Journée de l’hygiène menstruelle : neuf femmes sur dix aimeraient ne plus avoir leurs règles

Malgré leur récente mise en lumière dans l’espace médiatique et politique, les règles, sujet peu évoqué car « tabou », restent encore aujourd’hui un facteur d’exclusion sociale. Deux études viennent appuyer ce constat ce vendredi, journée mondiale de l’hygiène menstruelle.

Si les règles douloureuses touchent 48 % des femmes, ce taux s’élève à 60 % chez les plus jeunes, âgées de 15 à 19 ans, dont 20 % déclarant avoir des règles très douloureuses. (LP/ Philippe de Poulpiquet)
Si les règles douloureuses touchent 48 % des femmes, ce taux s’élève à 60 % chez les plus jeunes, âgées de 15 à 19 ans, dont 20 % déclarant avoir des règles très douloureuses. (LP/ Philippe de Poulpiquet)

    Douleurs, fatigue, mal être sous-estimé par les proches ainsi que par l’entreprise, remarques désobligeantes, freins dans les relations sociales, les activités et les sorties… Voici un affligeant inventaire à la Prévert, non exhaustif, du ressenti des femmes pendant leurs règles. Une liste faite de contraintes, de gêne et de privations qui aboutit à ce résultat saisissant : 87 % d’entre elles souhaiteraient ne plus être menstruées ! « Nous-mêmes avons été surpris par ce taux. Nous ne nous attendions pas à ce qu’il soit aussi fort », reconnaît Louise Jussian, chargée d’études au département « Opinion et Stratégies d’Entreprise » à l’Ifop. Pour la journée mondiale de l’hygiène menstruelle qui se déroule ce vendredi, l’institut de sondage a en effet réalisé une enquête auprès des femmes pour Intimina, sur l’impact des règles dans leur vie. Son titre est éloquent : « Cachez ce sang que je ne saurais voir »*…

    A l’heure où la ministre de l’Enseignement supérieur a décidé de la mise en place de distributeurs de protections hygiéniques dans les universités pour la rentrée 2021, et où les menstruations débarquent doucement dans l’espace médiatique et politique, le chemin semble encore très long à parcourir pour que ce tabou soit enfin levé : « Malgré une récente forme de libération de la parole vis-à-vis des menstruations, une meilleure reconnaissance de maladies gynécologiques comme l’endométriose ou encore le débat public sur la précarité menstruelle (le manque d’accès à des protections par manque de moyens, NDLR), il apparaît que les règles restent encore un facteur d’exclusion sociale parce que cette période est parfaitement invisibilisée. Les femmes doivent serrer les dents et faire comme si de rien n’était », résume Louise Jussian.

    1 femme sur 3 a déjà subi des moqueries

    En effet, la société et l’espace social ne sont pas vraiment bienveillants à ce sujet, voire hostiles à l’égard des femmes réglées : 46 % d’entre elles ont ainsi déjà eu le sentiment que la gêne ou la douleur de leurs règles étaient minimisées par leurs amis hommes, et 42 % par des membres masculins de leur famille. De plus, 1 femme sur 3 a déjà subi des moqueries ou des commentaires acerbes à ce sujet. « Dans l’espace public, vous voyez plus de distributeurs de préservatifs que de protections périodiques. Il est plus accepté d’avoir des relations sexuelles que d’avoir ses règles. Elles sont encore vues comme quelque chose de sale, et du côté des femmes, elles ont honte et peur d’être vulnérables », tranche l’experte de l’Ifop.

    Conséquences : la série de leurs renoncements est longue comme le bras. Environ un tiers d’entre elles ont ainsi déjà évité une sortie entre amis ou un rendez-vous galant (et plus de 8 femmes sur 10, des rapports sexuels), d’aller se baigner (74 %) ou encore de se rendre à un rendez-vous médical (38 %). Dans une autre étude**, diffusée également ce vendredi, d’OpinionWay pour l’association Règles Élémentaires, il est montré que 44 % des femmes ont elles-mêmes manqué le travail ou connaissent quelqu’un l’ayant fait à cause de ses règles. Cette dernière enquête, qui interroge femmes et hommes adultes, pose l’entendu du tabou, notamment en entreprise, où près de 7 salariés et salariées sur 10 estiment que le sujet des menstruations n’y existe pas.

