Azza Soliman ne décolère pas depuis l’annonce du projet de réforme du code de la famille. Pour cette avocate à la tête du Centre d’assistance juridique pour les femmes égyptiennes (Cewla), le texte soumis par le gouvernement, validé en commission parlementaire fin mars, menace de « renvoyer les Égyptiennes un siècle en arrière ».

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Cible de son courroux, l’article prévoit de renforcer l’autorité de tutelle accordée aux hommes et entrave la liberté des Égyptiennes. Ainsi, si cette proposition est votée par le Parlement, une femme ne pourra se marier sans l’accord d’un tuteur, signataire avec l’époux du contrat de mariage et, de ce fait, habilité à l’annuler. Les chrétiennes ne sont pas épargnées. Le projet prévoit de leur retirer la garde des enfants au profit du père si celui-ci se convertit à l’islam.

Un gage accordé aux religieux

Ce texte est un gage accordé aux religieux, au premier rang desquels l’université Al-Azhar, plus haute référence de l’islam sunnite. « Le droit musulman est l’unique source du code de la famille », a défendu le grand imam cheikh Ahmed Al Tayeb, opposé depuis des années à ce que les affaires familiales soient régies sur le plan civil.

La jurisprudence religieuse sert en effet de base au droit de la famille, en partie codifiée dans une loi de 1920, toujours en vigueur, même si plusieurs fois amendée, notamment sous Anouar el-Sadate, pour encadrer la répudiation, et sous Hosni Moubarak, pour accorder aux Égyptiennes le droit de divorcer.

Ce texte conserve des inégalités profondes entre hommes et femmes, qu’Azza Soliman connaît sur le bout des doigts. « Toutes les décisions concernant un enfant reviennent au père, qu’il s’agisse de l’inscrire à l’école ou de le faire admettre à l’hôpital », résume celle qui a reçu, en 2020, le prix franco-allemand des droits de l’homme et milite pour une nouvelle loi dépourvue d’influence religieuse.

Une société toujours conservatrice

Confrontées à la bureaucratie et au regard conservateur de la société, des centaines d’Égyptiennes ont pris part à une campagne en ligne contre cette réforme. Objectif : raconter les conséquences de ce manque d’autorité légale sur elles-mêmes et leurs enfants. « Les femmes sont traitées comme des génitrices dépourvues d’une citoyenneté entière », fulmine encore Azza Soliman.

Au comptoir bondé d’un service administratif, une jeune femme venue renouveler sa carte d’identité témoigne du refus de sa demande car elle n’est pas accompagnée de son père. Impossible pour une autre de signer elle-même le contrat de location de son appartement… Ces récits du quotidien ont inspiré à Raneem Afifi une série de vignettes de bande dessinée. À la tête d’une plateforme d’information féministe, cette journaliste de 31 ans entend combattre cette loi « désastreuse » en s’adressant en images au plus grand nombre.

« La révolution a ancré en nous l’idée que nous possédons nos corps »

« Les réseaux sociaux sont notre dernier espace de contestation », déplore-t-elle. Depuis près d’un an s’y exprime, dans le sillage du mouvement Me Too, une mobilisation sans précédent contre les violences sexuelles et plus largement contre le conservatisme dont pâtissent les Égyptiennes. « La révolution a ancré en nous l’idée que nous possédons nos corps et les voix des femmes se font aujourd’hui entendre », soutient Raneem Afifi, dix ans après le soulèvement populaire de janvier 2011.

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Contraint de réagir face à la levée de boucliers, le président Abdel-Fattah al-Sissi a promis un débat, sans donner de calendrier. Azza Soliman ne croit pas à un revirement progressiste. Selon elle, « comme ses prédécesseurs, le président agit en conservateur qui instrumentalise la cause des femmes uniquement pour redorer son image à l’étranger ».