Alors que les Jeux olympiques de Tokyo doivent s'ouvrir le 23 juillet, cinq femmes, athlètes de haut niveau, révèlent quelles formes peut prendre le sexisme dans leur milieu professionnel. Salaires plus bas, pression à retarder des grossesses et à perdre du poids, difficultés à trouver des sponsors, insultes, remarques blessantes ou mépris sont encore trop présents dans la carrière des femmes sportives. 

Des témoignages cruciaux, qui complètent notre enquête sur le sexisme dans le sport, parue dans le n°827 de Marie Claire, en kiosque le 1er juillet 2021.

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Mélina Robert-Michon, vice-championne du monde du lancer de disque

presse

Mélina Robert-Michon, 42 ans, a été Vice-championne olympique à Rio, détient trois médailles mondiales, et a été sélectionnée pour les J.O. de Tokyo.

"Je ressens des inégalités de traitements entre disciplines sportives, par les sponsors. Par exemple, un équipementier va plutôt choisir une sprinteuse qu’une lanceuse comme ambassadrice, pour valoriser ses produits, parce que c’est une image de la femme, un style de corps plus vendeur. 

Maman de deux petites filles de 11 et 3 ans, Énora et Elyssa, j’ai eu de la chance : chacun de mes entraîneurs a bien accueilli mes grossesses. J’ai tout de même entendu des réflexions qu’on ne demande pas aux pères : 'Ah bon tu arrêtes ta carrière alors?' (Non c’est une parenthèse !) 'C’est sûr que c’est le bon moment ? Tu peux faire des enfants plus tard'. 'Tu crois qu’après, tu vas revenir à ton niveau ?' (Non mon objectif n’est pas de revenir à mon niveau, mon objectif est de progresser !)  Pour moi, un athlète qui n’est pas épanoui dans sa vie personnelle, ne peut pas se sentir bien dans sa vie de sportif. 

On m'a dit : "C’est sûr que c’est le bon moment ? Tu peux faire des enfants plus tard"

Pour ma deuxième, on m'a dit : 'Tu as déjà 38 ans ! Tu crois que ça vaut le coup de faire des efforts pour revenir ?' (Oui d’ailleurs  je vais aux JO !). Mais au contraire, c’est motivant d’être un exemple pour les jeunes sportives, de montrer qu’on peut une mère et aux JO de Tokyo à 42 ans !

Que faire pour lutter contre le sexisme dans le sport ? Faire jouer et entraîner les petits ensemble, garçons et filles. Je vais dans les écoles et les collèges de l’Isère pour transmettre les valeurs du sport. Et il y a encore du boulot. Un jeune m’a demandé : 'Mais vos parents vous ont laissé faire du sport alors que vous êtes une fille ?' Heureusement, toute sa classe l’a repris. 'N’importe quoi !  Pourquoi une fille n’aurait pas le droit de faire du sport ?' Ce sont ces actions-là, les rencontres sur le terrain, qui sont importantes pour toucher les jeunes et les filles en particulier. Et puis c’est voir des femmes en compétition à la télé, qui peut donner aux filles l’envie de venir dans nos disciplines."

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Cléopatre Darleux, championne du monde de handball

Pillaud/Presse

Gardienne de l’équipe de France de handball, Cléopatre Darleux, 31 ans, a été sélectionnée pour les J.O. de Tokyo.

"Dans le handball féminin, l'encadrement et l’environnement sont majoritairement masculins, on est très jeunes soumises à certains comportements ou réflexions déplacées, même si ça reste une minorité certains comportements peuvent mettre mal à l’aise. Mais avec du recul, ce qui nous paraissait normal ou banal comme des remarques sexistes ne passe plus. Exemple, une fille tombe sur les fesses pendant un match, et on entend : 'Ah elle s’en est pris plein le cul !' Ça ne me fait pas du tout rire. Certains se croient tout permis et c'est en réagissant et en mettant la lumière sur ce genre de comportement qu'on arrivera petit à petit à faire changer les choses. 

Côté journaliste, je trouve que certains nous 'infantilisent' un petit peu en tant que femme, qu’on s’adresse à nous différemment. Parfois, on nous demande de nous mettre en situation en train de nous coiffer, de nous faire les ongles pour des reportages… On a parfois l’impression que l’on veut nous enfermer dans des stéréotypes. 

Une fille tombe sur les fesses pendant un match, et on entend : 'Ah elle s’en est pris plein le cul !' Ça ne me fait pas du tout rire.

Généralement, quand les joueuses tombent enceintes, elles se sentent éjectées du 'système'. Un sujet longtemps tabou dans le sport. J’ai eu beaucoup de chance, mon club ne m’a pas abandonnée pendant ma grossesse et a continué à me verser mon salaire, ce qu’il n’était pas obligé de faire à l’époque. Je peux comprendre que c’est un coup dur pour un club quand une joueuse importante tombe enceinte. Mais l’épanouissement personnel des joueuses compte aussi. Après ma grossesse, je suis revenue en super forme au club.

