Au Proche et au Moyen-Orient, l’affirmation des LGBTQ+ passe par la culture

Du 5 au 30 juin, l’Institut du monde arabe organise le festival Obstiné.e.s autour de la communauté LGBTQ+ du Proche et Moyen-Orient. Dans des pays en proie à des crises historiques, les militants risquent quotidiennement leur vie.

Les voix qui portent le renouveau du monde arabe s’élèvent de nouveau. À l’occasion des Arabofolies, le festival musical des arts et des idées de l’Institut du monde arabe, de nombreux militants vont retrouver l’occasion de promouvoir les valeurs et les combats qui font la richesse de leur région. Du 5 au 30 juin, ces militants se rejoignent à Paris pour échanger, fêter et mettre en lumière la cause LGBTQ+. Le thème de cette année : Obstiné.e.s . Ceux qui s’attachent, qui luttent, qui promeuvent, ce sont eux, les obstinés du monde arabe. Ils œuvrent quotidiennement pour l’égalité au péril de leur vie.

Selon Chirine El Messiri, responsable des forums de l’Institut du monde arabe, le partage est le mot d’ordre de cet événement : « Nous voulons partager les visions de nos artistes, de nos intervenants pour créer une cohésion entre le public et ces activistes. » La pluridisciplinarité que souhaite promouvoir l’Institut du monde arabe prouve la richesse du Proche et du Moyen-Orient.

De nombreux obstacles

Cette richesse, il faut l’entretenir, la mettre en avant pour ne pas la voir disparaître. Pourtant, bien des obstacles se dressent face à ces défenseurs de l’égalité des droits. L’insécurité en premier lieu. Quand ces femmes et ces hommes risquent quotidiennement leur vie pour promouvoir des combats qui vont à l’encontre de l’autoritarisme patriarcal, l’exil devient un impératif auquel ils ne peuvent échapper.

La situation sanitaire a aggravé la crise de pays comme le Liban, la Syrie ou le Yémen, déjà en proie à des désastres historiques. En avril dernier, plus de 55 % des 4 millions de Libanais vivaient sous le seuil de pauvreté, avec moins de 4 dollars par jour, selon l’ONU. Les pénuries qui frappent le Proche et le Moyen-Orient font de cette région l’une des plus fragilisées au monde. En 2020, au Yémen, plus de 2 millions d’enfants de moins de 5 ans souffraient de malnutrition aiguë, dont près de 358 000 de malnutrition sévère.

Cette instabilité politique, économique et sanitaire laisse penser que le monde arabe connaît une des pires crises sociales qu’il n’ait jamais traversée. Victimes de ce contexte, les militants doivent se démener pour trouver d’autres moyens de promouvoir leur cause. Khalid Abdel-Hadi, Jordanien défendant la cause LGBT, a par exemple fait le choix de fonder My.Kali Magazine, une revue en ligne queer, féministe et intersectionnelle.

Selon Chirine El Messiri, l’organisatrice du forum, Internet peut être vecteur de regroupement entre militants de la cause LGBT dans le monde arabe : « Des espaces sécurisés en ligne permettent à l’internaute gay de se rendre compte qu’il y a d’autres personnes qui sont dans son cas, mais aussi de créer des communautés autour de discussions, de conversations. » Selon certains de ces défenseurs des droits, la France peut jouer un rôle dans cette libéralisation, notamment en faisant pression sur certains gouvernements afin d’assurer l’égalité au Proche et au Moyen-Orient.


Témoignages

« Les droits LGBT sont un sujet encore très sensible au Yémen »

Réfugiée en Suède, Hind Aleryani est écrivaine, journaliste et membre du pacte des femmes yéménites pour la paix et la sécurité de l’ONU Femmes. 

« Les femmes yéménites ont en effet un grand rôle dans la médiation pour la libération des prisonniers entre les parties belligérantes ou dans la résolution des problèmes entre les tribus, mais malheureusement ces parties refusent toujours la présence des femmes lors des négociations de paix. Par ailleurs, le dernier gouvernement qui a été formé ne comptait pas une seule femme dans ses rangs.

La question des personnes LGBTQ+ est un sujet très sensible et en parler a de nombreuses conséquences. La croyance dans les droits des personnes LGBTQ+ est encore très limitée. Par conséquent, il est difficile de trouver des militantes qui croient aux droits des LGBT, et s’il y en a, il leur est difficile de parler.

Le Yémen est un pays qui dépend encore fortement de la communauté internationale, et la communication avec les pays occidentaux se fait par écrit en anglais. Et quand j’ai parlé de la communauté LGBTQ+, les Nations unies ont décidé d’inclure les abus auxquels les personnes LGBTQ + ont été exposées pendant la période de guerre dans leur rapport sur les abus en situation de conflit. C’est la première fois qu’ils le font, et cela nous a permis d’aider les personnes LGBTQ+ à travers une organisation internationale.

