« Allez, on sert les poings… On va changer de garde, et vous pouvez crier plus fort ! » Sous les instructions de David, la petite dizaine d’élèves du cours de karaté exécute avec soin les mouvements. Hormis le décor, l’esplanade de la catène du Havre (Seine-Maritime) au lieu des traditionnels tatamis, chamboulé par les conditions sanitaires qui interdisent la pratique du sport en intérieur, rien ne laisse présager aux passants que cette session de sport hebdomadaire revêt un caractère particulier.
L’une ou l’autre demande parfois à décoder les termes un peu techniques des consignes du professeur, et quelques plaisanteries fusent entre deux katas. L’atmosphère est détendue, et toutes semblent en confiance. Toutes, car ce sont uniquement des femmes qui participent à ce cours. Leur point commun ? Elles ont été victimes de violences conjugales.
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Reprendre possession de son corps
Pour elles, le karaté est un moyen « d’apprendre quelques techniques de défense » bien sûr, mais la démarche va bien au-delà. C’est aussi l’occasion de se remettre au sport et « de retrouver des sensations dans notre corps qui ne sont pas celles que quelqu’un d’autre nous fait subir », explique Sophie, qui reconnait en souriant qu’elle n’échappe pas à quelques courbatures après l’effort.
« C’est aussi un moment où l’on se change les idées, complète Marine. J’ai même repris la course, parce que je vois maintenant que j’en suis capable. » Pour elle, le karaté a été le moyen de reprendre confiance en elle, mais aussi en les autres.
Ça permet de rencontrer d'autres personnes qui ont vécu la même chose, de voir que l'on n'est pas toute seule. On a vécu la même histoire.
C’est d’ailleurs quasiment à l’unisson avec Mélody, une autre jeune femme qui a commencé les cours en même temps qu’elle il y a quelques semaines, qu’elle se confie sur tout ce que lui apporte cette nouvelle activité. « On se sentait très seules dans notre situation, confirme son amie. Ici, on échange beaucoup, c’est très humain. » Depuis, elles font leur session de sport ensemble en dehors, et « on sait que quand l’une ne va pas bien ou lâche, on sera là pour se relever. On est comme un petit couple », s’amusent-elle.
« Le collectif porte »
Pour David, qui enseigne la discipline au sein d’Okinawa Karaté Club, c’est l’une des forces de ce sport. « Le collectif porte, souligne-t-il. Cela permet en plus de leur donner un cadre, et de leur montrer, aussi, que des hommes peuvent être bienveillants. »
Autant d’atouts qui renforcent cette action « + zen + forte« , autour de laquelle gravite tout un dispositif d’accompagnement, grâce à de nombreux partenariats notamment avec le réseau Vif. Les participantes peuvent bénéficier d’un suivi par une psychologue – « je lui ai dit des choses que je n’avais jamais dites à personne » souffle Mélody – et par une sexologue. « C’est bien plus que le karaté, résume Sophie. C’est tout un ensemble qui nous permet de déposer des choses. »
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Des amitiés et des projets
Une fois le dernier salut effectué, l’action se poursuit en effet. Tout en rassemblant leurs affaires, les participantes se donnent des nouvelles les unes des autres. « Quand l’une ne vient pas, on essaie de mettre un petit mot pour lui dire ‘on t’attend, on sait ce que c’est si ça ne va pas' », explique Aurélia.
Entre deux séances, les filles échangent sur un groupe privé, s’organisent des moments ensemble. « On se donne des petits coups de main, on se repasse des vêtements pour les enfants par exemple. Ça ressert les liens, et des amitiés se forment. » À tel point qu’un projet de vacances, direction Cabourg, est en cours de préparation.
« Et là les filles, il va falloir s’organiser, prévient David. C’est à vous d’avoir les infos et de discuter entre vous », insiste-t-il. Un projet qui sonne comme un nouveau pas vers l’autonomie, et la reprise en main de leur indépendance.
Dispositif « + zen, + forte », proposé par Okinawa karaté club. Tél. 06 87 26 35 55. Plus de renseignements sur le site Internet de l’association.