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    27/10/2020

    « À chaque fois qu’on prenait un pot, il fallait qu’il y en ait un qui imite mon accent africain et tout le monde rigolait. »

    Insultes sexistes et racisme ordinaire, plongée dans le groupe WhatsApp d’une brigade de police

    Par Mathieu Molard , Christophe-Cécil Garnier

    C’est un groupe WhatsApp qui réunit des collègues : 33 policiers de la Bdep du 8e arrondissement. Plusieurs mois d’échanges décortiqués par StreetPress : ça cause apéro, boulot… Et cela illustre le sexisme et le racisme banalisés dans la police.

    C’est assez banal en entreprise : un groupe WhatsApp réunit la quasi-totalité des salariés. On y cause un peu boulot, un peu apéro. StreetPress a le sien, la Brigade des délégations et des enquêtes de proximité (Bdep) du 8e arrondissement de Paris aussi (1). Nous avons pu accéder à cette conversation et éplucher huit mois d’échanges entre 33 fonctionnaires de police.

    L’essentiel des messages est anodin. L’un prévient d’un retard quand un autre propose de se jeter un godet en fin de service. Il y a aussi quelques moments drôles. Comme quand un gradé débarque depuis un service voisin. C’est le branle-bas de combat : enfilez vos uniformes ! « En général, on était en civil dans nos bureaux », explique à StreetPress un gardien de la paix. Ou ce commentaire au moment de l’arrivée de Gérald Darmanin à l’Intérieur :

    « – Il a quand même une affaire de viol, d’agression sexuelle et d’abus de confiance…

    – Seulement ? Il n’arrive pas à la cheville de Totof [Christophe Castaner] alors (2) ».

    On peut aussi y lire les sujets qui minent le moral des bleus : les dossiers qui s’accumulent, le désamour des Français…

    Racisme trop ordinaire

    La conversation généralement assez anodine est ponctuée de propos qui oscillent entre les blagues de très mauvais goût, notamment à caractère raciste et des propos carrément haineux. Ces échanges sont très minoritaires (41 conversations du type recensées par StreetPress sur les huit mois que nous avons épluchés). À une seule reprise, l’auteur des propos douteux est modéré par un autre participant. L’échange a lieu en décembre 2019. Un nouveau fonctionnaire vient d’intégrer la brigade. À partir de son nom, il faut lui trouver un surnom, jugent les collègues. « Penotcchio ? », tente l’un. Pas de réaction. Avant qu’un autre ne propose « Pen-Auschwitz ». Franc succès cette fois pour cette référence au camp d’extermination nazi (le fonctionnaire en question serait maigre). Un collègue commente :

    « Oh le nom d’enkulé [smiley pleure de rire] »

    Le pseudo est adopté, mais quand le lendemain un gardien de la paix l’emploi, sa supérieure – une major – réagit :

    « Euh… Steph vaut mieux éviter ! »

    Le surnom sera ensuite malgré tout à nouveau employé ponctuellement.

    Sur les huit mois de conversations épluchés, c’est donc la seule fois où les propos seront modérés. Pourtant, au fil de la conversation, c’est un best-of de clichés racistes : les Juifs aiment l’argent, les Chinois mangent des chats, les noirs ont un gros sexe… Parfois, c’est plus trash. À propos d’un homme noir qui dénonce des discriminations :

    « – Comme d’habitude… Il n’a pas un autre terrain sur lequel jouer.

    – Je dirais bien dans un champ de coton, mais j’ai peur de passer pour un raciste »

    Des mineurs isolés sont soupçonnés de cambriolages. L’un des fonctionnaires s’émeut de les savoir probablement libres le lendemain. Un de ses collègues lui propose une « solution (…) radicale, façon 9mm ou barbare à la petite cuillère ».

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    / Crédits : StreetPress

    Sexisme et culture du viol

    Régulièrement, les policiers commentent les affaires en cours. Ici à propos d’une garde à vue Chilienne :

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    / Crédits : StreetPress

    Les insultes à caractère sexiste sont nombreuses. En vrac, « grosse pute », « salope » ou – plus original – « grosse tchoin à black bloc ». Pire, à deux reprises, ils évoquent des affaires de violences faites aux femmes auxquelles ils ont été confrontés. Et la teneur des commentaires sur le groupe WhatsApp permettent de douter de la qualité de l’écoute dont ont bénéficié les victimes. En novembre 2019, l’un des policiers raconte avoir enregistré une plainte pour une agression sexuelle de la part d’un ostéopathe. Commentaire :

    « – En même temps, c’est leur métier de foutre des doigts, on a eu plein de dossiers comme ça.

    – C’est clair. »

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    / Crédits : StreetPress

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    / Crédits : StreetPress

    Fin janvier, une femme vient déposer plainte pour des coups portés par son mari. Dans la conversation, les policiers la qualifie de « chieuse » qui vient pour des « violences conjugales à deux balles ». Avant de supposer qu’elle mentirait pour obtenir la garde de son enfant.

