même si les chiffres sont à prendre avec certaines pincettes (les pratiques et les réalités des membres sont diverses), ils mettent malgré tout en lumière le déséquilibre flagrant du secteur en termes de parité hommes-femmes.

Les institutions sondées comptent 48% de femmes, le chiffre semble positif mais quand on creuse, le bât blesse… Sans surprise, les postes de direction comptent 72% d’hommes. A l’accueil, cependant, 75% de femmes. A la régie, 93% d’hommes contre 76% de femmes pour les aspects administratifs. Oui, il y a encore du travail….

Concernant la programmation, entre les concerts en salles, les festivals et les labels, on compte en moyenne 28% de femmes. Il est intéressant de noter que les agences de booking qui servent de relais auprès des labels et autres structures, n’ont pas montré d’intérêt à rejoindre Scivias jusqu’à présent.


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"Sur scène, je suis musicienne avant d’être femme"

A l’occasion de la présentation du rapport, Elise Durieux, coordinatrice de Scivias avait rassemblé plusieurs professionnelles du secteur pour une rencontre "Sexisme dans la musique : comment composer le monde d'après ?". Le panel animé par la journaliste Elisabeth Debourse rassemblait Lola Levent créatrice notamment du compte insta d.i.v.a.infos sur le sexisme et les violences sexuelles dans l’industrie de la musique, Rojin Açilan & Maja-Ajmia Yde Zellama pour le Bledarte Collective, Eve Beuvens musicienne Jazz et Astrid Kaiserman psychiatre et membre d’un groupe de métal.

Quand une femme est sur scène, on juge son physique avant de se demander si elle joue bien ou pas

"Sur scène, je suis musicienne avant d’être femme", "Je me suis déjà sentie utilisée pour légitimisée une affiche", ont témoigné les intervenantes. La question de la place des femmes dans la programmation est cruciale et complexe. C’est clair, les quotas ont leur limite, cependant, il est primordial de présenter des modèles féminins pour que les jeunes générations puissent s’identifier.


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"On devrait programmer des artistes femmes sans que ce soit un sujet", ont commenté les jeunes femmes de Bledarte. Astrid Kaiserman, quant à elle, a rappelé cette réalité : "Quand une femme est sur scène, on juge son physique avant de se demander si elle joue bien ou pas." Et toutes se sont accordées sur le besoin de légitimer les jeunes filles dès l’enfance en leur répétant par exemple :  "Tu peux être tu peux être dj", "Tu peux jouer de la trompette", "Tu n’es pas obligée d’aimer le rose et le piano".

Comme dans d’autres secteurs, au plus les femmes sentiront qu’elles sont à leur place, au plus, elles seront nombreuses. Mais pour ça, il est nécessaire de leur laisser une place. Et le chemin est encore long, à l’heure où nous écrivons ces lignes, les line-up 100% masculin sont encore beaucoup trop fréquentes.


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Visibiliser les femmes, la charge mentale des femmes ?

Participer à Scivias requiert une certaine motivation concernant la collecte des données et l’implication dans le processus de réflexion. Il a été observé que cette charge mentale est souvent attribuée aux femmes parmi les équipes signataires.

Il nous semble également important de souligner que parmi les dizaines de personnes présentes à la rencontre du 23 septembre, seuls quelques hommes pouvaient être comptés. Les questions de genre au sein du secteur ne concerneraient que les femmes ? Ce n’est pas gagné !

Cependant, restons optimistes, à l’instar de Scivias qui indique : "Sans nier son caractère anxiogène, nous considérons aussi cette période comme propice à une reconstruction intelligente, équilibrée et inclusive de nos pratiques professionnelles. Scivias souhaite faire de sa mission le soutien aux opérateur·rices du secteur musical de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui s'engagent dans ce sens."


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Les choses sont en train de bouger, les prises de conscience se multiplient et ce premier rapport se veut être une véritable feuille de route pour les structures du secteur.

Outre les chiffres, une série de besoins y sont listés comme l’accès aux informations, l’accompagnement ou les moyens financiers. La création d’espace de parole en non-mixité a été notamment cité comme nécessité. Femme Jam Brussels est d’ailleurs un espace de Jam 100% safe pour les musiciennes.

Elise Dutrieux a également annoncé le lancement de cycles de réflexion sur l’intersectionnalité, le sexisme se pensant en complémentarité de nombreuses autres discriminations, parfois de manière cumulée. Des rencontres à suivre de près !

Scivias ouvre la voie, plus qu’à espérer que les autorités, et les dirigeants de structures suivent et se donnent les moyens.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d'actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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