"Pas d'âge pour jouir" : la psy Catherine Grangeard s'insurge contre la "retraite sexuelle"

Publié le Vendredi 16 Octobre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"Il est évident qu'on veut mettre la femme ménopausée au placard"
"Il est évident qu'on veut mettre la femme ménopausée au placard"
Dans son livre "Il n'y a pas d'âge pour jouir", la psychanalyste psychosociologue Catherine Grangeard démonte les idées reçues sur la sexualité liées à l'âge comme les diktats imposés à la société, et invite à "s'autoriser à être la personne que l'on est au fond de soi". Echange.
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Dans son ouvrage intitulé Il n'y a pas d'âge pour jouir (ed. Larousse), Catherine Grangeard, psychanalyste psychosociologue francilienne habituée des médias, assure que la "retraite sexuelle n'aura pas lieu", et signe : "Le fait d'être une femme de plus de 50 ans ne rend pas malade ! C'est le sentiment d'être 'out' qui rend malade".

Chapitre après chapitre, elle s'attaque aux injonctions sociales qu'elles subissent, aborde le tabou nocif de la sexualité passé la ménopause et étrille les propos de Yann Moix qui, en 2019, avait lancé dans les colonnes du magazine Marie Claire : "Aimer une femme de 50 ans ? Ça, ce n'est pas possible. Je trouve ça trop vieux. (...) Elles sont invisibles. Je préfère le corps des femmes jeunes, c'est tout. Point. Je ne vais pas vous mentir. Un corps de femme de 25 ans, c'est extraordinaire. Le corps de femme de 50 ans n'est pas extraordinaire du tout".

C'est d'ailleurs cette intervention abjecte qui l'a convaincue de prendre la plume. Elle nous explique : "Je le dis comme je le pense : quand j'ai lu ses paroles, j'ai pensé que c'était un connard", rit-elle. "Ensuite, j'ai vu plein de réactions dans les journaux, à la télévision et sur les réseaux sociaux, et j'ai eu peur que l'on enfouisse le sujet dans les quinze jours. Je me suis dit : 'je vais faire un livre'."

Elle insiste d'ailleurs sur les responsabilités que doivent prendre ces hommes de pouvoir : "Les propos d'un homme dans les médias sont repris par d'autres dans les ateliers, dans les magasins, et surement aussi dans les boys club. J'ai eu envie de donner des armes aux femmes qui sont heurtées, blessées, complexées au quotidien".

A l'occasion de la Journée mondiale de la ménopause, ce 18 octobre, on a longuement discuté avec l'autrice. De préjugés nocifs, de la menace que ressentiraient les hommes à l'idée que les femmes puissent faire l'amour librement après cinquante ans, et de l'âgisme au sein des mouvements féministes. Entretien.

Terrafemina : A qui s'adresse votre livre ?

Catherine Grangeard : Ce n'est pas un sujet qui concerne uniquement celles qui ont un certain âge. C'est un sujet qui concerne tout le monde. Les femmes jeunes un jour seront moins jeunes, et la façon dont on traite les femmes à la ménopause, c'est la façon dont on traite toutes les femmes. Et les hommes sont tout aussi concernés car les femmes sont leur partenaire, s'ils sont hétérosexuels. J'ai eu un retour d'un homme que j'adore, qui m'a dit : "Tu nous as ouvert les yeux, et je suis d'autant plus attiré désormais par des femmes que je ne voyais peut-être pas sous tous ces angles". C'est cette énergie que je trouve le plus agréable.

Yann Moix disait que tous les hommes pensaient comme lui, finalement, c'est une affirmation bien gratuite. Ce sont des préjugés et les préjugés quand on les regarde avec un projecteur, ils se disloquent. Ce livre s'adresse à tous ceux et celles qui sont mal avec ces préjugés, parce qu'ils et elles en souffrent, ont des complexes, se limitent dans leur vie sexuelle à cause de l'âge, alors que c'est le meilleur des anti-dépresseurs, le sexe. Il y a quelque chose de paradoxal à dire que c'est avec l'âge on s'épanouit sexuellement, et ensuite "ah non, le sexe n'est plus de mon âge". Il faut décrypter tout cela.

Pourquoi la sexualité des femmes après la ménopause est-elle si taboue, selon vous ?

C. G. : Un tabou, c'est toujours quelque chose qu'on ne veut pas regarder en face. La ménopause, dans ce livre, on voit qu'elle a des racines vraiment multiples. Dans les religions, dans le patriarcat, dans la conception des rapports femmes-hommes, dans l'adéquation sexualité-procréation. Comme si on n'avait des rapports sexuels uniquement pour avoir des enfants : c'est absolument stupide. Je le répète, un tabou dès qu'on le regarde, il se disloque.

