Süddeutsche Zeitung : Vous avez été la première femme originaire du Sénégal à faire des études en Allemagne, la première Afro-Allemande à siéger dans un conseil municipal et vous êtes maintenant la première Afro-Allemande élue au Parlement européen. Comment vit-on le fait d’être si souvent la première ?

Pierrette Herzberger-Fofana : Je préfère dire que je compte “parmi les premières”. Je n’en fais pas une affaire. J’ai toujours souhaité qu’il y en ait davantage. Comme ce n’était pas le cas, j’ai dû surmonter bon nombre d’obstacles.

Pouvez-vous en donner des exemples ?

Je n’ai jamais pu lever la tête vers quelqu’un pour lui demander : “Comment tu fais, toi ?” Du coup, j’ai appris à prendre toujours mon destin en mains et à être mon propre modèle. En 1980, j’étais lectrice à l’université d’Erlangen-Nuremberg [en Bavière], où j’enseignais le français. C’était encore rare à l’époque qu’une femme noire donne des cours. Au vu de mon prénom et de mon double nom de famille, les étudiants s’attendaient à voir arriver une Française blanche, mariée à un homme noir. Quand je suis arrivée dans la salle, il y a eu un immense éclat de rire. Les gens étaient surpris que leur professeure soit une petite femme noire. C’est une anecdote parmi d’autres, mais chacun de nous peut raconter le même genre d’histoires. Avec le temps, on apprend à faire avec et à maîtriser sa vie.

Pourquoi êtes-vous venue en Allemagne ?

Je voulais être professeure d’allemand. J’aimais la littérature allemande, je voulais découvrir la culture et la transmettre ensuite à mes élèves et à mes étudiants au Sénégal.

Mais finalement, vous n’êtes pas repartie…

En effet, parce que je me suis mariée, en 1973.

Comment êtes-vous entrée en politique ?

Je me suis engagée pour les droits des femmes et, en 1995, j’ai participé à la conférence mondiale de Pékin [organisée sous l’égide des Nations unies]. Au retour, j’ai écrit un article dans la presse locale, et les Verts m’ont sollicitée pour être maire d’Erlangen [ville de 100 000 habitants, en Bavière]. Il était clair que je ne le serais pas, mais ce n’était pas mon objectif : à l’époque, le racisme était très fort en Allemagne, et l’enjeu de ma candidature était de donner un signal. C’est ainsi que ça a commencé, et maintenant je siège au Parlement européen.

Combien y a-t-il d’eurodéputés noirs ?

On était sept, mais Magid Magid, le seul homme, n’est plus là depuis le Brexit [l’eurodéputé britannique, ancien maire de Sheffield, s’était vu refuser l’entrée au Parlement en juillet 2019 en raison de son apparence]. Nous sommes désormais six femmes noires, des élues de France [Maxette Pirbakas (RN/Identité et démocratie), originaire de Guadeloupe], de Suède, du Luxembourg, des Pays-Bas, de Belgique [Assita Kanko (N-VA/