L’Afghanistan reste « le pire pays où naître pour une femme »... |
La crainte du retour des talibans au pouvoir pourrait effacer les timides progrès réalisés pour la condition des femmes en Afghanistan.
Regard déterminé. Débit de mitraillette. Hosna Jalil, la nouvelle ministre des Femmes en Afghanistan, est arrivée fatiguée au rendez-vous. Une dent de sagesse à extraire. Et sans anesthésie. Je voulais éprouver physiquement la sensation de la balle qui me tuera »
, explique-t-elle en ajustant son foulard. Le ton est donné.
À 29 ans, Hosna Jalil ne se fait aucune illusion. Dans Kaboul, la capitale, ville ciblée par des tirs de roquettes et sous la menace d’attentats devenus presque quotidiens, sa vie reste celle d’un funambule. Le soir, je ferme les yeux et je me demande ce que j’ai fait de positif dans ma journée. Le reste, je l’oublie. Mais quand il le faut, je refuse de me taire. Je ne suis pas béni-oui-oui »
, ajoute-t-elle en souriant.
Présent à ses côtés, un général hoche la tête, lève les yeux au ciel. Impossible de la faire taire. Même face aux commandos de l’armée afghane. Économisez vos balles si cela vous permet d’épargner des civils. Prenez le risque de mourir. Ce qui vous différencie des talibans, ce sont vos valeurs »
, leur a-t-elle dit récemment.
La loi des mollahs
Nommée vice-ministre de l’Intérieur à l’âge de 26 ans, une première pour une femme en Afghanistan, et désormais en charge de la condition des femmes, elle mesure les progrès accomplis. Dans les territoires, un peu plus de la moitié du pays, sous le contrôle du gouvernement, la scolarisation des filles est en nette amélioration.
Selon les chiffres d’un rapport de Human Rights Watch, le pourcentage d’adolescentes qui savent lire et écrire est aujourd’hui de 37 % contre 19 % pour les femmes adultes. Mais on est loin de la parité. Car ce taux est près du double, 66 %, pour les garçons et de 49 % pour les hommes adultes. Et l’écart ne cesse de se creuser entre les villes et la campagne où la loi reste celle des mollahs, les chefs religieux, et des mariages forcés.
L’impunité prévaut
À Kaboul, Mazar-I-Sharif, Jallabad, Hérat… Internet et l’accès aux réseaux sociaux chahutent la relation aux clans et font souffler un vent de modernité. Ailleurs dans les zones tenues par les talibans, la charia impose son joug. Les écoles restent inaccessibles pour les filles et la lapidation est pratiquée en cas d’adultère.
Plus largement, les femmes restent victimes de violences. Selon un rapport de la mission des Nations unies en Afghanistan (Manua) et du Haut-commissariat de l’Onu aux droits de l’Homme rendu public en 2020, un crime sur deux concernant des femmes ou des jeunes filles n’arrive jamais à la barre du tribunal en dépit des preuves fournies.
Hosna Jalil confirme. Quand des femmes victimes de violence s’enfuient, les policiers n’ont pas le droit de les arrêter. Ils le font pourtant et les font emprisonner.
Pour Deborah Lyons, la représentante des Nations unies pour l’Afghanistan : C’est l’impunité qui prévaut le plus souvent.
L’Afghanistan reste le pire pays du monde où naître pour une fille »,
soupire Fazia Koofi. Membre de l’équipe chargée de négocier un accord de paix avec les talibans à Doha, elle avoue son inquiétude. Il n’y a aucune femme dans leur délégation. Je ne crois pas qu’ils aient changé.