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Précarité menstruelle : un tiers des étudiantes ont besoin d’aide pour acheter des protections périodiques

Plusieurs associations étudiantes mettent en lumière dans une enquête publiée ce lundi la réalité de la précarité menstruelle étudiante. Le besoin d’agir se fait de plus en plus urgent alors que les jeunes sont touchés de plein fouet par la crise économique.
par Marlène Thomas
publié le 8 février 2021 à 6h05

«Savoir qu’une étudiante sur 10 fabrique elle-même ses protections périodiques faute d’avoir assez argent pour en acheter, qu’une sur vingt utilise du papier toilette, ça a été un réel choc», commente Anna Prado De Oliveira, vice-président en charge de la lutte contre les discriminations à la Fage (Fédération des associations générales étudiantes). Alors que les jeunes sont touchés de plein fouet par la crise économique, la Fage, l’Association nationale des étudiants sages-Femmes (ANESF) et l’Association fédérative des étudiant·e·s picto-charentais·e·s (Afep) relèvent, dans une enquête dévoilée ce lundi, l’urgence de lutter contre le fléau de la précarité menstruelle étudiante. En France, près de 1,7 million de femmes n’auraient pas les moyens d’acheter des protections périodiques (1).

Plus de 6 500 étudiant·e·s ont été interrogé·e·s, dont une majorité de femmes mais aussi des minorités de genres menstruées comme des personnes non-binaires ou des hommes trans. Les résultats sont inquiétants : 13 % déclarent avoir déjà dû choisir entre acheter des protections hygiéniques et un autre produit de première nécessité. Plus largement, 33 % estiment avoir besoin d’une aide pour s’en procurer. A savoir que 46 % déboursent en moyenne 5 à 10 euros chaque mois à cet effet, un budget conséquent pour des jeunes précaires. Pour la moitié des répondants viennent en plus s’ajouter d’autres dépenses connexes en antidouleurs, sous-vêtements et autres linges de lit pour une note grimpant jusqu’à plus de 20 euros par mois.

«Je mangerais à ma faim»

«Que feriez-vous avec l’argent dépensé dans les protections si vous n’aviez pas à en acheter interroge l’enquête. Les témoignages, anonymes, dressent les contours de situations alarmantes : «Je mangerais à ma faim», «Pouvoir enfin m’acheter un nouveau soutif au lieu de tourner sur deux» ou encore «Je m’en servirais pour acheter des aliments de première nécessité auxquels je renonce fréquemment».

Les conséquences de la précarité menstruelle sur la santé, la vie sociale, professionnelle et les études sont indéniables. Derrière l’achat de tampons se nichent pour certain·e·s exclusion et fragilisation de l’image de soi. «Aujourd’hui encore, un·e étudiant·e menstrué·e sur dix déclare avoir déjà manqué le travail ou les cours par peur des fuites et que leurs règles soient vues.» Témoignage, s’il en fallait, que le tabou entourant les règles reste encore tenace. «Les investissements manquent sur la sensibilisation et la prévention autour des menstruations comme des maladies gynécologiques associées. Il est nécessaire de la développer pour mettre fin à ce tabou», lance Anna Prado De Oliveira en saluant le travail d’activistes féministes sur les réseaux sociaux.

Grâce à la mobilisation d’associations comme le collectif Georgette Sand, les règles ont enfin été inscrites à l’agenda politique. Reste que la France n’est toujours pas en pointe sur le sujet de la précarité menstruelle. L’Ecosse, qui a voté l’accès gratuit et universel aux protections périodiques en novembre, fait figure d’exemple à l’international et nous distance de loin. Dans l’enseignement supérieur en France, les initiatives existent mais sont souvent locales, menées par les universités ou les étudiantes elles-mêmes. L’université de Lille organise des distributions gratuites, Rennes II a installé des distributeurs en libre-service tout comme la Sorbonne, les résidences Crous de Bretagne ou l’université de La Rochelle. Les épiceries sociales et solidaires Agoraé de la Fage, où les files d’attente ne cessent de s’allonger, prévoient aussi des distributions avec le concours de partenaires comme l’association Règles élémentaires. L’enquête exhorte à élargir «ces dispositifs, encore bien trop rares» à l’ensemble des établissements du supérieur et des résidences universitaires.

Une aide financière

La région Ile-de-France s’est démarquée jeudi en annonçant l’installation prochaine de distributeurs gratuits de protections biologiques dans les universités et résidences étudiantes. Une première à cette échelle dans le pays. «C’est une très bonne nouvelle. Mais on est attentif au fait que ces distributeurs soient visibles et accessibles à toutes et tous dans des endroits stratégiques», insiste le vice-président de la Fage en notant porter aussi une attention particulière à la qualité des protections périodiques délivrées. Pour lutter contre l’injustice de la précarité menstruelle, près de la moitié des répondant·e·s plaident pour une prise en charge par la sécurité sociale. Un quart estime qu’elles devraient être mises à disposition à la fac.

Une alternative est exposée : «Une aide financière calculée sur les frais réels engendrés par les menstruations [qui] permettrait aux étudiant·e·s de se fournir en protections en choisissant ce qui leur convient au mieux. Certaines mutuelles ont déjà mis en place un dispositif de remboursement mais 4 étudiant·e·s sur 5 n’ont pas connaissance de cette possibilité», explique Fanny Toussaint, présidente de l’ANESF. De son côté, le gouvernement a annoncé mi-décembre le déblocage de 4 millions d’euros supplémentaires dès 2021, portant à 5 millions d’euros le budget total consacré à la lutte contre la précarité menstruelle. «On attend l’application concrète sur le terrain. Dans le communiqué initial, les étudiantes n’étaient pas comptées dans le fléchage budgétaire», remarque le vice-président. Un manque corrigé par la ministre chargée de l’Egalité, Elisabeth Moreno, lors de ses vœux à la presse en janvier, où les étudiantes ont été citées comme une priorité.

(1) Enquête Ifop de 2017
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