Soudan du Sud : Aluel et Eva, deux jeunes femmes qui s'opposent à la société patriarcale

Soudan: Aluel et Eva, deux jeunes femmes qui s'opposent à la société patriarcale

© Tous droits réservés

Temps de lecture
Par Patricia Huon, correspondante RTBF

Chaque jeudi soir, dans un studio de la capitale Juba, Eva Lopa prend l’antenne. Sa voix grave et un peu cassée, son tempérament parfois explosif, sont connus sur les ondes sud-soudanaises et parmi les jeunes socialistes de la ville. Dans la vie comme au micro, la présentatrice de GenderTalk211, une émission radio féministe lancée il y a quelques mois, ne craint pas la controverse.

Ce qui a commencé comme une plateforme de discussion sur les réseaux sociaux est aujourd’hui un débat hebdomadaire en direct, diffusé sur Advance Youth Radio, suivi par une audience plutôt jeune et urbaine. On y parle de droits des femmes, et de toutes les difficultés quotidiennes qui touchent celles-ci. "Il n’existe pas, au Soudan du Sud, d’espace (de discussion) où les femmes se sentent suffisamment en confiance pour parler de leurs problèmes, de leurs luttes, dit Eva "Lopa" Taban, 28 ans. C’est ce que nous voulons offrir avec cette émission".

Le Soudan du Sud a célébré son Indépendance en 2011, dans l’euphorie, après des décennies de guerre civile contre le pouvoir de Khartoum. Mais un nouveau conflit éclate moins de trois ans plus tard, initié par une lutte de pouvoir entre le président Salva Kiir et son vice-président Riek Machar, et prend la tournure d’un affrontement fratricide, qui se dessine le long de lignes ethniques et de diverses alliances fluctuantes. Les accords de paix ont volé en éclats les uns après les autres, la guerre a fait des centaines de milliers de victimes et forcé des millions de personnes à quitter leur foyer.

Quand j’étais petite, on me disait souvent que je ne pouvais pas faire telle ou telle chose

Les deux jeunes femmes à l’initiative de GenderTalk211, Aluel Atem (la productrice) et Eva Lopa (la présentatrice), ont, comme beaucoup de Sud-Soudanais, grandi en exil. Après leurs études, fortes de leurs expériences internationales, elles reviennent vivre sur la terre de leurs ancêtres, avec la volonté de contribuer au développement du jeune pays.

Un des problèmes auxquels elles sont immédiatement confrontées : une société très patriarcale dans laquelle les discriminations, et parfois la violence, envers les femmes, est répandue. "Quand j’étais petite, on me disait souvent que je ne pouvais pas faire telle ou telle chose. La seule explication était que j’étais une fille", raconte Aluel, trentenaire, activiste passionnée, aussi posée que déterminée.

"Puis j'ai réalisé l'oppression à laquelle les femmes et les filles sont confrontées. Cela m'a ouvert les yeux sur beaucoup de dynamiques que je ne percevais pas comme des problèmes en grandissant, car elles étaient tellement normalisées. Aujourd’hui, je suis fière d’être une féministe au Soudan du Sud, et j’espère que cela peut inspirer les plus jeunes à adopter cette identité".

Accès à l'éducation, lutte contre les mariages forcés...

Aluel s’implique dans la lutte contre les mariages précoces et forcés, milite pour l’accès à l’éducation des jeunes filles… Avec GenderTalk211, elle décide d’ouvrir la conversation sur des thèmes qui peuvent parfois sembler anodins, mais continuent de diviser, ou d’être considérés tabou.

Sur le plateau, les discussions, avec des invités, abordent les stéréotypes de genre, les mères célibataires, les menstruations, la place des femmes dans la religion…

Avec l’objectif de bousculer les normes sociales, et de changer les choses. "Il y a encore cette conception qui voudrait que les femmes gèrent entre elles les problèmes féminins. Or, lorsque des hommes s’expriment et prennent position, d’autres réalisent qu’ils ont aussi un rôle important à jouer dans ce combat pour l’égalité", dit Sambro Lupai, le présentateur engagé qui co-anime l'émission.

Ils ne peuvent pas me briser

 

Soudan: Aluel et Eva, deux jeunes femmes qui s'opposent à la société patriarcale

L’équipe de GenderTalk211 est fière de créer le débat. Mais le retour de bâton est parfois violent. Lorsque, au mois de septembre, Aluel annonce ses fiançailles, les insultes pleuvent, envers elle, et celui qui a osé tomber amoureux d’une femme insoumise. "C’est du harcèlement, dit-elle. Mais le fait que les gens s'énervent signifie que vous avez les avez touchés là où ça dérange. Nous ne sommes plus à une époque où les hommes pouvaient agresser, en sachant que les femmes en face d’eux feraient marche arrière. Pour moi, riposter en ligne, a permis d’atteindre un stade où ils savent qu’ils ne peuvent pas me briser".

Les défis restent immenses. "La vie n’est facile pour personne, au Soudan du Sud (…). Mais beaucoup de filles, y compris celles qui grandissent aujourd’hui, n’auront pas la moindre chance de sortir de leur condition, dit Eva. Si on arrive à se demander pourquoi nous en sommes là, à parler sans que ce soit considéré comme une attaque envers les hommes, c’est déjà un pas en avant".

Et le fait que des jeunes femmes puissent faire entendre leur voix est une preuve qu'un changement est en cours.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Tous les sujets de l'article

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous