WHO RUN THE WORLD ?

Droits reproductifs, technologie, publicité sexiste : juin dans la vie des femmes

Un mois dans la vie des femmesdossier
par Isabelle Hanne, Kim Hullot-Guiot, Juliette Deborde et Constance Daire
publié le 3 juillet 2017 à 7h56

Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Vingt-deuxième épisode : juin 2017. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).

Note : On apprend à l’heure où nous bouclons cette chronique mensuelle la mort de Simone Veil, qui a permis la légalisation du droit à l’avortement en France. Retrouvez ici tous nos articles sur cette grande figure féministe.

Santé

Dans le Missouri, le droit à l’IVG et la contraception encore mis à mal

Les manifestants de la Women’s March, au lendemain de l’investiture de Donald Trump fin janvier, le craignaient : les droits reproductifs régressent aux Etats-Unis. Dernier exemple en date, une proposition de loi soutenue par le gouverneur républicain Eric Greitens qui fait en ce moment la navette entre la Chambre et le Sénat du Missouri. La SB5, ou «Missouri Omnibus Abortion Bill» («omnibus» parce qu’elle est fourre-tout), si elle est votée, pourrait avoir des effets désastreux sur l’accès à la contraception et à l’avortement dans cet Etat du Midwest, qui est déjà le troisième Etat le plus restrictif du pays en la matière.

Pour près de 6 millions d'habitants, le Missouri ne compte qu'une seule clinique pratiquant l'avortement. Les mineures de moins de 18 ans doivent avoir la permission de l'un de leurs parents pour faire pratiquer une IVG. Toutes les femmes qui souhaitent avorter doivent attendre un délai incompressible de soixante-douze heures et deux rendez-vous médicaux avant l'intervention. Lire la suite.

En juin, on a aussi parlé d'une manifestation féministe à Washington (également pour la défense des droits notamment reproductifs des femmes) et du dépistage du cancer du sein, en baisse (et c'est inquiétant).

Genre, sexualités et corps

France : des applis pour changer la vie des femmes

Quand la tech se met au service du corps, ça donne Pill'Oops et Clean Your Cup, deux plateformes innovantes qui partagent un objectif : faciliter le quotidien des femmes. Pill'Oops, la nouvelle appli du Planning familial disponible gratuitement sur mobile, a été développée à Rennes, puis s'est étendue à l'ensemble du territoire début juin. L'application vise à «simplifier» la prise de la pilule, en programmant un rappel quotidien à l'heure de prise du comprimé. Cet outil permet de «renforcer l'autonomie des femmes dans leur sexualité et leur santé sexuelle», décrit à l'AFP Véronique Séhier, coprésidente du mouvement. Grâce à un suivi du cycle, Pill'Oops indique automatiquement les prochaines règles, propose des renseignements sur la pilule prescrite et des conseils adaptés en cas d'oubli. Le numéro vert du Planning familial est aussi mis à disposition pour parler à des professionnels. Utilisée par 41% des Françaises âgées de 15 à 49 ans, la pilule reste la première méthode de contraception. Et près d'un tiers des femmes qui ont recours à l'avortement étaient sous contraception, rappelle le Planning familial.

Deuxième innovation, Clean Your Cup vise quant à elle à démocratiser l'usage de la coupe menstruelle en indiquant aux utilisatrices les toilettes où elles peuvent la nettoyer à l'abri des regards. Depuis février 2017, la plateforme collaborative a recensé plus de 600 toilettes «cupsafe» dans le monde. Avec son sticker qui s'affiche de plus en plus sur les devantures des commerces «cup friendly», le projet autofinancé espère «devenir un label», «dédiaboliser les règles» et «libérer les tabous», a expliqué Fanny Godebarge, sa créatrice, à MadmoiZelle.

En juin, on (enfin, Agnès Giard, sur son blog Les 400 culs) a aussi évoqué le milieu libertin, pas toujours tendre avec les femmes, même s'il est source d'une grande liberté.

Sexisme «ordinaire»

Des marques s’engagent pour des pubs sans stéréotypes

Il était temps. A l'occasion du festival de la publicité Cannes Lions, une vingtaine de grandes marques et d'agences ont décidé de s'unir dans une «Unstereotype Alliance» – une alliance contre les stéréotypes sexistes – en partenariat avec l'ONU Femmes. Leur objectif : casser les clichés véhiculés par la pub. «Chaque jour, des centaines de millions de personnes dans le monde sont exposées aux communications que notre industrie produit. Cette influence peut être utilisée pour renforcer les stéréotypes négatifs», a reconnu Martin Sorrell, patron de WPP, la plus grande agence de communication mondiale.

Cette initiative, dont on attend de voir les effets concrets, a été lancée par le géant Unilever (Dove, Ben & Jerry's, Knorr…) et a déjà été ratifiée par Johnson & Johnson, Procter & Gamble, Microsoft, Mattel, AT&T, Facebook, Google… Elle répond aux résultats d'une étude sur la représentation féminine dans les spots menée par le Geena Davis Institute, un institut de recherche spécialisé sur le genre dans les médias. Rendu public à l'occasion de ce grand raout de la réclame, ce rapport nous apprend entre autres que les hommes parlent sept fois plus que les femmes dans les pubs, et qu'elles sont à 48% plus susceptibles d'apparaître en cuisine. Et à force, ça plombe le chiffre d'affaires, car les femmes ne se reconnaissent pas dans ces clichés. Les grands groupes réunis dans cette alliance anti-stéréotype (dont les comités de direction sont d'ailleurs surtout composés d'hommes) devaient bien trouver un nouveau moyen d'appâter leurs clientes.

On fait une petite pause pour écouter et/ou regarder Christiane Taubira réciter des textes féministes de son choix (on remercie chaudement Télérama pour cette initiative).

Fin de la pause

Violences

France : le harcèlement de rue en ligne de mire du gouvernement


Mettre des amendes aux personnes prises en flagrant délit de harcèlement : c'est l'idée, sur laquelle on a déjà émis nos doutes ici, d'Emmanuel Macron pour en finir avec ce phénomène qui pourrit la vie des femmes et les inquiète lorsqu'elles doivent utiliser l'espace public. La secrétaire d'Etat en charge des Droits des femmes, Marlène Schiappa, qui s'est d'ailleurs illustrée par une improbable visite nocturne dans le quartier de La Chapelle, a donc annoncé travailler avec le ministre de la Justice à la mise en place de ces amendes, dont le montant n'a pas été révélé (elle a néanmoins dit au Guardian qu'il lui semblait plus efficace d'avoir des amendes à 5 000 qu'à 20 euros).

«La réponse au harcèlement de rue s'articule en deux dimensions : la prévention et la réparation. Quand on est victime d'une agression, c'est normal d'avoir accès à des politiques de réparation. Mais un discours de protection des victimes ne suffit pas. Il faut surtout arrêter de créer des agresseurs. On doit proposer un travail de sensibilisation et réfléchir aux conditions qui peuvent favoriser l'agressivité entre hommes et femmes», a commenté pour les Inrocks la géographe Edith Maruéjouls. A suivre, donc.

Dans un autre genre, on notera que, contrairement à Madrid, Paris n'a pas souhaité inclure le «manspreading», habitude des hommes à s'étaler dans les transports en commun, obligeant sans nécessairement le vouloir les femmes à se rapetisser, dans sa campagne contre le harcèlement. S'il n'est pas question de violence, il s'agit pourtant bien de la place que les femmes occupent dans l'espace public – et donc de leur légitimité à se l'approprier et à y être visibles.

En juin, on vous a aussi raconté le procès d'un avocat jugé à Versailles pour des violences sexuelles, on a parlé d'un magistrat convoqué par sa hiérarchie pour avoir utilisé le terme de «devoir conjugal» (welcome back to 1950), et de l'histoire des agressions sexuelles à la télévision, de moins en moins jugées «rigolotes». Et on vous a proposé une grande enquête sur les meurtres de femmes par leurs conjoints, toujours décrits comme des «crimes passionnels».

Droits civiques et libertés

En Afghanistan, une chaîne de télé faite par et pour les femmes

Rédactrices en chef, monteuses, preneuses de son, invitées… Depuis le mois de mai, une chaîne de télévision fabriquée par des femmes et à destination d'un public féminin est diffusée en Afghanistan, une première dans un pays où le paysage médiatique est presque exclusivement masculin. ZanTV (Zan signifie «femme» en persan) possède pour l'instant peu de moyens, mais son créateur, Hamid Sahar, espère conquérir les téléspectatrices, aussi bien à Kaboul que dans les provinces, où les femmes sont moins informées sur leurs droits, explique TV5 Monde. Sur les 70 salariés de la chaîne, seulement une quinzaine sont des hommes, des techniciens venus former de manière temporaire leurs collègues féminines.

