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Iran : derrière les combats de MMA féminins, un système crapuleux d’exploitation des combattantes

Le 27 mai, la publication sur Telegram d’une vidéo amateur montrant deux femmes, sans voile, s’affronter dans un combat d’arts martiaux mixtes (MMA), près de Téhéran, a fait vivement réagir. S’il était connu que ce genre de combats féminins existait dans la République islamique, c’est la première fois que des images témoignent de cette pratique interdite. Mais derrière la vidéo se cache une triste réalité : la vaste arnaque dont sont victimes ces combattantes qui rêvent de devenir professionnelles.

A video published on May 27, 2021 on Telegram shows an underground female MMA fight in Iran.
A video published on May 27, 2021 on Telegram shows an underground female MMA fight in Iran. © Observers
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Comme le bodybuilding ou le ballet féminin, le MMA pour les femmes fait partie de cet Iran “underground”, “sous-terrain”, rassemblant un ensemble de pratiques culturelles et sportives officiellement interdites mais qui ont bien lieu dans la République islamique. Depuis plusieurs années, des journalistes, des sportifs, se font l’écho de ces combats entre femmes, sans qu’aucune image n’ait jusqu’ici appuyé leurs propos. C’est chose faite avec cette vidéo d’une minute trente. 

Tournée à Shahriar, une banlieue de Téhéran, selon notre Observateur, elle montre deux femmes pratiquant le MMA sur un ring délimité par des cordes, dans le cadre de ce qui ressemble à une villa. On entend deux voix féminines qui donnent des directives et des conseils aux combattantes, et un homme donnant lui des conseils à l’arbitre, lui indiquant où se placer, quoi regarder. La date à laquelle elle a été tournée n’est pas connue.

A video published on May 27 on Telegram shows an underground female MMA fight in Iran.
A video published on May 27 on Telegram shows an underground female MMA fight in Iran. © Observers

Dans cette vidéo publiée le 27 mai sur Telegram, deux femmes, sans voile, s’adonnent à un combat de MMA. Deux voix féminines semblent être celles de leurs entraîneures respectives, pendant qu’une voix masculine conseille l’arbitre. 

Si les femmes iraniennes n’hésitent pas à briser les plafonds de verre, comme le documentent régulièrement Les Observateurs de France 24, notre Observateur explique que dans le cas du MMA, elles se retrouvent quasi systématiquement victimes d’une fraude organisée.

“Ces femmes sont des victimes”

‌Behzad Majidi est un blogueur spécialiste du sport iranien, basé en Suisse. Il couvre le MMA et notamment les combattants iraniens basés en Iran.

Peut-être qu'au premier coup d'œil, on peut être heureux en voyant cette vidéo, voire fier de constater que des femmes iraniennes essaient de repousser les limites. Mais la situation est bien plus complexe et triste qu’elle n’y paraît. 

Il y a deux niveaux pour les combats MMA, amateur et professionnel. Le combat que l'on voit dans cette vidéo est censé être à un niveau professionnel, car les femmes n'ont pas de protection sur la tête et les jambes [comme c’est le cas lors des combats officiels, NDLR]. Et pourtant, on voit très bien qu’elles luttent bien à un niveau amateur.

Au niveau amateur, il est interdit aux combattants d'utiliser des techniques ou de frapper leur adversaire lorsqu'ils tombent. Mais comme on le voit dans cette vidéo, les filles se frappent lorsqu'elles sont tombées. Il est clair qu'elles n'ont aucune idée de ce qu'elles font et qu’elles  sont débutantes.

Leurs entraîneures sont également débutantes, et ne semblent pas savoir comment entraîner leurs combattantes. Comme on l'entend dans la vidéo, même l'arbitre est une débutante : un homme lui donne même des instructions sur la façon dont elle doit se déplacer, où elle doit regarder et ce qu’elle doit vérifier, et ce, en plein combat.

