Le projet de loi sur le statut personnel que le gouvernement égyptien a présenté au Parlement début mars ne cesse de provoquer des débats. Et ce ne sont pas les déclarations du président Abdel Fattah Al-Sissi qui auront contribué à calmer les esprits. À l’occasion de la Fête des mères, le 21 mars, il s’est en effet félicité du rôle joué par l’imam d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayeb, dans la préparation du texte.

Il est vrai que le projet actuel ressemble à ce que ce même Ahmed Al-Tayeb avait proposé au Parlement fin 2018. Raison de plus pour que les organisations de la société civile y voient un affront fait aux droits des femmes.

L’actuelle loi date de l’an 2000. Elle avait été inspirée par Suzanne Moubarak, l’épouse de l’ancien président Hosni Moubarak, et rédigée par le Parti national démocratique, au pouvoir sous la dictature. En dépit de ce contexte, elle avait obtenu le soutien des députés de l’opposition de gauche au Parlement. Les islamistes en revanche avaient combattu ce texte ; ils le décriaient en raison de quelques timides avancées pour les droits des femmes, ces dernières ayant dès lors la possibilité de demander le divorce.

Aujourd’hui, on propose de réformer cette loi. Or force est de constater que l’actuel projet s’obstine à ne pas proposer de dispositif concernant le partage des richesses entre les époux. De même, rien pour obliger le mari à fournir un logement décent à son épouse après le divorce, à moins qu’elle ait à sa charge un fils de moins de 10 ans ou une fille de moins de 12 ans.

Pas de partage équitable en cas de divorce

Manar Mahmoud explique qu’elle a vécu en couple pendant plus de vingt-cinq ans sans avoir eu d’enfant, à cause d’un problème physiologique chez son mari. Elle avait été d’accord pour vivre avec lui en passant ses soirées à s’occuper de la maison. Au cours de la journée, elle travaillait avec lui dans une affaire qu’il avait montée afin d’améliorer leurs revenus, en vue d’une intervention chirurgicale qui devait lui permettre de procréer.

Mais quelle n’a pas été sa surprise quand elle a appris que ce dernier avait pris une deuxième femme. Elle a demandé la séparation, et son mari a immédiatement accepté le divorce. Ce qui fait qu’elle s’est retrouvée dans la rue, sans logement, et sans la moindre compensation pour ses années de travail.

La proposition de loi actuelle – pas plus que le texte proposé par Al-Azhar en 2018 – n’offre pas la moindre chance à Manar Mahmoud, ni à elle ni aux milliers d’autres femmes qui vivent le même drame. Le législateur a d’ailleurs rejeté les propositions d’associations féministes, qui voulaient légiférer sur le partage équitable des biens entre l’homme et la femme et sur l’obligation de fournir un logement à cette dernière, y compris lorsqu’elle n’a pas d’enfant.

Autre point commun au texte d’Al-Azhar de 2018 et au projet de loi actuel : l’absence de solution pour le problème des pensions alimentaires. Ce problème accapare pourtant 70 % des procédures menées par les juges aux affaires familiales.

Bataille pour un pension alimentaire

Abir Saleh, employée, raconte les affres qu’elle éprouve depuis des années à la suite de pareil litige. Elle avait demandé le divorce consécutivement à des violences conjugales. Après un long et douloureux procès, elle avait obtenu gain de cause sur ce point. Mais il lui restait à gagner la bataille pour la pension alimentaire, pour elle et ses enfants. Selon la loi actuelle, cette pension doit s’élever à 25 % des revenus du mari.

Mais selon Abir Saleh, le problème réside moins dans la loi elle-même que dans les nombreuses failles judiciaires qui permettent aux hommes de se soustraire à leurs obligations. Il suffit par exemple que l’homme paie une partie des sommes dues, même minime, pour que le juge sursoie à la procédure.

Selon le Centre pour l’assistance légale aux femmes égyptiennes (Cewla), cette proposition de loi, inspirée par Al-Azhar et encensée par Sissi, constitue un recul d’un siècle. Car, explique le Centre, elle ne respecte pas la constitution égyptienne ni les chartes internationales signées et ratifiées par l’Égypte.

L’avocate Aziza Al-Tawil ajoute que ni l’ancien ni le nouveau texte ne donnent l’autorité à la mère pour décider de l’éducation de l’enfant, et que, en l’absence de père, cette autorité revient non pas à la mère, mais au plus proche membre mâle de la famille du père. Ce qui, souligne Aziza Al-Tawil, montre à quel point on persiste à traiter les femmes comme des personnes “déficientes en matière de raison et de religion”.