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Dans le monde, ces sociétés où les femmes gouvernent

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Ironei, un village sur l’île de Canhabaque, en Guinée-Bissau, est en partie dirigé par un conseil d’anciennes. Une instance réservée aux "akãto bowã", des femmes d’une même classe d’âge, qui ont fini leur initiation et déjà formé leurs cadettes. © Nadia Ferroukhi.

Guinée-Bissau, Mexique, Etats-Unis, Indonésie… Dans quelques rares endroits du globe, des communautés existent où la maternité dicte la loi. Plongée dans ces sociétés singulières.

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Winnie entame toujours les présentations de la même façon. "Je suis née du clan de ma mère, Naakaii Dine’é, celui 'des nomades'." Ce n’est qu’après qu’elle évoque le clan de son père, Ta’néézahnii, celui "des égarés". Ce protocole, ce sont sa mère et sa grand-mère qui le lui ont enseigné, comme toutes les autres clefs de la culture Navajo. Winnie a si bien retenu la leçon qu’elle est, à vingt-trois ans, l’ambassadrice de ces traditions au sein de la nation Navajo, un territoire réparti entre Arizona, Utah et Nouveau-Mexique, où elle vit avec sa famille. Une famille dans laquelle, comme pour les Zapotèques du Mexique, les Minangkabau d’Indonésie, ou toute autre société dite "matrilinéaire", c’est la filiation maternelle qui prime.

Des exceptions, dans notre monde largement patriarcal, que la photographe Nadia Ferroukhi a étudié pendant des années dans une dizaine de pays et que la Journée internationale des femmes nous donne l’occasion de présenter. Il existe en effet une minorité, infime, de sociétés où un individu est, avant toute chose, la fille ou le fils de sa mère, la petite-fille ou le petit-fils de sa grand-mère.

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EN IMAGES
Les sociétés matrilinéaires à travers le monde

En Afrique, en Amérique du Nord et dans le Pacifique notamment, des femmes, colonne vertébrale de leur communauté, continuent de transmettre leur nom, leurs biens et leurs savoirs à leurs filles, héritières d’une lignée exclusivement féminine.

Des sociétés matrilinéaires et non matriarcales

"La naissance de filles est donc nécessaire puisque ce sont elles qui transmettent la filiation, expliquait alors Françoise Héritier (décédée depuis, ndlr), anthropologue française, experte des systèmes de parenté et qui a succédé à Claude Lévi-Strauss au Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France. Les fils, eux, appartiennent par leur naissance au groupe de leur mère, mais ils ne transmettent pas cette filiation à leurs enfants."

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Les anthropologues qualifient ces sociétés de "matrilinéaires". Une définition qui diffère largement de celle, plus familière à nos oreilles, de "matriarcat". Forgé au XIXe siècle en opposition binaire avec le "patriarcat", le second terme désigne en effet une situation où les femmes exercent le pouvoir politique. C’est Johann Jakob Bachofen, un juriste suisse auteur du Droit maternel (1861), qui a popularisé le concept.

Selon lui, le matriarcat aurait été une étape transitoire dans l’histoire humaine. Il imaginait en effet un stade initial d’anarchie sexuelle, qu’il faisait remonter approximativement aux débuts de l’humanité, et où rien ne régulait les rapports entre sexes. Pour y mettre fin, les femmes auraient instauré le matriarcat. Seules garantes de la filiation des enfants, elles se seraient ainsi placées au centre des échanges sociaux. Ce système aurait ensuite été supplanté par le patriarcat, que Bachofen s’est bien gardé de remettre en cause.

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Pour Friedrich Engels, le matriarcat faisait figure de paradis perdu

Cette thèse a été reprise par Lewis Henry Morgan, un Américain considéré comme l’un des fondateurs de l’anthropologie de terrain, dans un ouvrage publié en 1871 et tenu pour la première recherche scientifique sur la parenté. L’étude de Morgan sur la société iroquoise, matrilinéaire elle aussi, l’a poussé à construire une théorie voisine de celle de Bachofen, selon laquelle l’évolution humaine aurait traversé trois stades : l’état sauvage, la barbarie et la civilisation. La filiation par les femmes s’inscrivant dans une étape intermédiaire du premier état, le sauvage.

