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« Je suis la seule femme de mon équipe… et ça se passe bien ! »

La parité au travail est en marche, certes, mais le chemin est plus long dans certains secteurs (sciences, ingénierie, informatique, bâtiment, industrie…). Certaines professionnelles travaillant dans des milieux presque exclusivement masculins font l'expérience d'être « la seule femme » dans leur équipe. Certes, ce n'est pas toujours simple, mais elles y trouvent aussi certains avantages. Témoignages.

Clara Lecroisey, Aude Lemordant et Iza Bazin exercent toutes les trois des métiers d'hommes… et s'y plaisent.
Clara Lecroisey, Aude Lemordant et Iza Bazin exercent toutes les trois des métiers d'hommes… et s'y plaisent. (Grégory Lemoine, DR)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 15 févr. 2021 à 07:00Mis à jour le 15 févr. 2021 à 23:34

« Etre la seule femme, cela a toujours été ma référence. » Aude, trente-huit ans, fait partie des 5 % de pilotes de ligne femmes à l'échelle mondiale (Source : Statistica 2018). Elle ne le vit pas mal - au contraire. « On bénéficie d'une forme de respect, admet la pilote, championne du monde de voltige en titre depuis 2014. Au début, quand je me suis retrouvée avec d'autres femmes dans un avion, les hôtesses de l'air, cela m'a fait bizarre. » Elle sourit : « Question d'habitude. »

Comme elle, les femmes qui ont choisi des métiers dits « ​masculins », car historiquement occupés par des hommes, se sont accommodées de ce statut particulier. Développeuse chez Sipios, Clara, vingt-cinq ans, se confie : « Depuis la fin du lycée, j'ai toujours eu cette position minoritaire, que ce soit dans mes études ou en entreprise. » Les statistiques appuient son témoignage, puisque seuls 17 % des programmateurs sont des femmes (Source : Insee 2017 ). D'après elle, cela a été un « atout », valorisé par l'école et les entreprises, les deux étant dans une logique de féminisation. Des perles rares convoitées ? La directrice de l'école 42, Sophie Viger, constate en tout cas que « l'école accueille historiquement moins de filles ». « Mais, en moyenne, leurs salaires sont légèrement plus élevés », confiait-elle lors d'une table ronde organisée par « Les Echos Start » le 5 février.

Aude Lemordant est pilote de ligne à Air France et Clara Lecroisey est développeuse informatique chez Sipios.

Aude Lemordant est pilote de ligne à Air France et Clara Lecroisey est développeuse informatique chez Sipios.DR

« On n'est pas là par hasard »

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« Je ne sais pas si j'ai eu de la chance, mais je n'ai jamais été victime de remarques sexistes », témoigne par ailleurs Clara. « Je me suis toujours sentie écoutée, respectée. En réalité pas traitée différemment par rapport à mes collègues masculins », raconte celle qui a travaillé dans des équipes plutôt jeunes. Depuis la publication de la lettre de Susan Fowler, une ingénieure en poste chez Uber qui dénonçait le harcèlement sexuel d'un de ses supérieurs en 2017, les entreprises tech semblent (enfin) prendre le sujet à bras-le-corps et faire leur introspection. De même dans les écoles de programmation et les filières informatiques, où la publication de l'étude choc réalisée par Social Builder, fin 2017, a fait l'effet d'une bombe : sept étudiantes sur dix disaient avoir été l'objet de sexisme au sens large, allant de la blague au chantage sexuel. Epargnée, Clara témoigne d'un environnement bienveillant : « Dans mon équipe, ils m'ont encouragée à prendre des responsabilités. Ils m'ont dit de foncer et m'ont soutenue. Je manquais d'assurance et de confiance en moi, je n'osais pas. »

D'autres, comme Clara ou Aude, ont aussi trouvé leur compte dans ce statut singulier, voire en ont fait une force. C'est le cas d'Iza, quarante-six ans, une autre pilote d'avions, de collection cette fois. « On n'est pas là par hasard, contrairement aux hommes, alors forcément ça forge le caractère. On sait pourquoi on est arrivées là, donc on ne va pas lâcher. C'est mon expertise qui me donne ma légitimité. » Depuis 2012, elle propose ses services aux cinéastes pour le tournage de films d'époque. « J'adore être un pont entre deux mondes. Sur les plateaux, je fais le lien entre les techniques et les créatifs. » Avant, elle jouait un autre rôle de passeuse : elle était directrice d'une boîte d'informatique et décryptait les mystères du back-office pour les commerciaux. Dans ces « milieux d'hommes » qu'elle ne s'est jamais interdits, Iza Bazin en est persuadée : « Une fois qu'on n'a plus rien à prouver, on apporte vraiment quelque chose en tant que femme. La mixité, quelle qu'elle soit, apporte de la richesse. »

Iza Bazin travaille pour les plateaux de cinéma où il y a des avions de collection et Agathe Giffaut est cheffe d'entreprise dans le BTP.

Iza Bazin travaille pour les plateaux de cinéma où il y a des avions de collection et Agathe Giffaut est cheffe d'entreprise dans le BTP.DR/©Couloir3/Paul Lesourd

L'expertise comme bouclier

Encore faut-il ne pas douter. Depuis quinze ans dans le secteur du bâtiment, Agathe, quarante-quatre ans, revient sur son sentiment initial d'« illégitimité ». « Quand j'ai commencé, les femmes qui bossaient dans le bâtiment n'exerçaient pas de fonctions techniques. » Pour se lancer, seule dans cet univers de béton et d'hommes, elle a voulu se former, être incollable. Précisément, le challenge d'être une des pionnières sur les chantiers lui plaisait. Avec l'idée de monter les échelons, elle s'est accrochée malgré les embûches, en ignorant les remarques sexistes, en pointant les différences salariales, en repoussant son désir d'enfants ou parfois en tapant du poing sur la table.

