► Que prévoit la nouvelle loi contre le viol ?

Le président pakistanais a signé mardi 15 décembre une ordonnance contre les viols et les agressions sexuelles, un fléau récurrent dans le pays. Le texte prévoit la création d’un tribunal spécial dédié à ces affaires pour les traiter plus rapidement, dans un délai de quatre mois espère le gouvernement. Des « cellules de crise » seront installées partout dans le pays pour pratiquer des examens médicaux sur les victimes dans les six heures qui suivent un viol présumé.

Souhaité par le premier ministre Imran Khan, le texte prévoit aussi la castration chimique pour toute personne qui se rendrait coupable de viol, que ce soit sur une femme ou sur un mineur. Après plusieurs semaines de débats, il a finalement été décidé que le consentement du condamné ne serait pas nécessaire, malgré la protestation d’associations de défenses des droits de l’homme. Un fichier regroupant les délinquants sexuels doit voir le jour.

► Pourquoi de telles mesures ont-elles été adoptées ?

En septembre, un viol collectif commis près de Lahore a provoqué des remous dans tout le pays. En panne d’essence sur le bord d’une autoroute, une mère de famille a été violée devant ses deux enfants par « au moins deux hommes », selon l’enquête. Un cadre de la police locale s’en est pris à la victime, s’étonnant qu’elle conduise de nuit sans compagnon masculin, déclenchant une vague d’indignation chez les femmes pakistanaises.

Selon la nouvelle loi, tout agent de police qui ferait preuve de négligence dans le traitement d’un dossier risque jusqu’à 3 ans de prison. « De la poudre aux yeux », juge Sadia Bokhari, de la Commission des droits de l’homme pakistanaise, selon laquelle « le texte ne protège pas assez les victimes ». Plusieurs avocats et associations demandent au gouvernement de renforcer l’application des lois existantes plutôt que d’adopter cette nouvelle ordonnance. « Sans protection des victimes, qui sont harcelées et intimidées par la police, les survivants de ces agressions sont facilement réduits au silence », note Human Rights Watch dans un rapport.

Les affaires de viols collectifs, parfois sur des mineurs de moins de dix ans, font régulièrement l’actualité au Pakistan. Un phénomène de grande ampleur dans le pays. Les autorités pakistanaises reconnaissent que les statistiques officielles - qui enregistrent onze viols par jour en moyenne - sont bien en deçà de la réalité.

► Comment l’Union européenne a pesé sur le texte final ?

Selon Muhammed Faisal, un lobbyiste pakistanais auprès de l’Union européenne, l’ordonnance que vient de signer le président pakistanais est une version « gentille » du texte, qui prévoyait dans un premier temps la peine de mort pour les cas de viols les plus graves. « Certains religieux qui pratiquent la circoncision, dans les campagnes surtout, agressent des enfants, c’est un vrai fléau, affirme-t-il. Mais des officiels européens ont fait part de leur opposition à cette partie du texte. »

→ ENQUÊTE. L’Asie du Sud malade des violences sexuelles

L’Union européenne a poussé depuis plusieurs mois pour qu’une loi anti-viol soit votée. Trois auditions ont été menées fin octobre au Parlement européen à propos du drame de Lahore, concluant à la nécessité de réformer le système judiciaire pakistanais pour protéger les femmes et les victimes d’abus sexuels. « Le Pakistan ne voulait pas risquer que l’UE n’émette des réserves et ne prenne des mesures de rétorsion », explique Muhammed Faisal. Depuis 2014, les Vingt-Sept accordent un statut préférentiel au Pakistan, soumis au respect des conventions internationales sur les droits de l’homme. « La relation du Pakistan avec l’Union européenne est trop importante pour prendre ce risque », assure le lobbyiste.