Accompagner les femmes qui souhaitent avorter est une pratique féministe courante en Amérique latine, notamment dans la majorité de ses pays où l’avortement est un acte clandestin. Malgré les disparités de situations, des organisations féministes se sont alliées en un large réseau d’accompagnement à l’avortement, la Red Compañera, relate le quotidien argentin Página 12.
La création du projet a commencé en 2018, avant les récentes avancées dans la région en matière de légalisation de l’interruption volontaire de grossesse et de son accès. Le 20 mai, plus de 200 militantes des associations membres étaient présentes à la conférence en ligne de lancement.
Une initiative qui a du sens sur un territoire où seuls l’Argentine, l’Uruguay, Cuba et deux États mexicains permettent l’avortement en toutes circonstances. Ailleurs, les situations fluctuent. En Équateur, par exemple, malgré la victoire du conservateur Guillermo Lasso à la présidence, l’avortement est maintenant autorisé en cas de viol ou de danger pour la femme enceinte.
La Red Compañera entend alors soutenir la légalisation de l’avortement mais surtout permettre aux associations membres de partager les savoirs pour permettre de limiter les risques inhérents aux avortements clandestins :
Nous voulons que les femmes puissent avorter sans paperasse ni restrictions, qu’elles décident elles-mêmes. Que l’avortement soit légal, libre, sûr et féministe pour toute l’Amérique latine et les Caraïbes.”
Faire circuler les savoirs
En Argentine, jusqu’à la légalisation récente de l’interruption volontaire de grossesse, les Socorristas en Red (“Secouristes en réseau”) faisaient figure de référence dans l’accompagnement des personnes souhaitant avorter.
L’accompagnement et l’information sur les pratiques de l’avortement constituent un exercice de transmission de savoir qui se joue à l’échelle de la région et du monde. La circulation des savoirs entre les pays a ainsi été rappelée par l’une des militantes au moment du lancement de l’organisation, rapporte Página 12 :
Elle souligne le rôle crucial que joua le misoprostol, rendu accessible aux Brésiliennes à partir de la fin des années 1980. ‘Cet accès à l’IVG médicamenteuse a permis aux féministes d’articuler un discours, de diffuser l’information et de proposer un accompagnement.’”
Lancé en 1987, Página 12 est devenu dans les années 1990 le quotidien de gauche le plus important de Buenos Aires. Avec son fondateur le célèbre journaliste Jorge Lanata, il était très critique à l’égard du gouvernement du péroniste libéral Carlos Menem, qui, entre 1989 et 1998, a privatisé une très grande partie des entreprises publiques argentines.
A l’époque percutant et bien informé, il prenait position pour les droits de l’homme, s’attaquait à la corruption et dénonçait l’impunité en ressortant les affaires de l’époque des dictatures.
Son esprit critique et son indépendance ont disparu après le départ de Jorge Lanata et avec l’arrivée au pouvoir des Kirchner, péronistes de gauche (le président Néstor Kirchner de 2003 à 2007 puis son épouse Cristina de 2007 à 2015). Pour ses détracteurs, Página 12 était ainsi devenu un “communiqué de presse” du gouvernement.