« Nos âmes sont mortes » : le témoignage glaçant d’une survivante de l’enfer ouïghour

 « Nos âmes sont mortes » : le témoignage glaçant d’une survivante de l’enfer ouïghour

Le livre « Rescapée du goulag chinois » de Gulbahar Haitiwaji est le premier témoignage direct d’une survivante des camps chinois

Alors que la répression contre la minorité ouïghoure se fait toujours plus forte en Chine, une rescapée des camps d’internement réfugiée en France livre un témoignage-choc. Ce premier témoignage direct nous plonge dans la cruauté de ce que les observateurs qualifient de génocide.

Avec « Rescapée du goulag chinois », Gulbahar Haitiwaji nous plonge dans l’enfer qu’est devenu le Xinjiang pour des millions de musulmans ouighours. Cette mère de famille ouïghoure est pourtant installée en France depuis le milieu des années 2000. Elle a quitté le Xinjiang avec ses deux filles pour rejoindre son mari exilé qui y a trouvé refuge.

En 2016, son ancien employeur la convainc de venir en Chine pour des démarches administratives. En vue de sa retraite, il lui faut signer des papiers. Impossible de le faire par procuration, lui assure au téléphone le comptable de la compagnie pétrolière qui l’a employée pendant 20 ans. Malgré son appréhension, Gulbahar Haitiwaji décide de faire le voyage.

Elle se retrouve arrêtée peu après son arrivée en Chine, puis disparaît. Pendant son interrogatoire, la police lui montre une photo de manifestants ouïghours à Paris, raconte-t-elle. Parmi la foule, sa fille, Gulhumar brandissant le drapeau du Turkestan oriental, symbole des indépendantistes ouïghours. Pour les autorités chinoises, sa fille est donc « une terroriste ». Gulbahar Haitiwaji réussit à informer sa famille de son arrestation, mais à partir du 29 janvier 2017, plus rien. Pendant six mois, sa famille ignore ce qui lui est arrivé.

Elle va passer cinq mois dans les cellules de la police de Karamay, entre interrogatoires et cruautés arbitraires. Puis elle est transférée dans une école « construite par le gouvernement pour corriger les Ouïghours, disaient-ils ». Il s’agit en réalité du camp de Baijiantan, un camp au milieu du désert.

Pendant cette absence, elle ignore de son côté que sa fille essaie de mobiliser l’opinion en France. Elle publie une pétition signée par près de 500 000 personnes et appelle à la libération de sa mère sur les plateaux de télévision. Un premier procès condamne Gulbahar Haitiwaji à 7 ans de rééducation. Mais au bout de deux ans, lors d’un procès expéditif en août 2019, un juge de Karamay la déclare innocente.

 

Nettoyage ethnique méticuleux des ouighours

De son expérience, elle a tiré un livre écrit avec la journaliste Rozenn Morgat et publié le 13 janvier. C’est le premier témoignage d’une survivante ouïghoure. L’ex-prisonnière y raconte par le menu le déroulé déshumanisant des journées. Le but est selon elle de faire lentement disparaître une ethnie musulmane « dans l’indifférence générale ».

Des planches numérotées en guise de lit, un seau pour faire ses besoins, une fenêtre toujours fermée et deux caméras panoramiques. Voilà le seul mobilier des dortoirs où elle va passer son temps de « rééducation ».

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Lavage de cerveau 11 heures par jour, autocritique forcée, aveux extirpés, serments d’allégeance répétés matin et soir, pressions physiques et psychologiques sont le quotidien des détenus. Pour les femmes, s’y ajoutent les stérilisations forcées sous couvert de vaccination. Le tout avec un encadrement et des règles militaires. Gare à ceux ou celles qui bailleraient, refuseraient de la nourriture ou même fermeraient les yeux en classe sous peine de se voir accuser de prier ou de s’accrocher à sa religion avec pour conséquences des punitions physiques et des humiliations.

 

Extraits

« Dans ces camps, la vie et la mort n’ont pas le même sens qu’ailleurs, écrit Gulbahar Haitiwaji. Cent fois, j’ai pensé, quand les pas des gardiens nous réveillaient dans la nuit, que notre heure était venue. Lorsqu’une main m’a violemment tondu le crâne, tandis qu’une autre arrachait les mèches de cheveux tombées sur mes épaules, j’ai fermé les yeux, pensant que ma fin était proche, que je me préparais à l’échafaud, à la chaise électrique, à la noyade. La mort était omniprésente. »

« Quand les infirmières m’ont attrapé le bras pour me “vacciner”, j’ai cru qu’elles m’empoisonnaient. En réalité, elles nous stérilisaient. C’est alors que j’ai compris la méthode des camps, la stratégie mise en œuvre : ne pas nous tuer de sang-froid, mais nous faire disparaître lentement. Si lentement que personne ne s’en rendrait compte. »

« Pensaient-ils nous briser avec quelques pages de propagande ? Et puis au fil des jours, la fatigue s’installe, l’épuisement guette. J’étais fatiguée, tellement fatiguée. Je ne pouvais même plus penser. Des journées et des soirées entières à répéter les mêmes phrases vides de sens qui, jour après jour, abrutissent, effacent les souvenirs, gomment les visages du passé. Personne ne nous a dit combien de temps cela allait durer ».

« Nous sommes des ombres, nos âmes sont mortes. On m’a fait croire que mes proches, mon mari et ma fille, étaient des terroristes. J’étais si loin, si seule, si épuisée et aliénée, que j’ai presque fini par le croire. Mon mari, Kerim, mes filles Gulhumar et Gulnigar – j’ai dénoncé vos ”crimes” ».

 

Maigre opposition internationale

Depuis plusieurs années, la Chine mène dans le Xinjiang une répression sans merci contre sa minorité musulmane ouïghoure notamment. D’après des organisations de défense des droits de l’Homme, plus d’un million de musulmans sont en détention dans des camps de rééducation politique.

Tout comme à Hong Kong, la mise au pas des voix chinoises dissidentes se serait même intensifiée en 2020 à la faveur de la paralysie mondiale due à la pandémie de covid-19. Pékin récuse ce chiffre et évoque des « centres de formation professionnelle » destinés à lutter contre la radicalisation islamiste.

Cette politique fait l’objet de dénonciation, principalement de la part de pays occidentaux. Le Royaume-Uni a ainsi décliné le 12 janvier des mesures pour empêcher les marchandises liées au travail forcé dans la province du Xinjiang d’arriver jusqu’aux consommateurs britanniques. Londres emboîte le pas à Ottawa et Washington qui ont récemment pris des mesures similaires.

Pékin peut en revanche compter sur l’appui de plusieurs pays, dont un certain nombre de pays musulmans, dont l’Égypte et, plus récemment, la Turquie.

Rached Cherif