Ce combat a eu lieu selon mes informations à Shahriar, il y a quelques semaines à peine [des médias locaux iraniens ont confirmé la localisation de cet événement, NDLR].

Notre Observateur connaît bien le milieu du MMA en Iran, et pour lui, il est très probable que les femmes de cette vidéo soient, comme d’autres, les victimes inconscientes d’un système crapuleux :

Les organisateurs de ces combats clandestins sont trois hommes qui ont des liens particuliers avec la fédération iranienne des arts martiaux, qui les rendent intouchables. 

Ce que font ces gens n'a rien à voir avec le sport. Ils n’essaient même pas de faire évoluer les combattantes iraniennes de MMA. Ils gèrent juste une entreprise lucrative en arnaquant ces jeunes femmes.

Ils leur demandent beaucoup d'argent pour les “préparer” à un combat professionnel de MMA. Ils font croire à ces jeunes femmes que si elles gagnent leurs combats à l'étranger, elles peuvent gagner beaucoup d'argent en signant des contrats avec des championnats célèbres comme le championnat russe “ACA”.

Mais en réalité, ils truquent les combats en Iran entre ces filles débutantes et n’en choisissent que quelques-unes. Les filles sélectionnées seront ensuite envoyées dans des pays voisins comme l'Arménie ou la Géorgie pour affronter des combattantes de MMA beaucoup plus aguerries. 

C’est là que la vraie arnaque commence : quiconque veut se battre dans un championnat professionnel doit avoir fait six combats au niveau amateur. Les managers des combattantes de MMA dans des pays comme l'Arménie ou la Géorgie, des pays voisins de l'Iran, cherchent six matchs faciles pour leurs combattantes. Les managers des combattantes iraniennes peuvent ainsi demander de l’argent, en échange de fournir un adversaire facile.  

Alors que leurs adversaires ont suivi un vrai entrainement de MMA, dans des clubs de leur pays, ces pauvres femmes iraniennes, mal entrainées, n’ont jamais vu un vrai combat de leurs yeux. Une fois qu’elles sont sur le ring, elles n’ont aucune chance. 

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Vidéo d'un combat professionnel de MMA en Arménie en 2016 montrant des combattantes iraniennes non entraînées, portant des uniformes de karaté, affrontant des combattantes professionnelles.

Il existe quelques combattants iraniens de MMA célèbres, comme Mad Dog, qui combat sous le drapeau suédois, ou Amir Ali Akbari, sous le drapeau iranien. En Iran, ce sport a longtemps été illégal même pour les hommes, il n’a été reconnu que récemment, le 3 avril dernier, pour les hommes uniquement. 

Behzad Majidi regrette cette situation dont sont victimes les sportives iraniennes :

La fédération iranienne des arts martiaux est directement responsable de cette situation, en refusant aux femmes iraniennes d'avoir un vrai club et une vraie formation. Des clubs organisés, transparents et sous surveillance, comme il en existe pour beaucoup d'autres sports féminins en Iran, cela mettrait fin à ce genre d’arnaques.

Nous n'avons pas de combattantes professionnelles de MMA en Iran. Malheureusement, il y a beaucoup de femmes sur les réseaux sociaux qui prétendent être des combattantes professionnelles, mais elles mentent toutes pour gagner de l'argent. 

Elles vendent des programmes d'exercices, des régimes ou des séances d'entraînement privées en se faisant passer pour des combattantes professionnelles de MMA. Jusqu'à présent, il n'y a qu'une poignée de combattantes iraniennes, qui ont aussi une autre nationalité et combattent sous un autre drapeau comme Pannie Kianzad, qui est l'une des meilleures combattantes de MMA au monde, ou Samin Kamal Beik qui vit en Italie depuis des années. 

Ces jeunes femmes iraniennes, si elles veulent vraiment être combattantes de MMA, doivent quitter l'Iran, s'inscrire dans un vrai club de MMA, bien s'entraîner, et apprendre comment se battre dans un environnement responsable et respectueux.

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