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    / Crédits : StreetPress

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    / Crédits : StreetPress

    Ils n’aiment pas les gauchistes

    Nous avons travaillé sur une période qui commence en septembre 2019. Entre la grève de la SNCF et les dernières manifs de Gilets jaunes, l’actu sociale reste plutôt chargée jusqu’au début du confinement. Pas vraiment la tasse de thé des policiers de la Bdep. Les cheminots ont droit à quelques noms d’oiseau, comme les Gilets jaunes et les militants de gauche radicale.

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    / Crédits : StreetPress

    Autant dire qu’ils n’ont pas beaucoup d’empathie pour les manifestants mutilés. Ainsi, à propos d’Antoine Boudinet, un Gilet jaune dont la main a été arrachée par une grenade GLI-F4 lancée par les forces de l’ordre pendant une manifestation, ils lâchent :

    « Ça lui apprendra à ramasser tout ce qui traîne ! »

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    / Crédits : StreetPress

    Cédric Chouviat, décédé lors de son interpellation par la police, ne suscite chez eux pas plus d’empathie. La major juge même que, parce qu’il filmait, il l’« a cherché ».

    L’esprit de corps est extrêmement fort. À un groupe accusé d’avoir tenté de se procurer les adresses personnelles de fonctionnaires, ils souhaitent « plein de viols », « et même plus… la torture suivie de la Mort!!! »

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    / Crédits : StreetPress

    Racisme au bureau

    Les moqueries racistes et les insultes ne visent en général que les personnes extérieures au service. À une exception : David E., gardien de la paix, noir. Sur le ton de la blague toujours, ils ironisent de clichés racistes. Comme son sexe que l’un compare à « une troisième jambe ». Un autre dit qu’il n’arrive pas à le distinguer de l’autre policier noir du service (il n’est pas présent dans le groupe). Forcément ils se ressemblent tous.

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    / Crédits : StreetPress

    David E. a 34 ans. Il est entré dans la police en 2015. « J’aime mon métier et je suis fier d’être policier », dit-il. Il a accepté de raconter à StreetPress ainsi qu’à BFM-TV l’ambiance au sein de la brigade. À son arrivée en 2018, l’ambiance est plutôt bon enfant, juge-t-il. « Il y a toujours eu des blagues, mais comme c’était sur le ton de la rigolade, j’ai pas trop relevé au début. » Il partage un bureau avec l’autre policier noir et un troisième fonctionnaire, qui n’a jamais eu un mot déplacé. Alors tant bien que mal, les mois passent. Mais à la longue « ça devient un peu lourd », dit-il. Il raconte :

    « À chaque fois qu’on prenait un pot, il fallait qu’il y en ait un qui imite mon accent africain et tout le monde rigolait, même la major. »

    Une mauvaise blague récurrente confirmée par un second fonctionnaire. « Ce n’était pas tout le monde », précise-t-il, mais personne ne disait rien. Progressivement, il se met en retrait de ces apéros et quitte le groupe WhatsApp. En parallèle, la relation avec sa supérieure, la major G. se détériore. « Elle m’humiliait », assure-t-il :

    « Elle me lançait des phrases du genre : “Achète-toi un cerveau”. »

    Il témoigne de multiples réprimandes subies au fil des mois. Après une énième humiliation « je me suis réfugié dans les toilettes du deuxième pour pleurer en silence ». Il fait appel à son syndicat. Mais les interventions du délégué Unité SGP Police ne suffisent pas à aplanir la relation. Le 24 août, alors qu’il règle une affaire de congés avec une collègue, la major s’en prend à lui :

    « Elle a collé son visage au mien et m’a hurlé dessus, m’accusant d’avoir magouillé sur mes congés. »

    Le gardien de la paix David E. reste silencieux à fixer le bout de ses chaussures :

    « Elle m’a ensuite violemment poussé contre le mur. »

    Le jour même, David E. se rend aux urgences : sa tension est au plus haut, il est au bord du burn-out. Le médecin le place en arrêt maladie. Assisté de l’avocat Arié Alimi, il porte plainte pour harcèlement, violences volontaires, discriminations, outrage. Contacté par StreetPress, le parquet de Paris confirme qu’une enquête a été ouverte, le 14 septembre, sur le chef de harcèlement moral. Certains propos (3) contenus dans la conversation WhatsApp ont également fait l’objet d’un signalement au titre de l’article 40, qui oblige tout fonctionnaire témoin d’un crime ou délit à prévenir le procureur de la République. Nous avons également sollicité le parquet pour savoir si une enquête avait été également ouverte sur la base de ce signalement. Nous n’avions pas de réponse au moment de la publication de l’article.

    En réaction, sa hiérarchie a initié une enquête administrative à l’encontre de David E. pour comportement inadapté à l’égard du public, actes de déloyauté et de désobéissance, comportements jugés contraires au devoir d’exemplarité et insuffisances professionnelles.

    (1) La Brigade des délégations et des enquêtes de proximité (Bdep) est essentiellement chargée des enquêtes préliminaires sur des dossiers « mineurs » : vols, escroqueries, abus de confiance…

    (2) Gérald Darmanin n’a jamais été condamné pour ces faits, mais une enquête est toujours en cours. Christophe Castaner n’a jamais été mis en cause (et donc condamné) pour des faits de ce type.

    (3) Seule une petite partie des propos cités dans cet article ont été signalé au titre de l’article 40.

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