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A Madagascar, les avortements clandestins se multiplient depuis le confinement

Deuxième cause de mortalité maternelle après les hémorragies post-accouchement, l’IVG, interdit dans l’île, constitue un problème de santé publique et demeure un tabou.

Par  (Antananarivo, correspondance)

Publié le 07 octobre 2020 à 20h00, modifié le 07 octobre 2020 à 20h32

Temps de Lecture 4 min.

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Une vue générale d’Antananarivo, en mai 2020.

« C’était un homme marié et je ne le savais pas… » En prononçant ces mots, les yeux d’Anja* s’embuent. Hors de question pour cette jeune femme de 20 ans, qui a déjà du mal à assumer un premier enfant de 4 ans, d’en élever un second. D’autant que ce bébé illégitime aurait conduit sa famille vers « une mise à mort sociale ». Alors la petite porteuse d’eau s’est rendue à l’évidence qu’elle n’avait que l’avortement comme solution. Un geste interdit dans son pays.

A Madagascar, « les avortements clandestins représentent la deuxième cause de mortalité maternelle après les hémorragies post-accouchement », explique Céline Lesavre, coordinatrice du programme de santé reproductive et sexuelle au sein de Médecins du Monde (MdM). Si les statistiques manquent, ce geste s’est multiplié dans les arrière-salles des cliniques ou des cabinets depuis l’arrivée du coronavirus.

« Pendant le confinement, on a observé une baisse de 40 % des nouvelles utilisatrices du planning familial aux Centres de santé de base (CSB). Il est évident que le confinement a eu un impact sur les violences basées sur le genre, qui ont augmenté, et leur corrélat : les grossesses non désirées », précise l’humanitaire, consciente du parcours du combattant de ces femmes.

Assise dans sa maisonnette à la lisière d’un bas quartier de la capitale Antananarivo, elle s’en veut, ressassant sans fin que « c’est lui qui n’a pas voulu mettre de préservatif, parce qu’il ne ressentait pas de plaisir ». En présence de sa cousine Annie*, son aînée de 3 ans, elle puise la force de raconter son cauchemar.

Panique et terreur

Sa panique d’abord, quand durant près deux mois elle a attendu jour après jour la venue de ses règles. La terreur ensuite, quand elle s’est finalement rendue à l’évidence que dans un pays à l’arrêt sous le coup de mesures sanitaires, il allait lui falloir trouver les 50 000 ariary (quelque 10 euros) d’un avortement, quand elle n’en gagne qu’entre 2 000 et 3 000 ariary chaque jour. Là encore, pas d’autre choix que de se prostituer.

Et quand la mort dans l’âme elle a commencé à vendre son corps, Anja a vite compris qu’il lui restait une autre galère : trouver quelqu’un qui veuille bien pratiquer une interruption volontaire de grossesse, geste interdit

« Je suis allée voir un docteur en centre-ville, sur les conseils d’un ami. J’ai fait le chemin à pied, précise-t-elle, en l’absence de transport pendant le confinement. » Après s’être vue refuser par le praticien débordé, elle a réussi à s’introduire pour le « supplier à genoux » d’interrompre la grossesse.

L’IVG a duré deux jours se rappelle Anja. Après quelques piqûres – elle ne sait pas de quoi – se sont ajoutées trois pilules. « Puis le deuxième jour, il a cureté mon utérus à la main, pour bien me nettoyer, et être sûre que le bébé était parti. » Elle souffle, oubliant de raconter la douleur de l’intervention.

Un crime

Annie, la cousine, la regarde immobile avant de prendre le relais du récit. « Ça m’est arrivé aussi pendant le confinement, avoue celle qui jusqu’ici avait gardé le silence. J’étais enceinte de trois mois et on m’a inséré une espèce d’aiguille dans le vagin. Ça m’a fait extrêmement mal. », résume-t-elle, bien décidée à n’en pas dire davantage sur cette douleur que son corps n’a pas oubliée.

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A Madagascar, l’avortement est à la fois un problème de santé publique et un tabou. La Grande Île fait partie des treize pays au monde qui interdisent encore strictement l’interruption volontaire de grossesse, même dans les cas les plus extrêmes : inceste, viol ou mise en danger de la vie de la mère. Et ceux qui le pratiquent en cachette tombent aussi sous le coup de la loi.

Selon la loi malgache, l’avortement est même un crime, puni par le code pénal, héritage du code napoléonien de 1810. Selon son article 317, une femme coupable d’IVG encourt de six mois à deux ans d’emprisonnement, et il faut compter cinq à dix ans d’emprisonnement pour quiconque pratiquerait le geste (médecin, herboriste, tradipraticien, masseurs, pharmaciens…).

Une dureté législative qui rend les témoignages de femmes très risqués et le tabou encore plus pesant. Et si, à l’instar de MdM, de nombreuses organisations essaient de faire bouger les lignes vers une dépénalisation de l’IVG, la société civile malgache n’est pas en reste.

En décembre 2017, il y a eu une proposition de loi au Parlement pour dépénaliser l’avortement thérapeutique, mais qui a suscité un tollé tant dans l’opinion publique que dans la classe politique. Comment expliquer ce rejet viscéral ? « La réalité est plus nuancée. L’avortement est très pratiqué ici, donc il serait faux de parler d’un rejet total, détaille Noro Ravoazany, activiste des droits des femmes. C’est une société encore très conservatrice. L’avortement touche à un point crucial de la culture malgache, le concept de souffle de vie (Aïna). Dans notre tradition, il se transmet de génération en génération et permet la perpétuation de la lignée. Mais il serait temps de dépénaliser l’IVG pour sauver toutes ces femmes. »

Selon l’association Marie-Stopes, implantée à Madagascar, trois femmes meurent chaque jour des suites d’un « avortement spontané ou provoqué ».

* Les prénoms ont été changés.

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