La présence d’Entisar Al Hammadi (actrice yéménite arrêtée le 20 février – NDLR) et de ses semblables au Yémen est un grand danger pour le groupe religieux des houthis et le problème est que toute conversation avec eux n’est d’aucune utilité. Ce groupe a commencé à pratiquer la répression contre les jeunes, en particulier les jeunes femmes. Leur approche incite aux combats et à la haine de la vie, ils sont donc hostiles à toute personne liée aux arts et considèrent que ces individus sont financés par des parties externes pour corrompre la société. Il y a quelque temps, je menais une campagne pour faire sortir de prison la minorité religieuse baha’i, condamnée à mort par les houthis. La pression internationale nous a aidés à les faire sortir. Il n’y a plus de place pour la diversité et la différence au Yémen.

Moi aussi, j’ai été mise sur la chaîne de télévision officielle yéménite, et l’on a dit que j’avais des mœurs légères, que j’avais violé la religion et corrompu la société. Bien qu’étant installée à l’étranger, en dehors du Yémen, j’étais menacée et effrayée. »


« Une des graves répercussions de la crise économique au Liban est l’ignorance des besoins des femmes »

Hayat Mirshad est cofondatrice de l’ONG féministe Fe-Male et journaliste libanaise. À 33 ans, la militante progressiste, fait partie des nombreuses femmes libanaises qui ont participé à la révolution d’octobre 2019 et continue de lutter contre le patriarcat.

« Je crois qu’il faut défier ce mythe historique du Liban comme étant plus libéral et progressif que d’autres pays du monde arabe. Une simple analyse de la situation des droits des femmes dans notre pays et des différentes formes de violence et de discrimination auxquelles elles sont sujettes est une preuve suffisante que ce mythe en est un. Les droits et situations des femmes n’ont jamais été considérés comme une priorité pour le régime libanais, et toutes les victoires pour les femmes ont été remportées grâce à la lutte continue et courageuse du mouvement féministe.

Une des graves répercussions de la crise économique au Liban est l’ignorance des besoins des femmes, et donc la prise de décisions et de solutions sans elles. La réponse du gouvernement à la pandémie et à l’explosion de Beyrouth n’a pris en compte ni le genre ni les besoins des femmes et des filles, alors qu’elles sont les plus affectées en situation de conflit ou de crise.

En juillet 2020, 7 hommes de la classe dirigeante ont défini un panier de 300 produits basiques et essentiels en excluant les produits féminins, dont les protections hygiéniques et menstruelles. Ceci a mené à une autre crise : la précarité menstruelle. Une grande proportion des femmes – 66 %, selon le rapport d’avril 2020 de Plan International – n’ont plus eu les moyens d’acheter les protections menstruelles adaptées et se sont tournées vers des solutions de fortune, inadaptées et potentiellement dangereuses pour leur santé.

L’hyperinflation a augmenté de 500 % le prix des produits hygiéniques féminins, laissant ces femmes, notamment les plus pauvres, avec un très faible accès aux produits sanitaires. Ce problème est bien sûr amplifié par la crainte d’une stigmatisation si elles osent élever la voix et demander la considération de ces besoins qui sont les leurs. Les femmes et les filles de ce pays considèrent toujours les règles comme un tabou et n’osent pas en parler publiquement.

En tant que féministe, je m’engage toujours à répondre aux besoins urgents des femmes et des filles, et la précarité menstruelle est une de ces priorités. Nous n’accepterons pas que nos corps restent tabous et servent de champ de bataille et de contrôle au patriarcat. »


« Les combats contre le patriarcat, le capitalisme et l’homophobie sont liés »

Khalid Abdel-Hadi est fondateur et directeur artistique du magazine jordanien LGBT My.Kali diffusé sur le Web.

Jordanien, Palestinien, Kurde et bédouin, Khalid Abdel-Hadi est un artiste visuel et activiste engagé dans la sensibilisation des luttes pour les droits des femmes et LGBT.

« La pop culture du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) est variée, et surtout très espiègle. Ce caractère ingénu de la pop culture peut contribuer à rendre la lutte LGBTQ+ plus visible et plus accessible encore : en évoquant tel ou tel fait pertinent à un temps T, elle constitue une véritable passerelle pour introduire de nouveaux sujets ou attirer de nouveaux publics. Par exemple, les clips vidéo sont devenus un outil important pour promouvoir et défendre des questions ou des phénomènes sociaux ou pour les rejeter, les contester – et de nombreux clips ont mis en scène des personnes non binaires et des personnes non conformes au genre.

My.Kali (magazine créé en 2007 sur le Web – NDLR) s’appuie sur plusieurs aspects de la pop culture, car c’est l’un des outils qui rend les constructions sociales visibles, grâce à la narration, la photographie et une analyse plus critique. La pop culture nous permet également, en tant que publication, de contourner la censure et les campagnes gouvernementales à notre encontre. Même si je suis originaire de Jordanie, My.Kali est un magazine de la région Mena et de la diaspora. Il inclut une diversité de voix et parle à tous ces contextes. Aussi, nous avons été confrontés à la censure en Jordanie, à Gaza et au Qatar.