La journaliste kurde Gulê Algunerhan salue sur Twitter l'arrivée de la «première télévision féminine en Afghanistan».

L'objectif de la chaîne, qui a pour vocation de traiter de thématiques variées (contraception, violence, politique…), est aussi de montrer aux Afghanes qu'elles peuvent faire le métier qu'elles veulent, dans ce pays où avant la chute du régime des talibans en 2001, les fillettes ne pouvaient pas aller à l'école. «Tout le monde doit voir que les femmes sont capables de travailler et de prendre leur place dans la société», espère Shamela Rasooli, l'une des présentatrices. Mais tout n'est pas encore gagné : d'autres collaboratrices de ZanTV expliquent avoir reçu des menaces, de la part de membres de leur famille, pour qui une femme ne devrait pas travailler à la télévision.

En juin, on s'est aussi interrogées sur le rôle et le statut (pour l'instant officieux) de la «première dame», et on a évoqué la féminisation de l'Assemblée nationale (en nombre de députées, lesquelles ne président néanmoins quasiment aucune commission ou groupe). Bref, 2017 serait l'année des femmes. Enfin, on a tiré le portrait d'Emmanuelle Seyboldt, première femme pasteur à prendre la tête de l'Eglise protestante unie de France.

Travail

Un marché du travail plus égalitaire, du tout bénéf pour l’économie mondiale

5 800 milliards de dollars : c'est, selon un rapport de l'Organisation internationale du travail (OIT) parue en juin, le bénéfice que produirait pour l'économie mondiale une réduction de 25% des disparités femmes-hommes sur le marché du travail d'ici 2025. La France ne serait pas en reste, avec 44,3 milliards d'euros en plus dans ses caisses, selon l'OIT. Insérer davantage de femmes dans le monde du travail générerait d'importantes recettes fiscales, explique l'enquête, relayée par le Monde. Elles pourraient augmenter de 1 500 milliards de dollars, principalement dans les pays émergents et en développement, zones où les femmes travaillent beaucoup moins que les hommes.

Que Bercy ne se réjouisse pas trop vite cependant : le taux d'activité mondial n'était que de 49,4% pour les femmes, contre 76,1% pour les hommes en 2017, bien loin de l'objectif fixé en 2014 par le G20, et cela ne devrait pas s'améliorer en 2018. Les femmes sont toujours moins susceptibles de participer au marché du travail et, une fois qu'elles y accèdent, elles sont davantage au chômage (6,7% contre 5,5% en 2017). Elles sont aussi davantage touchées par le burn-out, nous apprend les Glorieuses.

L'OIT ne fait pas qu'aligner des chiffres déprimants. L'organisation insiste aussi sur la nécessité de mettre l'accent sur l'égalité des rémunérations, de lutter contre les discriminations, la violence et le harcèlement au travail ou de développer des mesures en faveur de l'équilibre travail-famille, afin que la moitié des femmes ne soient plus exclues de la population active au niveau mondial.

Famille, vie privée

France : vers la PMA pour toutes

C'est oui ! Pour le Conseil d'éthique, dont l'avis était fort attendu, la procréation médicalement assistée devrait être ouverte aux femmes célibataires et aux couples de femmes, en France. La décision est d'autant plus importante qu'Emmanuel Macron avait dit attendre son avis avant de se prononcer. Jusqu'ici, la PMA n'est ouverte qu'aux couples hétérosexuels stériles, et les femmes seules ou en couple devaient, sur leurs deniers personnels, se rendre à l'étranger (lire ici notre article) et y débourser de grosses sommes pour bénéficier d'une insémination artificielle. Le gouvernement suivra-t-il l'avis du Comité consultatif national d'éthique – d'autant qu'on trouve parmi les ministres et secrétaires d'Etat quelques opposants au mariage pour tous ? A priori oui, à en croire son porte-parole Christophe Castaner : «Notre objectif est bien de traduire d'un point de vue législatif l'avis du Comité.»