La ménopause rend les femmes beaucoup plus libres. Il n'y a plus de risques de conception, elles sont incontrôlables, et ça, les hommes n'ont jamais aimé. "De qui est cet enfant ?" a toujours été la grande questions pour les hommes quand une femme est enceinte. Et à la ménopause, les femmes peuvent faire l'amour comme un homme, sans risquer de conception. Il y a une crainte que les femmes ne soient jamais repues de sexe, chez les hommes. Car eux, plus ils vieillissent, moins ils peuvent avoir de rapports sexuels, c'est physique. Alors que les femmes ne sont pas limitées.

Si on se place à un niveau sexiste, autant diffuser des propos absolument méprisants, comme ceux de Yann Moix, comme ça elles vont intérioriser qu'elles ne peuvent plus faire l'amour, qu'elles sont moches, et eux, les hommes, auront moins de craintes. Ça va chercher loin ce préjugé, et nous avons à comprendre que ce tabou ne sort pas de nulle part et a fonction de contrôle social sur la sexualité des femmes, qui a toujours été obsessionnel chez les hommes.

La femme est-elle mise au placard une fois qu'elle ne peut plus se reproduire ? Ou ce tabou autour de la sexualité commence-t-il justement quand elle devient mère ?

C. G. : Il est évident qu'on veut la mettre au placard. De plus, il n'y aurait de sexualité justifiable que pour la reproduction. C'est aussi pour ça qu'on ignore le clitoris. Tout ce qui est de l'ordre de la jouissance féminine est effacé, masqué, voire même mutilé dans le cas des mutilations génitales. Nous avons-là les racines du contrôle de la sexualité des femmes, parce que cette sexualité mettrait en péril quelque chose de social. Un schéma patriarcal.

Rester visible sexuellement c'est quelque chose qui est extrêmement essentiel, et c'est pour ça que des femmes ont dit qu'elles voulaient la liberté d'être importunée. Car elles souhaitaient rester visible sexuellement. Après, je ne fais pas partie des femmes qui ont signé cette tribune, moi je n'aime pas être importunée dans la rue, mais j'ai essayé de les comprendre. Car tout n'est pas blanc ou noir.

"Il n'y a pas d'âge pour jouir", de Catherine Grangeard
"Il n'y a pas d'âge pour jouir", de Catherine Grangeard

Les mouvements féministes actuels abordent-ils assez l'âgisme qu'expérimentent les femmes ?

C. G. : Non, je ne trouve pas. Moi, j'invite les femmes quels que soient leurs âges à avoir une réflexion globale. Et comme je le dis dans le livre, nous soutenons, nous les femmes d'un certain âge, les plus jeunes parce que nous l'avons vécu, nous savons ce que c'est qu'une main au cul, et on n'en veut pas. Parce que nous avons aussi envie de mettre des mini-jupes, et là je fais référence au mouvement actuel (#Lundi14Septembre, ndlr), et je n'ai pas envie qu'on me dise "ma pauvre fille, t'es ridicule". J'ai envie que les femmes grosses puissent mettre des mini-jupes, j'ai envie que la prof de soixante balais se mette en mini-jupe : on s'habille comme bon nous semble. Pourquoi est-ce qu'on sexualise à ce point le corps des femmes ?

Dans mon livre, je parle aussi du défilé body positive en lingerie avec des femmes de corpulences qu'on n'a pas l'habitude de voir, encore moins en sous-vêtements et dans la rue. J'ai demandé à son organisatrice, Gloria Stein, pourquoi elle sexualisait les corps des femmes comme ça. Elle m'a répondu : "Moi, j'ai envie de montrer tous les corps féminins", et je trouve que c'est important de pouvoir le faire. Alors, je ne suis pas forcément d'accord avec elle sur tout, mais entendre que son action est ridicule, ça me choque. Et c'est là où ça amène une réflexion. Amenons les réflexions dans les mouvements féministes, comme n'importe où, afin que tout soit possible.

Y a-t-il un âgisme au sein du féminisme ?

C. G. : Bien sûr. On dit que les féministes de nos âges ne se sont pas assez occupées du corps, qu'elles ont fait ci mais pas ça. Et puis, la question de la sexualité des femmes plus vieilles est abordée timidement. Voilà pourquoi : nous sommes les mères des filles qui sont actives dans les mouvement féministes aujourd'hui. Et parler de sexualité avec sa mère, c'est quelque chose que les gens n'ont jamais envie de faire. Je pense d'ailleurs que c'est un point de butée.

Il y a disons un an, un an et demi, du temps où l'on sortait librement (rires), je suis allée à un événement organisé par de jeunes féministes autour de la bouffe. J'étais la seule dans la salle qui avait mon âge, toutes avaient entre 20 et 30 ans. Et la liberté de mes propos après, quand on a bu un verre ensemble, les a fait réagir. Elles m'ont dit "c'est hallucinant, car vous avez l'âge de nos mères mais on ne parlerait jamais comme ça avec nos mères".

J'ai creusé ça avec elles, le fait que parler de sexualité crûment, comme on en parle entre copines, nous nous arrivions à le faire avec nos filles - moi je le fais avec mes enfants, et ils se marrent - mais pas l'inverse. Ce n'est pas impudique, c'est simplement parler entre adultes. Nous sommes des adultes, nous ne sommes pas que parents. A un moment donné, on peut dépasser ce point de butée.

Dans le mouvement féministe actuel, il faut aussi insister sur le fait qu'il y a DES féminismes, comme nous sommes DES femmes, et non "LA femme de cinquante ans". Ne prenons pas jamais un seul de critère comme le tout, comme représentatif de qui on est. Essayons de dépasser nos clivages parce qu'il n'y a que ça pour se sortir du placard dont nous parlions.

Votre livre est-il un encouragement pour les femmes de plus de cinquante ans à ne plus accepter cette discrimination ? A célébrer leur âge et leur sexualité ?

C. G. : Je ne veux aucune nouvelle injonction. Donc si elles n'ont pas envie, je ne vais pas leur dire qu'il faut qu'elle célèbre leur sexualité. Les asexuelles peuvent être très heureuse. Moi ce qui me gène, c'est la discrimination. Donc je dirais plutôt un encouragement à sortir des discriminations, de toutes les discriminations. Et c'est pour ça que monsieur Moix, dont je ne prononce plus le "x" volontairement (sourire), quand il définit toutes les femmes comme étant invisibles sexuellement, c'est inacceptable.

Aussi, quand on dit que le désir ne se commande pas, je ne suis pas sûre, car il est fabriqué par du social puis intériorisé. En revanche je suis totalement d'accord, il ne se commande pas individuellement. Mais entre le social et l'individuel, il y a une marge dans laquelle je veux écrire, pour toutes ces femmes, et leur dire n'acceptez pas qu'on vous définisse de l'extérieur. Partez de vous et de vos tripes. Vous n'avez plus envie de sexualité en ce moment, avec untel. Vous avez le droit à toutes les pauses que vous souhaitez, peut-être que vous n'avez plus de désir avec une personne, mais ce n'est pas lié à l'âge. Ce n'est pas lié à la ménopause. Moi, j'encourage à être soi-même.

Passée la cinquantaine, les femmes sont qualifiées de "seniors", "cougars" voire "quincado" comme vous le dites dans votre livre. Est-il possible d'échapper aux étiquettes réductrices ?

C. G. : C'est tout à fait possible dès qu'on les met en lumière. Je ne les mettrais pas tous sur le même niveau. Le lapsus collectif de "senior", un terme masculin qui signifie monsieur en espagnol, participe à désexualiser et à invisibiliser les femmes. C'est insupportable. Il faut en prendre conscience.

Ensuite "cougar", ça fait rigoler. Les femmes qui préfèrent les jeunes hommes, je ne vois pas en quoi c'est drôle. Ou alors il faudrait rigoler des hommes qui préfèrent les jeunes femmes. Monsieur Moix, lui, le revendique et ça ne fait pas rire. Il faut mettre en lumière ce sexisme. Quant à "quincado", on dit qu'ils et elles seraient futiles. Alors que c'est seulement une envie de retrouver une liberté, d'aller un peu se marrer. Et pourquoi pas ? Il faudrait qu'il y ait des lieux où ces générations se retrouvent, autour de mêmes références, de mêmes vécus.

Que répondre, ou comment réagir, face à ceux et celles qui les collent ?

C. G. : Ma façon de répondre à ces étiquettes a été de faire un livre. Maintenant, que chacun trouve sa réponse. Ouvrons-nous les uns aux autres, que chacun puisse aller vers sa propre originalité. Cela se fait en déconstruisant les préjugés d'un côté, et aussi en se donnant le droit d'être la personne que l'on est au fond de soi.

Il n'y a pas d'âge pour jouir, de Catherine Grangeard, éditions Larousse.