My.Kali accueille de nombreux écrivains, artistes et rédacteurs car la collaboration est au cœur de notre action. Il y a beaucoup à gagner de ces convergences ; ce qui semble être un problème individuel pourrait en fait être dû plus largement à des systèmes d’oppression et de pouvoir (patriarcaux, hétéronormatifs, politiques, sociétaux, coloniaux). Une fois que l’on comprend comment l’individuel et le collectif fonctionnent ensemble, on peut imaginer les moyens de décomposer ces luttes. Il est également très important de noter que My.Kali ne fait pas converger ces luttes : elles sont déjà, à la base, interconnectées et intersectionnelles. Comment ne pas voir que le colonialisme et le patriarcat, le capitalisme, l’homophobie, l’hétéronormativité et le racisme sont liés ?

Je crois que la pop culture relie de nombreux aspects de la société, car chaque personne en fait l’expérience différemment. C’est comme avoir deux personnes assises à une même terrasse de café qui regardent le même paysage, mais en fait chacune en a sa propre expérience. Avec notre publication, c’est le même processus. L’art est subjectif à certains égards ; il s’adresse aux sens et à l’émotion individuelle, et peut être interprété de multiples façons. On peut le voir dans les œuvres les plus ’’basiques’’ comme dans les plus ’’conceptuelles’’ – il vous fait ressentir et réagir, et peut produire une sorte de conversation. My.Kali est un magazine qui attire naturellement des publics différents. »


« L’État d’Israël entend effacer les expériences homosexuelles palestiniennes »

Omar Khatib est coordinateur des médias et du plaidoyer au sein du mouvement pour les minorités sexuelles pour l’association palestinienne al-Qaws. Habitant à Jérusalem, il milite pour la diversité sexuelle et de genre dans la société palestinienne.

« Le pinkwashing (apporter un soutien factice pour en retirer un bénéfice politique – NDLR) est une stratégie coloniale violente utilisée par Israël. Elle vise à améliorer l’image de l’État colonial dans le monde et à détourner l’attention des crimes qu’il commet contre les Palestiniens en utilisant les droits ou les libertés des homosexuels, en relation avec les questions de pluralisme sexuel et de genre.

Dans le cas d’Israël également, les politiques de pinkwashing visent à isoler les personnes queer (minorités sexuelles – NDLR) de la société palestinienne dans laquelle elles vivent en effaçant les expériences homosexuelles palestiniennes.

Avec sa mentalité coloniale supérieure et ses politiques coloniales violentes, Israël se convainc, ainsi que le monde – et certains Palestiniens –, que la société palestinienne, de par sa nature et son essence, est violente, arriérée et incapable de changer et qu’Israël est le seul protecteur des queers en Palestine. Cela se fait à travers les médias, les productions culturelles et artistiques, et à travers les institutions israéliennes officielles et non officielles, qui, intentionnellement ou non, encouragent les Palestiniens à “fuir” en Israël.

Il est important de noter qu’il est impossible pour un Palestinien d’obtenir le statut de réfugié en Israël pour quelque raison que ce soit. Il y a maintenant près de 6 millions de réfugiés palestiniens dans le monde et Israël tient à empêcher leur retour de la manière la plus sévère. Le “retour” de Palestiniens ou l’obtention du statut de réfugié constitueraient une menace majeure pour Israël et ses lois de purification ethnique.

Supposons pour les besoins de l’argument qu’Israël accepte les libertés sexuelles et protège mieux les droits des personnes queer que les autres pays de la région – bien que ce ne soit pas le cas. Cela n’annule pas l’injustice fondamentale de l’État d’Israël et le fait qu’il soit une entité qui a été établie et qui prospère par la violence et le nettoyage ethnique de tout un peuple, y compris nous en tant que queers.

Je ne pense pas que cette entité criminelle puisse me protéger ou protéger qui que ce soit, qu’il soit queer ou non. Pour être honnête, il est à la fois risible et exaspérant de parler de l’asile vers un État qui est en fait un des plus grands fabricants de réfugiés de l’histoire moderne. »

Porter haut le féminisme et les droits LGBT. Le festival Arabofolies va accueillir cette année de nombreux militants venus du Proche et du Moyen-Orient et des membres des sociétés civiles arabes. À cette occasion, le dimanche 13 juin sera dédié aux luttes à travers la thématique : « Citoyennes ! Les sociétés civiles à l’épreuve ». Deux forums vont se tenir sur le féminisme et la condition LGBT dans le monde arabe. Ils réuniront chanteurs, blogueurs, journalistes, citoyens pour débattre et raconter leur quotidien dans leur pays, leurs expériences et leurs aspirations. Parmi les personnalités invitées, Maha Mohamed, écrivaine et militante transgenre égyptienne, Rania, militante féministe tunisienne de l’association Mawjoudin We Exist, et Alaa Al Eryani, qui a fondé la plateforme Mouvement féministe yéménite. D’autres ateliers de discussion, des concerts ou des pièces de théâtre sont prévus. Plus d’informations sur le site Web de l’Institut du monde arabe : www.imarabe.org

Découvrez l’entretien vidéo réalisé avec Chirine El Messire, responsable des forums de l’Institut du monde arabe :

 

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