“On mesure ces derniers temps à quel point les années 1990 et 2000 ont été destructrices pour les jeunes femmes sous les feux de la rampe, constate le Washington Post à propos du documentaire Framing Britney Spears, réalisé par Samantha Stark et produit par The New York Times. Disponible depuis le 5 février aux États-Unis (sur FX et Hulu), il est pour l’instant inédit en France.

Le film évoque le placement sous tutelle de l’icône de la pop américaine, depuis sa profonde dépression, qui a commencé en 2007. Une dépendance à son père dénoncée par un grand nombre de fans qui “tentent de démontrer que cette mise sous tutelle est un moyen de mettre le grappin sur la fortune de Britney Spears et de la contrôler”, résume The New York Times.

Le succès du documentaire et l’avalanche de réactions qu’il a suscitée sur les réseaux sociaux comme dans la presse internationale tiennent pourtant moins à de nouvelles révélations sur cette affaire qu’à “sa juste lucidité qui le place clairement dans la catégorie ‘Années 1990, droit d’inventaire’”, remarque le Washington Post.

À travers le récit d’une vie brisée par la célébrité, c’est le procès d’un système médiatique vicieux, destructeur et dramatiquement contemporain que fait la réalisatrice Samantha Stark, à “une époque où l’on parlait des désirs sexuels de jeunes femmes en public, de manière à la fois directe, obscène et méprisante”, écrit le quotidien américainL’occasion pour la presse de faire un mea culpa au nom de l’ensemble de la profession et d’interroger la responsabilité collective dans ce naufrage individuel.

Parallèle avec Amy Winehouse

Révélée à ses dix ans lors d’une remarquable prestation télévisée, élevée au rang de star internationale à seulement 17 ans grâce à son single Baby One More Time, Britney Spears a été exposée très tôt à l’indiscrétion publique et à ses questions lubriques. Comme lorsqu’un journaliste lance à la jeune fille, mineure :Tout le monde ne parle que de ça… vos seins”, ou lorsque d’autres l’interrogent sur sa virginité, “dans une pièce pleine de journalistes”, note le Washington Post :

“Les médias – les tabloïds autant que les journaux plus prestigieux – ont traqué des jeunes femmes comme Britney Spears pour leur arracher des détails intimes, avant de les rabaisser et de les attaquer sur ces détails.”

Dénonçant les mêmes séquences extrêmement dérangeantes, The Guardian esquisse un parallèle avec la chanteuse Amy Winehouse, morte d’une overdose à l’âge de 27 ans. Traquée, comme la Britannique, par les paparazzis, Britney Spears est rapidement apparue “débraillée, le chignon défait, en train de récupérer un repas à emporter devant un mur de caméras”, “paralysée sur un siège passager, mitraillée par des flashs”, ou, en 2007, année de sa dépression, “le crâne rasé, le regard vague, manifestement en plein effondrement psychologique, et toujours sous l’œil des caméras”.

Prise de conscience de la misogynie

Britney Spears a-t-elle grandi, ou est-ce nous qui avons évolué ?” se questionne la journaliste Molly Roberts dans une chronique publiée par le Washington Post :

Ce qui est différent, c’est la façon dont elle est présentée : avec empathie, alors que la relation de la pop star avec le public frôlait encore récemment les limites du sadisme.”

À l’aune d’une prise de conscience globale de la misogynie structurelle de nos sociétés, le chemin chaotique de la chanteuse résonne aujourd’hui de façon cruelle. “Le destin de Britney, comme celui d’une grande partie des stars féminines depuis les années 1950, était tout tracé”, remarque Le Temps. Comparant la chanteuse à Pinocchio, “marionnette archidouée qui croit pouvoir échapper à son destin”, le quotidien suisse fait ce constat glaçant :

“Inconsciemment ou non, on savait que, selon un scénario bien rodé dans le showbiz, la petite nonne fraîche finirait en catin déchue.”

Des mots rudes qui amènent à repenser notre rapport aux femmes et aux personnalités publiques en général.

Dans les jours qui ont suivi la sortie du documentaire, le message “Nous sommes désolés, Britney” a fleuri aux côtés du hashtag #FreeBritney sur les réseaux sociaux. “Une façon, analyse le New York Times, de reconnaître que les intrusions dans la vie privée de la chanteuse, l’obsession au sujet de sa sexualité et l’acharnement à faire le compte de ses erreurs ont été la responsabilité de nombreux d’entre nous.