Lavage de cerveau et viol collectif : le glaçant témoignage d’une rescapée d’un camp de « rééducation » chinois

VIDEO. Sayragul Sauytbay, citoyenne chinoise d’ethnie kazakhe, a passé quatre mois dans un camp de la région du Xinjiang, en Chine, où des centaines de milliers de personnes, principalement Ouïgours, sont enfermées pour y être « rééduquées ». Elle témoigne.

Sayragul Sauytbay livre son témoignage dans un livre, « Condamnée à l’exil ».

Sayragul Sauytbay livre son témoignage dans un livre, « Condamnée à l’exil ». MONTAGE L'OBS/AFP

« La journée type dans les camps commence par deux heures de cours de chinois et deux heures d’exercices. Puis, une heure de chant à la gloire de Xi Jinping en brandissant sur nos têtes des feuilles où sont inscrites des phrases de propagande à répéter sans cesse. » Dans « Condamnée à l’exil », un livre coécrit avec une journaliste allemande qui vient d’être traduit en français, Sayragul Sauytbay témoigne de l’enfer des camps d’enfermement de la région du Xinjiang, où sont « rééduquées » des centaines de milliers de personnes, principalement des Ouïgours.

Citoyenne chinoise d’ethnie kazakhe, elle a passé quatre mois, entre novembre 2017 et mars 2018, dans l’un des 380 camps construits par les autorités chinoises.

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Regardez son témoignage glaçant dans la vidéo ci-dessous

Il lui est pénible de revivre les atrocités auxquelles elle dit avoir assisté mais Sayragul Sauytbay s’est fait un devoir de témoigner du sort des Ouïgours, Kazakhs et membres d’autres minorités ethniques « détenus dans des camps » en Chine. Elle décrit la surveillance et la violence des gardiens.

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« Dans le camp, il y a des caméras de surveillance partout, et dans les cellules, on vit avec au moins cinq caméras. Le seul endroit où il n’y en a pas, c’est la fameuse chambre noire, celle où ont lieu les tortures. Les gardes battent régulièrement les prisonniers, le but étant toujours de les forcer à assumer des fautes qu’ils n’ont pas commises. On les force à abandonner tout ce qui constitue leur identité. Faute de quoi ils peuvent être torturés, toutes sortes de tortures qui se passent souvent dans la chambre noire où il n’y a pas de caméra. »

Tortures et viols collectifs

Sayragul Sautbay, qui dit être passée par ces « chambres noires » se sent, aujourd’hui encore, « coupable et impuissante ». Elle décrit « les chaînes au mur », les chaises électriques ou « à l’assise jonchée de clous, pointes vers le haut », les dispositifs à électrochoc, matraques, tenailles… De ces « chambres noires » s’échappent des cris, « de ceux qui nous hantent jusqu’à la fin de nos jours », décrit-elle. Le plus « traumatisant » ?

« Devoir assister au viol collectif d’une jeune femme, de 20 ou 21 ans, devant une assemblée de prisonniers », répond-elle. Les réactions sont épiées. Ceux qui détournent le regard sont emmenés par les gardes. « Aucun n’est jamais revenu », écrit-elle.

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Sommée de se taire

Sayragul Sauytbay affirme être passée par un de ces camps, emmenée en pleine nuit en novembre 2017, un sac sur la tête, dans un endroit inconnu où, selon ses évaluations, au moins 2 500 personnes étaient incarcérées.

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« La soi-disante éducation dans les camps, c’est juste une méthode pour mettre en pratique leur génocide. En réalité, ça consiste en un lavage de cerveau, en la négation de notre identité. Le but de cet endoctrinement, c’est de cacher la réalité du monde et faire en sorte que les prisonniers ne voient que le Parti communiste chinois, qu’ils deviennent comme des robots. »

Cette femme qui parle chinois, kazakh et ouïgour, y est chargée de continuer son métier d’enseignante, c’est-à-dire en fait de faire apprendre les décisions du congrès du parti communiste et les us et coutumes (mariages, enterrements…) « des Chinois », les Han, l’ethnie majoritaire, à des détenus par ailleurs contraints de scander des slogans à la gloire du parti communiste chinois et du président Xi Jinping.

Puis, pour une raison qu’elle ne s’explique toujours pas, elle est brusquement ramenée chez elle en mars 2018, sommée de taire ce qu’elle a vu. Elle a toujours le droit d’enseigner mais doit démissionner de ses anciennes fonctions de directrice et sent très vite la pression s’exercer sur elle, femme non divorcée d’un exilé. Son époux et ses enfants ont en effet réussi à rejoindre le Kazakhstan dès 2016, sentant l’étau se resserrer. Elle avait été obligée de rester : en tant que fonctionnaire, son passeport lui avait déjà été confisqué. Elle fuit à son tour, sans passeport, et arrive quasi miraculeusement à passer au Kazakhstan. S’y sentant menacée là-bas aussi, la famille partira ensuite en Suède.

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Sayragul Sauytbay avait été une des premières à dévoiler l’existence de camps au Xinjiang (Nord-Ouest de la Chine), en 2018, du Kazakhstan où elle avait réussi à fuir. Elle y avait mené un combat judiciaire très médiatisé, pour ne pas être extradée vers le puissant voisin chinois, appuyée par une forte mobilisation populaire et d’ONG.

Internement massif

Née dans une yourte, dans une famille alors semi-nomade, cette mère de deux enfants, âgée de 44 ans, livre un terrible récit sur les discriminations visant « toutes les ethnies minoritaires », la sinisation de sa région natale, la bétonisation des pâturages et la dégradation de l’environnement, puis les années de répression, jusqu’à l’internement massif de la population locale, majoritairement musulmane, dénoncé par des experts et des ONG mais nié par Pékin.

Depuis, la quadragénaire, qui autrefois « vivait une vie normale » et « se fondait dans la masse sans enfreindre la moindre règle », s’est faite militante et plaide : « Je souhaite que la France, la Suède, tous les pays, reconnaissent le génocide ! »

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Ses dénonciations ont été qualifiées de mensonges en Chine où des responsables officiels et des médias affirment que Sayragul Sauytbay a en fait quitté le pays après s’être rendue coupable de fraudes.

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Les autorités chinoises affirment avoir mis sur pied des centres de « formation professionnelle » pour éduquer les minorités ethniques et prévenir ainsi leur radicalisation après des attentats qu’elles attribuent à des Ouïghours, principale minorité de cette région, majoritairement musulmane et de langue turcique.

M. La.

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