Ce point de vue, évolutionniste, a resurgi dans les écrits marxistes. Friedrich Engels, s’inspirant de l’hypothèse de Bachofen, considérait ainsi le patriarcat comme une oppression paternelle nuisible et assimilait domination masculine, apparition de la propriété privée et naissance des inégalités. A l’opposé, le matriarcat coïncidait pour lui avec un meilleur partage des biens et des tâches, et faisait figure de paradis perdu. Dans les années 1970, les féministes, notamment aux Etats-Unis, ont repris cet argument. S’appuyant sur les écrits d’Evelyn Reed, scientifique américaine proche du communisme et militante de la cause féminine, elles y voyaient la démonstration que les femmes avaient contribué au moins autant que les hommes, si ce n’est plus, au progrès de l’humanité.

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L’existence initiale du matriarcat était pour elles la preuve qu’un système non discriminant était possible, où la répartition des droits et des devoirs entre les sexes serait équitable. Un éden originel séduisant, certes, mais fictif. Pour Françoise Héritier, cette représentation de l’histoire est une "figure mythique, qui n’a jamais existé dans les faits", car le pouvoir masculin est en place depuis les origines de l’humanité. Certains chercheurs sont toutefois moins catégoriques : tout en admettant que le matriarcat en tant que domination féminine est un mythe, Martine Gestin, docteur en anthropologie sociale, considère qu’un très petit nombre de sociétés matrilinéaires présentent des relations hommes-femmes équilibrées.

Les hommes ne sont pas complètement écartés

Les Zapotèques au Mexique, les Minangkabau en Indonésie, les Navajos aux Etats-Unis… Toutes ces communautés se basent sur la filiation maternelle, mais aucune n’écarte complètement les hommes. "Frères de", "époux de" ou "fils de", les "messieurs" ne s’y effacent pas car d’importants pouvoirs leur sont confiés. Parmi ceux-ci, et non des moindres : le pouvoir politique. Les femmes peuvent bien concentrer les richesses et assumer d’importantes fonctions rituelles, les hommes assument de toute façon les charges de chef de village. En outre, la brutalité masculine s’exerce toujours sur les femmes à des degrés variables. Au Mexique, par exemple, les femmes Zapotèques ont beau être estimées pour leur rôle dans la communauté et se montrer indispensables aux revenus de leur foyer, elles sont – selon les associations locales – plus de la moitié à subir des violences conjugales. Qu’elles soient confrontées à ces abus ou qu’elles y échappent, qu’elles confient aux hommes des tâches centrales ou qu’elles réduisent leur rôle au minimum, dans tous les cas, les sociétés matrilinéaires attribuent un certain pouvoir décisionnaire à l’autre sexe. Non pas en tant que mari ou père, certes, mais souvent en tant qu’oncle maternel.

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Et où habitent les hommes ? Les sociétés de droit maternel se distinguent aussi par leurs différentes lois de résidence. Dans des communautés dites "natolocales", comme chez les Musuo de Chine, par exemple (photographiés par Nadia Ferroukhi pour GEO en 2009), père et mère ne vivent sous le même toit que par intervalles. Alors que chez les Sereer Ndut du Sénégal, une société matrilinéaire dite "virilocale", les épouses emménagent chez leurs maris. Et c’est l’inverse chez les Bijogos de Guinée-Bissau, rencontrés dans ce reportage, où la règle dite "matrilocale" ou "uxorilocale" impose à l’homme de venir habiter dans la maison de sa compagne.

Mais, quelles que soient leurs spécificités géographiques, démographiques ou structurelles, ces sociétés matrilinéaires partagent toutes la même incertitude : celle qui pèse sur leur avenir. Déjà affaiblies par les missions évangélisatrices menées par les différents colonisateurs, elles doivent aujourd’hui affronter la globalisation culturelle et la curiosité touristique. A l’image des Musuo qui voient défiler plus de 100 000 visiteurs par an dans leurs villages de la plaine du Yongning, dans le sud-est de la Chine. Comble de l’ironie, ce "royaume des femmes" vanté par les voyagistes attire surtout de jeunes couples en costume trois pièces et robe blanche qui viennent passer leur voyage de noces dans un lieu où le mariage n’existe pas. Pas encore.

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➤ Découvrez en images les sociétés matrilinéaires à travers le monde.

Au nom de la mère, un reportage de Laure Dubesset-Chatelain (texte) et Nadia Ferroukhi (photos) paru en mars 2012 dans le magazine GEO n°397.

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Nadia Ferroukhi.