    « Les entreprises ont très peu investi le sujet »

    Selon l’étude de l’Ifop, près d’une femme sur deux souffre de règles douloureuses, et, du côté d’OpinionWay, 20 % d’entre elles (sans compter les mineures) ont été confrontées à la précarité menstruelle. Une situation qui touche près de 2 millions de personnes en France. Deux bonnes raisons qui expliquent ces absences. « Les entreprises ont très peu investi le sujet, contrairement aux pouvoirs publics qui s’y intéressent depuis 2018. Des choses très simples pourraient pourtant être appliquées pour que cet écosystème soit plus bienveillant : sensibilisation des RH, mise à disposition gratuite de protections périodiques… », énumère Tara Heuzé-Sarmini, la présidente-fondatrice de l’association Règles Élémentaires, association qui a œuvré pour que la précarité menstruelle soit prise en compte par les pouvoirs publics comme une problématique de santé publique majeure.

    La récente mise en place d’un congé menstruel dans une entreprise de Montpellier (Hérault) ne va-t-elle pas aider à éveiller l’attention d’autres sociétés sur ce thème ? L’association ne soutient pas une telle initiative. « Nous luttons contre les préjugés associés aux règles. Or, une telle démarche laisse penser qu’il est normal d’avoir mal lorsqu’on les a. Non, ce n’est pas normal. Si c’est le cas, cela doit être pris en charge par le corps médical et, si besoin, donner lieu à un arrêt », rappelle la responsable associative. L’Ifop note aussi « un manque de prise en charge médicale de ces symptômes ». Si les règles douloureuses touchent 48 % des femmes, ce taux s’élève à 60 % chez les plus jeunes, âgées de 15 à 19 ans, dont 20 % déclarant avoir des règles très douloureuses.

    « Combien de fois j’ai entendu, tu as tes règles ou quoi ? »

    « Depuis deux ans, je prends la pilule en continu pour ne plus avoir de règles. C’est radical mais les médecins n’ont pas trouvé de meilleure solution pour soulager mes crampes. Au moins, je n’ai plus mal et c’est plus pratique. Je ne me pose plus de questions sur ce que je peux faire ou non et je n’ai plus peur de l’accident. Bref, je me sens plus libre. Ça a changé ma vie. En contrepartie, je dois bien penser à la prendre tous les soirs », témoigne Éléonore, une étudiante parisienne de 26 ans. « Ce qui me choque, c’est le côté puéril de certains hommes plus âgés qui sont pourtant en couple avec une femme. C’est dire leur méconnaissance du corps de leur compagne. Combien de fois j’ai entendu, lors de réunions un peu tendues, tu as tes règles ou quoi ? Je sais que c’est dit pour me renvoyer à mon corps biologique et balayer mes arguments », souffle Monica, 35 ans cadre dans le marketing.

    Méconnaissance du sujet chez les hommes ? « Vide béant même », tranche Tara Heuzé-Sarmini. « Pourtant, tout le monde a son rôle à jouer pour faire cesser ces remarques et détecter les situations de précarité menstruelle : les parents, l’école, les professionnels de santé, l’entreprise, le gouvernement… », insiste-t-elle avec un constat à la clé. En effet, au moins 47 % des répondantes et répondants n’ont jamais entendu parler des règles avant la puberté, et plus de la moitié n’a pas reçu d’enseignement formel à ce sujet.

    *Étude Ifop pour Intimina réalisée du 17 au 28 avril 2021 auprès d’un échantillon de 1 010 femmes, représentatif de la population féminine française âgée de 15 à 49 ans.

    ** Étude Opinion Way pour Règles Elémentaires réalisée du 20 au 26 avril 2021 auprès d’un échantillon de 1001 femmes et hommes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.