Des militants du collectif Oui oui oui !, lors de la marche des fiertés, le 29 juin 2013, à Paris.Des militants du collectif Oui oui oui !, lors de la marche des fiertés, le 29 juin 2013, à Paris. Photo Lionel Bonaventure. AFP

En juin, on a aussi parlé de la charge mentale, qui caractérise toutes les pensées qui trottent dans la tête des femmes concernant l'organisation de la vie familiale et privée (ai-je bien lancé la machine ? - il faut emmener le petit dernier chez le dentiste - il faut rappeler le plombier - ne pas oublier de signer le chèque de la cantine - samedi, conduire l'aîné à l'anniversaire de son cousin - où est la liste de courses ? etc.), et qui constituent une sorte de travail non reconnu - d'abord par les conjoints.

Education

New York s’engage pour promouvoir l’art féministe

L'éducation – en l'occurrence, l'éducation à l'art – ne s'arrête pas aux portes de l'école, mais peut aussi utiliser la ville comme terrain de jeu. Depuis le 26 juin et pour tout l'été, la ville de New York a consenti à décrocher quelques publicités de ses panneaux d'affichage pour y afficher à la place des œuvres d'art féministes, rapporte le Huffington Post. Appelée «The Future is Female» (le futur est féminin), l'initiative vient de l'organisation caritative SaveArtSpace, et vise à transformer l'espace urbain en galerie à ciel ouvert, autant qu'à promouvoir les artistes féministes, tout en remplaçant une partie des publicités, toujours autant sexistes à en croire les données compilées par Usbek et Rika, par de l'art. «En sélectionnant des travaux pour "The Future is Female", je cherchais des travaux avec un pouvoir immédiat, célébrant TOUTES les femmes. Des femmes qui sont féroces, aimantes, braves et inarrêtables, fortes et parfois fragiles, audacieuses, rêveuses, créatives, des femmes qui sont vulnérables mais toujours présentes, des femmes qui sont puissantes !» a expliqué Marie Tomanova, l'une des cinq curatrices de l'événement.


On vous en a aussi parlé en juin : les Chiliens s'auto-éduquent depuis un moment sur le féminisme, à en croire leurs recherches Google, puisqu'ils sont les premiers à avoir recherché, sur le moteur, le mot «féminazi» en 2004.

Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans Libé

• Le cul de Simone de Beauvoir a encore été censuré. Une photo d'Art Shay montrant la philosophe féministe de dos, nue, était utilisée sur l'affiche d'un spectacle où trois comédiennes lisent des extraits de lettres de Simone de Beauvoir. Mais elle a manifestement été censurée, même si JC Decaux, propriétaire des panneaux, dément. Toute cette histoire (et du coup, l'histoire de la photo en question) est à lire sur le site de France Culture et sur celui du Monde Diplomatique ().

Les Glorieuses, newsletter féministe, s'interroge sur l'aspect «jeu social» de la féminité et s'interroge : jouons-nous à être des femmes ? C'est à lire ici. Autre question posée ce mois-ci par la newsletter : le féminisme est-il à vendre ? C'est à lire là.

• Elle s'appelle Samira Mohamed Abdirahman et elle est la première fromagère de Somalie. Après avoir fui le pays il y a vingt ans à cause de la guerre civile et s'être réfugiée en Suède, cette trentenaire est retournée à Mogadiscio, où elle a ouvert la première crémerie du pays. Le Monde proposait ce mois-ci son portrait.

• En parlant du Monde, le quotidien du soir proposait récemment une interview d'une économiste de l'OFCE qui vantait les bienfaits du congé paternité. Intéressant.

«Les bras, c'est le nouveau décolleté !» proclame Elle en couverture de son dernier numéro. Et ça a beaucoup agacé Renée Greusard, journaliste à Rue89. C'est à lire ici.

• John McEnroe, ancien tennisman, s'est ému dans la presse britannique que les femmes sportives gagnent toujours moins que leurs comparses masculins. C'est à lire ici (en anglais).

• Enfin, on vous parlait l'autre fois de l'importance de l'intersectionnalité, en voici un exemple : les femmes noires, sous la pression de la société qui considère que le teint de porcelaine est forcément plus beau, se blanchissent parfois la peau avec des produits dangereux. Sur le site Into the Chic, Kandia, 30 ans, témoigne.

Pour aller plus loin :

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