Ces dernières années, la mode n'a eu de cesse de célébrer ses premières fois. La première fois qu'un photographe noir shootait la cover du Vogue US, la première fois qu'une femme Trans obtenait ses ailes Victoria Secret... Parmi toutes ces premières fois saluées, il y a eu cette fois, en 2019, où Halima Aden est devenue la première mannequin noire voilée à illustrer la couverture du célèbre magazine Sports Illustrated.

Un an plus tard, cette première fois largement célébrée a comme un goût amer. La jeune mannequin d'origine somalienne de 23 ans a annoncé récemment souhaiter faire une pause dans sa carrière. Si elle invoque pour raisons l'envie de se retrouver et de se recentrer sur sa foi, elle met aussi en lumière les conséquences personnelles et collectives auxquelles on fait souvent face lorsqu'on franchit en premier la ligne d'arrivée.

"Être une minorité au sein d'une minorité n'est jamais facile"

Remarquée depuis 2016, Halima Aden s'est hissée dans la liste des mannequins incontournables de l'époque. À cette période, c'est l'élection Miss USA qui la met sous le feu des projecteurs. La raison ? Elle n'y défile pas en bikini à l'instar des autres candidates, mais en burkini. L'image fait le tour du monde et lui permet d'être remarquée par Carine Roitfeld, ancienne rédactrice-en-chef de Vogue Paris qui a lancé depuis son magazine éponyme, le CR Fashion Book.

Halima Aden n'a alors que 19 ans et pourtant, elle est propulsée rôle modèle pour des milliers de petites filles et femmes à travers le monde, prouvant qu'on peut percer dans le milieu très fermé de la mode en restant fidèle à soi-même et à ses convictions, foi incluse. Elle prend alors la pose pour Fenty Beauty, la marque inclusive de Rihanna et se retrouve en Une de nombreux magazines de mode tels que les Vogue US, Vogue Arabia, Elle US et Allure magazine.

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J'ai perdu de vu qui j'étais.

Pourtant, quatre ans après ses débuts, la jeune femme dresse un bilan personnel mitigé de sa "réussite internationale". En cause ? La sensation d'avoir dû changer, de faire des compromis avec ses croyances, pour correspondre à l'image de la "hijabi moderne".

"Comme j'ai pu le dire à de nombreuses reprises, être une minorité au sein d'une minorité n'est jamais facile", commence la jeune mannequin dans une Story sur Instagram, fin novembre. "J'aurais aimé ne jamais avoir cessé d'amener mon propre hijab noir sur les shootings. Dès que j'ai commencé à me sentir trop à l'aise... Disons simplement que je me suis laissée griser".

Si dans cette story la jeune femme aborde la complexité personnelle qu'elle a pu expérimenter dans la coexistence de sa foi et de son métier, elle met malgré tout en évidence l'incapacité de l'industrie à prendre en compte ce que signifie être une femme voilée.

Elle écrit : "Je ne peux que me blâmer moi-même de m'être souciée davantage des opportunités qui se présentaient que de ce qui était réellement en jeu. Je me blâme d'avoir été naïve et rebelle. Ce que je reproche à l'industrie, c'est le manque de stylistes musulmanes".

Ainsi, elle aborde l'un des actuels reproches fait à l'industrie du luxe en matière de "diversité" : penser plus souvent aux égéries, à l'image en somme, qu'à celles et ceux qui la font.

Loin d'arrêter sa carrière comme on a pu le lire ça et là, la jeune femme profite du fait que l'industrie tourne actuellement au ralenti des suites de la covid-19 pour faire une pause et ainsi réfléchir à la place du hijab dans sa vie.

Halima Aden ou la difficulté d'être un rôle modèle

Plus qu'aborder les questions de foi et de mannequinat, les réflexions menées par Halima Aden nous font réfléchir à ce que signifie réellement être "la première", et à son coût. Qui pense à la pression que peut susciter le fait d'être la seule personne qui puisse représenter toute une communauté ?

En exemple, elle se remémore la fois où son hijab a été remplacé par un jean lors d'une campagne pour American Eagle. "J'ai souvent dû me justifier quant à cette campagne. Comme si nous avions besoin que ces marques représentent les Hijabis. Alors qu'ils ont besoin de nous. Jamais l'inverse", écrit le mannequin."Mais à l'époque j'étais tellement désespérée et avide de "représentation" que j'ai perdu de vue qui j'étais."

 

"Représentation". Un terme qu'on a beaucoup entendu dans la mode au cours de ces dernières années. Derrière lui, se dissimule souvent un espoir, celui porté par une génération qui cherche à être vue et entendue. L'envie de voir ceux et celles qui l'entourent exister eux aussi.

"Après avoir assisté à mon premier grand événement sur le tapis rouge, je me souviens avoir soudainement voulu me changer. [...] Mais maintenant je sais que c'était parce que j'étais la seule. Je ne me souviens pas avoir vu d'autres personnes habillées comme moi", écrit encore Halima Aden. 

On a ainsi tôt fait de comprendre qu'on peut difficilement porter l'espoir de toute une communauté seule, même si on a envie de lui rendre hommage et de montrer la beauté et la diversité qu'elle recèle.

Finalement, ce que nous apprend le choix d'Halima Aden, c'est que la capacité de la mode à porter en étendard un "token", c'est à dire une personne issue d'une "minorité" pour donner une illusion de progrès, perdure. Or, si l'industrie tient vraiment à inclure celles et ceux qu'elle a longtemps eu tendance à laisser à ses portes, il faut qu'elle réalise qu'il ne suffit plus d'en faire entrer une seule.