Gulbahar Jalilova a fui en France. 2:44
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Marion Gauthier, édité par Antoine Terrel , modifié à
Gulbahar Jalilova a passé de longs mois dans un camp de Ouïghours, dans la région du Xinjiang, où la Chine est accusée de persécuter cette minorité musulmane. Réfugiée en France, elle raconte son calvaire à Europe 1, notamment les sévices infligés aux femmes enfermées avec elles. 
TÉMOIGNAGE

Arrivée en France au mois d'octobre, elle demande désormais l'asile. Gulbahar Jalilova, citoyenne kazakh de 56 ans d'origine ouïghoure, a passé plus d'un an dans l'un des camps mis en place par la Chine pour interner les membres de la minorité musulmane dans la région du Xinjiang. Au micro d'Europe 1, cette ancienne commerçante raconte son long calvaire, et sa volonté de continuer à témoigner. 

Gulbahar Jalilova a été arrêtée le 22 mai 2017 à Urumqi, la capitale du Xinjiang. Les autorités chinoises, qui l'accusent de terrorisme, lui demandent de signer un aveu, ce qu'elle refuse. "Comme j’avais refusé de signer, ils m'ont dit qu’ils m’emmèneraient dans un endroit où je serais bien obligée de le faire. Ils m’ont emmenée dans une autre pièce où il n’y avait pas de caméra. J’étais attachée à une chaise, je ne pouvais pas bouger", se souvient-elle. "Ensuite, le gardien a enlevé son pantalon, a mis son sexe devant ma bouche et il m’a dit : 'maintenant, tu signes'". 

Des femmes "déformées par les coups"

"C’était un jeune homme, raconte encore Gulbahar Jalilova. J’ai pleuré, et lui ai dit : 'Comment tu oses faire ça, tu n’as pas une mère ? Une sœur ?'. Il m’a frappée, m’a donné des coups sur la tête avec un bâton électrique en disant que je n'étais pas un être humain, que j'étais une bête".

Dans le camps, pendant les trois premiers mois, Gulbahar Jalilova reste dans une petite cellule avec des dizaines d’autres femmes sans être torturée, avant qu'arrive son tour. Aujourd'hui, l'ancienne commerçante se souvient des sévices endurés par ses compagnes d'incarcération. "J’ai vu des jeunes femmes que les gardiens sont venus chercher dans la cellule, et qui sont revenues après l’interrogatoire complètement déformées par les coups. J’ai vu aussi des femmes sortir de la cellule et ne jamais revenir. J’ai vu des jeunes femmes devenues complètement folles à force d’avoir été torturées, d'autres revenir après avoir été jetées parmi les rats", narre-t-elle. 

 

Elle ne se sentait pas en sécurité en Turquie

À sa sortie de camp, le 3 septembre 2018, Gulbahar Jalilova est envoyée à l’hôpital, où on la bourre de vitamines, puis à l’hôtel où on tente de cacher les marques de ses mois de captivité : on lui teint les cheveux, on la maquille. Lorsqu’elle est enfin relâchée, les autorités la menacent : si elle parle, ils la retrouveront, où qu’elle soit dans le monde.

Après être retournée au Kazakhstan, où elle retrouve son fils, Gulbahar Jalilova ne reste finalement que 20 jours dans le pays, avant de fuir en Turquie, où très vite, elle se sent en danger, craignant la présence sur place d'agents travaillant pour Pékin. Et c'est en France qu'elle décide alors de se rendre, y engageant une procédure de demande d'asile. Et la Kazakhe compte bien continuer à témoigner, malgré les menaces, notamment pour les femmes qui, contrairement à elle, n'ont pas pu s'en sortir. 

"Je vais témoigner jusqu'à ma mort"

"Extrêmement affectée psychologiquement", Gulbahar Jalilova reconnaît avoir, au début, pensé à commencer une nouvelle vie, "mais c’est impossible". "À chaque fois que je bois de l’eau, je pense à tous ces mois passés en camp avec ces femmes. Quand je mange bien, je pense à toutes ces femmes affamées, avec qui je mangeais extrêmement mal. Le soir, quand j’essaie de dormir, je pense à ces cris qu’on entendait chaque nuit", relate-t-elle. 

"C’est impossible pour moi de seulement imaginer m’arrêter. Je vais témoigner jusqu’à ma mort, jusqu’à mon dernier souffle", promet Gulbahar Jalilova. "J’ai vu des jeunes femmes mourir sous la torture. Je témoigne pour elles, personne ne peut m’arrêter."