Publicité

Deb Haaland, une Amérindienne devenue ministre aux Etats-Unis

Les peuples autochtones ont désormais une représentante au sein de l’administration Biden. Cette ancienne alcoolique et mère célibataire a toujours su braver les difficultés

Deb Haaland lors de sa prestation de serment à la Chambre des représentants, au Capitole le 3 janvier 2019. — © Joshua Roberts/Reuters
Deb Haaland lors de sa prestation de serment à la Chambre des représentants, au Capitole le 3 janvier 2019. — © Joshua Roberts/Reuters

Elle a connu les démons de l’alcoolisme et la précarité. Elle a élevé sa fille seule. La voilà désormais avec une étiquette qu’elle mettra plus volontiers en avant, celle de première femme amérindienne à accéder au rang de ministre. Le président, Joe Biden, l’a choisie pour diriger le Département de l’intérieur, une nomination qui vient d'être validée, ce lundi 15 mars, par le Sénat.

Démocrate progressiste, Deb Haaland compte porter haut les revendications des peuples autochtones et notamment faire entendre leur voix sur les questions d’environnement et de changement climatique. Plusieurs célébrités hollywoodiennes se sont rangées derrière elle, dont Alyssa Milano, Julianne Moore, Cher et Jane Fonda.

Lire aussi: Des Amérindiennes à moto pour dénoncer les violences

Fille de militaires

Le ministère qui lui sera confié n’a rien d’alibi. Deb Haaland sera notamment responsable de la gestion des ressources naturelles en terres fédérales, des parcs nationaux, des refuges et des réserves amérindiennes, qui bénéficient souvent d’une semi-autonomie. Plusieurs tribus se battent précisément contre l’exploitation de ressources sur leurs terres.

Or, une des premières mesures prises par Joe Biden a été de mettre fin à la construction très controversée de l’oléoduc Keystone XL, censé acheminer du pétrole du Canada vers le Texas. Un pipeline contre lequel s’érigeaient depuis des années des groupes écologistes, mais aussi des Amérindiens, tant du côté canadien qu’américain: son tracé passait par des territoires autochtones.

Avec Deb Haaland au gouvernement, les Amérindiens auront la meilleure avocate possible. Elle est déterminée à effacer les frustrations imposées pendant des années par l’administration Trump et à faire avancer l’agenda écologique. «Je serai combative pour nous tous, pour notre planète et pour tous nos espaces protégés», a-t-elle déclaré en acceptant la nomination de Joe Biden.

«Cet instant est profond si l’on se souvient qu’un ancien ministre de l’Intérieur a un jour proclamé que son but était, je cite, «de nous civiliser ou de nous exterminer». Je suis un témoignage vivant de l’échec de cette horrible idéologie.» Elle a aussi assuré que ses décisions seraient «fondées sur la science».

Née en Arizona, Deb Haaland, 60 ans, représente le Nouveau-Mexique. Elle fait partie des Laguna Pueblo, la tribu de sa mère, qui a fait carrière au sein de l’armée. Son père, un ancien Marine, a des origines norvégiennes. Il a fait la guerre du Vietnam, a été décoré, et repose désormais en paix au cimetière militaire d’Arlington (Virginie), près de Washington.

Enfant, Deb Haaland a souvent déménagé – elle a fréquenté 13 écoles – en fonction des affectations de ses parents militaires. Mais elle a très vite été initiée aux coutumes de ses ancêtres amérindiens – elle se plaît à dire qu’elle fait partie de la 35e génération – et travaillait notamment dans les champs avec son grand-père ou aidait sa grand-mère à cuisiner, une de ses passions, avec la course à pied. Des grands-parents qui d’ailleurs ont été victimes de la politique d’assimilation: ils ont été retirés de force à leur famille et placés dans des pensionnats pour être «américanisés».

Un ancien ministre de l'Intérieur a un jour proclamé que son but était, je cite, «de nous civiliser ou de nous exterminer». Je suis un témoignage vivant de l'échec de cette horrible idéologie

Après avoir interrompu ses études pour élever sa fille Somah, Deb Haaland s’est lancée dans la confection de sauces. Mais ses Pueblo salsas n’ont pas vraiment eu le succès escompté. Elle connaît alors les années les plus difficiles de sa vie. Ayant du mal à joindre les deux bouts, elle a dû compter sur des amis pour l’héberger et recourir à des bons alimentaires. Mais Deb Haaland ne baisse jamais les bras. Quelques années plus tard, elle présidera la société qui exploitait les deux casinos de la tribu.

En habit traditionnel

Elue à la Chambre des représentants en novembre 2018, elle avait déjà fait sensation en devenant une des deux premières femmes autochtones à accéder au Congrès, avec Sharice Davids (Kansas), une ancienne adepte de sports de combat ouvertement lesbienne. Deb Haaland est très fière de ses racines. Elle s’est présentée en habit traditionnel turquoise, noir et rouge, à sa prestation de serment, entourée notamment de sa fille dont elle est très proche, une activiste qui a fait son coming out.

Lire également: Sharice Davids, d’une arène à l’autre

Très engagée, elle avait notamment travaillé comme bénévole, en 2004, dans l’équipe de campagne de John Kerry, qui visait la Maison-Blanche. Elle collaborera désormais étroitement avec lui, puisqu’il n’est autre que le «Monsieur Climat» de Joe Biden. En 2012, elle avait participé à la campagne de réélection de Barack Obama, puis, dès 2015, a dirigé, pendant deux ans, le Parti démocrate du Nouveau-Mexique.

Sa récente audition au Congrès lui a valu des attaques frontales de la part de sénateurs républicains impliqués dans des sociétés pétrolières et minières. Mais Deb Haaland, favorable à l’expansion des énergies renouvelables, sait très bien se défendre: elle a rappelé que des employés du secteur ont été accusés d’être impliqués dans de sombres histoires de disparitions et de meurtres de femmes indigènes, un phénomène qui prend de l’ampleur aux Etats-Unis.

Avant elle, un seul autre «Amérindien» a eu le privilège de faire partie du gouvernement américain: Charles Curtis, vice-président sous Herbert Hoover, entre 1929 et 1933. Mais, comme il le précisait lui-même, il n’avait qu’un huitième de sang kaw.

Lire enfin: La vie aventureuse du sénateur Curtis («Journal de Genève», 20.06.1928)

Profil

1960  Née le 2 décembre à Winslow, Arizona.

2015  Préside le Parti démocrate du Nouveau-Mexique pendant deux ans.

2018  Est élue à la Chambre des représentants.

2021  Joe Biden la choisit comme ministre de l’Intérieur.

Retrouvez tous les portraits du «Temps»