[Aujourd’hui tombé dans l’oubli, le journaliste et chroniqueur Timothée Trimm fit les beaux jours du Petit Journal, dont il était l’une des plumes les plus populaires. Au point de susciter l’irritation des frères Goncourt qui, en 1860, se lamentaient qu’au pays de Victor Hugo, de Balzac et de Michelet, il fût l’auteur le plus lu. En effet, ses feuilletons pouvaient porter de 200 000 à 300 000 le tirage du quotidien républicain et conservateur. Né à Bouchain (Nord), au sein d’une famille d’officiers d’Empire, Antoine Joseph Napoléon Lespès (1815-1875) est promis à une carrière militaire, qu’il écourte pour devenir brièvement détective auprès de Vidocq, avant de se tourner vers le journalisme. Sous divers pseudonymes (Léo Lespès ou Timothée Trimm), il écrira pour plusieurs titres, notamment le périodique L’Audience dans les années 1840 puis, entre 1862 et 1869, pour le Petit Journal. Feuilletons, chroniques, articles de vulgarisation… Eclectique dans la forme et les sujets, mêlant humeur et humour, Timothée Trimm sait saisir l’air du temps. A l’instar de cette chronique sur les violences conjugales écrite en 1866, à l’aube de la première vague féministe qui voit la création de la Ligue en faveur du droit des femmes en 1868 – il n’est pas sûr qu’André Léo, sa fondatrice, se retrouve dans les propos paternalistes de Timothée Trimm.]
Vous croyez que je vais, usurpant la robe écarlate, la main gauche posée magistralement sur le code, la main droite appuyant ma démonstration d’un geste énergique, prononcer ici un réquisitoire en forme et fulminer contre l’insensé qui porte un bras sacrilège sur ce que Dieu créa de plus doux et de plus gracieux… Une accusation en règle.
Vous vous imaginez que je vais requérir contre tout mari brutal l’application de l’article du code pénal qui lui inflige la prison, en demandant le maximum des peines qu’il édicte ; détrompez-vous. Je ne suis pas chargé de faire justice… Personne ne me demandera de conclusions répressives, et si je parle des violences conjugales, c’est bien plutôt pour les prévenir que pour les châtier.
L’homme est né agressif. Dès l’enfance, un baby lève sa main de poupée sur sa mère, dans ses moments d’humeur ou d’appétit… Mais qui donc a appris à cet innocent la science des voies de fait ? Il n’a assisté à aucun pugilat, il n’a vu de son berceau aucune lutte brutale. Et il frappe sur la blanche poitrine qui le nourrit, comme un glouton à la porte d’un restaurant…
Frapper une femme, c’est plus qu’un crime, c’est une lâcheté… La femme, c’est toujours un enfant ; il a grandi, voilà tout. La femme, c’est l’enjouement, c’est la gaîté, c’est la soudaineté, c’est le caprice revêtant une forme humaine. Elle est joueuse, elle est étourdie, elle est mélancolique et folle dans la même minute. C’est sans doute afin que l’homme ne pût s’ennuyer jamais que le Créateur lui a donné la femme aux multiples physionomies.
Chacune de ses heures est une transfiguration. Il y a longtemps que le kaléidoscope, avec ses couleurs changeantes, a établi son prisme dans ses doux yeux.
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