« Finalement, je me suis rendu compte que je n'avais pas besoin de prouver plus qu'un homme que je méritais ma place. J'ai imposé ce que j'étais, une femme. Et j'ai vu que c'était O.K. Maintenant, je suis en accord avec moi-même. » En 2019, par challenge encore, elle a monté sa boîte, Smartnance, et fait partie des 4 % de femmes dirigeantes dans le secteur de la construction en France (Source : FFB ). Quand elle a lancé son projet entrepreneurial, il y a deux ans, les sous-traitants l'ont suivie, et depuis les commandes pleuvent. « Maintenant, ce sont les plus machos, les plus durs, qui viennent me dire bravo. »

Les parcours de ces femmes forcent le respect. Mais n'est-ce pas parce qu'elles sont exceptionnelles qu'elles sont acceptées ? Marie Buscatto, sociologue, auteure du livre « Sociologies du genre », réédité aux Editions Armand Colin en 2019, répond : « Nous avons dressé un double constat : les femmes qui évoluent dans des milieux d'hommes sont à la fois 'sursélectionnées' et 'sursocialisées'. » Autrement dit, elles sont très bien préparées par leur éducation familiale et scolaire, très entourées et très à l'aise dans ces univers-là. « Les autres ont été évincées par le cumul de mécanismes informels défavorables aux femmes (manque de cooptation, difficulté à s'insérer dans des réseaux sociaux, poids persistant des stéréotypes de genre, etc.), mais elles ne sont pas là pour en parler », rappelle la chercheuse.

« Si ce n'est pas moi, qui le fera ? »

Quel que soit le domaine, toutes souhaitent la féminisation de leurs métiers, voire privilégient les entreprises où les femmes sont présentes dans les sections techniques. C'était un des critères pour Claire, trente-deux ans, ingénieure, quand elle a été embauchée par Back Market. « Aujourd'hui, c'est la première fois dans ma carrière que je me sens traitée comme une développeuse et non comme une femme ! On challenge mon opinion de manière bienveillante sans me renvoyer sans cesse à mon genre. » Pour que d'autres l'imitent, elle a décidé de rejoindre, en parallèle à son job, l'équipe de l' Ada Tech School , qui veut « casser les codes » en féminisant la tech. « Ces métiers sont passionnants, les femmes ont toutes les qualités pour s'y épanouir et elles ne devraient pas s'en priver. »

Claire Chabas est ingénieure chez Back Market et Wendy Da Horta Pereira est mécanicienne structure en alternance à Air France.

Claire Chabas est ingénieure chez Back Market et Wendy Da Horta Pereira est mécanicienne structure en alternance à Air France.DR

Et celles qui ont réussi à se faire une place dans ces sphères, en faisant valoir leurs compétences, veulent y rester, sans pour autant sacrifier leurs convictions. « J'ai l'impression que je dois être la plus transparente possible. Dès qu'il y a un truc qui ne va pas, il faut le dire. Par exemple, dès qu'il y a une remarque déplacée, je ne peux pas passer à côté », témoigne Wendy, vingt-quatre ans, qui s'occupe de réparer la carcasse des avions. Dans la division de mécanique structure où elle évolue, sur une centaine d'ouvriers, elle n'a croisé que deux femmes, plus âgées. « Si ce n'est pas moi qui leur fais remarquer, qui le fera ? Je dois montrer aux autres filles qu'on peut le faire. »

Cette double posture de combattante et de rôle modèle peut fatiguer. Pour leur donner de la force, Clara Moley, tradeuse en matières premières et spécialiste des questions de parité en entreprise, livre un conseil précieux dans le cinquième épisode de son podcast, Règles du jeu , à destination des femmes travaillant « dans un environnement 100 % masculin » : « Choisissez vos batailles […] car il est difficile de concilier intégration sociale et conviction politique. Ne laissez rien passer qui vous choque et laissez passer ce qui vous choque moins, pour vous économiser. Vous ne pouvez pas être sur tous les fronts. Etre une femme ne vous résume pas, à vous de le leur rappeler. »

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Où sont les femmes dans le numérique ?

30 %. C'est la part des femmes dans le secteur du numérique, et principalement dans les fonctions dites « de support » telles que les ressources humaines, l'administration, le marketing ou la communication, d'après les chiffres du site Femmes@numérique.

Si l'on regarde de plus près dans les secteurs techniques, leur part se divise en deux : parmi les techniciens d'études et du développement en informatique, elles sont 16 %, et parmi les techniciens en installation, maintenance, support et services aux utilisateurs en informatique, elles ne sont plus que 14 %.

Si l'on s'intéresse aux métiers informatiques, les femmes sont encore plus rares puisqu'elles ne représentent que 28 % des effectifs, et 11 % dans la cybersécurité. Côté start-up, seulement 7 % sont dirigées par des femmes. Et tous ces chiffres sont en baisse ces dernières années. Pourtant, le numérique est en pénurie de talents puisqu'on estime que 40 % des postes ne sont pas pourvus dans le secteur.

Marion Simon-Rainaud

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