Heureusement, les choses commencent à bouger dans le bon sens. Une première dans le hand féminin français : depuis le 21 mars dernier, nous avons une convention collective pour organiser et garantir des droits aux joueuses, dont ceux liés aux salaires, à la maternité et aux congés. Je suis très fière et contente de cette évolution pour toutes les futures mamans. J’espère que les autres sports suivront !"

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Marie Wattel, championne d’Europe du 100 m papillon

Insidefoto / Contributeur

Marie Wattel, 23 ans, a été sélectionnée pour les J.O. de Tokyo. Elle est championne d’Europe du 100 m papillon.

"Généralement nous nous entraînons ensemble filles et garçons. Les nageurs sont de la génération #MeToo. Je ne ressens pas de sexisme chez eux... En revanche, j’ai déjà entendu des coachs dire : 'Celle-là, elle a un beau cul, je me la ferais bien'. Les hommes, eux, n’ont pas droit à ce genre de réflexion.

On se sent globalement beaucoup plus regardée sous toutes les coutures que les hommes. Certains coachs sont beaucoup plus exigeants sur le poids des nageuses que sur celui des garçons. Par exemple, dès qu’une nageuse prend 500 grammes à un kilogramme, elle peut avoir droit à une réflexion, alors qu’un nageur peut prendre jusqu’à dix kilogrammes, ça passe sans problème. Ce sont toujours les nageuses qui subissent des remarques sur leurs variations de poids. Moi qui ai tendance à prendre un peu de gras, je ressens fortement la pression pour que les nageuses aient un corps le plus athlétique possible, en clair, qu’elles ressemblent à un homme. Et si jamais on sous-performe, si on nage moins vite, pour certains coaches, c’est parce qu’on a pris un kilo. Alors que le gras, c’est aussi ce qui vous fait flotter et quand on pèse un kilo de plus, on ne se sent pas plus lourde dans l’eau !

Dès qu’une nageuse prend 500 grammes à un kilogramme, elle peut avoir droit à une réflexion, alors qu’un nageur peut prendre jusqu’à dix kilogrammes, ça passe sans problème.

Comme je mesure 1,82 m, pour 74 kg, il y a parfois des commentaires sexistes sur mon physique, considéré comme masculin, hors norme pour une femme par certains. Récemment, un homme a écrit 'Celle-là, j’aimerais pas qu’elle m’approche' Ne t’inquiète pas, je n’avais pas l’intention de t’approcher de toute façon !

Côté sponsors, il y a une inégalité de perception de l’image du corps entre nageurs et nageuses. Un nageur, c’est grand, beau, musclé. Une nageuse, c’est souvent une fille baraquée, épaules et dos larges, qui ne représente pas l’idéal de féminité que les annonceurs et les sponsors ont envie de mettre en avant. Moi par exemple, j’ai de gros bras, je suis très musclée, c’est sûr que ça ne joue pas en ma faveur.

En finir avec le sexisme , ça passe d’abord par l’éducation. Quand j’étais petite, je jouais au foot à récré, pas à la dînette. Et je me rappelle avoir déjà entendu des réflexions comme 'Je ne passe plus le ballon tant que la fille, elle ne sort pas du jeu.' Il faudrait aussi qu’on voie plus de natation féminine à la télé. Je remarque aussi que quand je veux revoir le replay d’une compétition, je tombe surtout sur les épreuves masculines. Même sur Olympic Channel."

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Allison Pineau, vice-championne olympique de handball

Emma Laupa

Vice-championne olympique, du monde et d’Europe de handball, Allison Pineau est sélectionnée pour les J.O. de Tokyo.

"Je suis sponsorisée par Butagaz et Adidas, et c’est assez exceptionnel, surtout pour une athlète d’un sport collectif. C’est plus fréquent pour celles qui pratiquent des sports individuels. Être sponsorisée demande un travail de fond. Il faut se faire connaître au-delà des performances, avoir plus de présence dans les médias. Ce n’est pas comme pour les hommes, les contrats ne coulent pas de source malgré les résultats sportifs.

Je suis une femme engagée, je suis connue du grand public. Comme le volleyball et le basketball, le monde du handball a beaucoup évolué ces dernières années. Depuis dix ans, la Ligue s’est professionnalisée et grâce aux efforts des dirigeants, de la Fédération, qui ont poussé les équipes feminines, on a droit à la reconnaissance au même titre que les hommes.

Je n’ai pas vécu directement des propos ou des comportements sexistes, mais j’ai vu d’autres athlètes en souffrir.

Je crois à l’importance des rôles-modèles pour les filles. Ce que je fais sur le terrain mais aussi en dehors, je le fais pour moi, mon sport et les futures générations, les mentalités doivent évoluer. J’ai toujours été fan de sport, j’ai grandi entre Aubervilliers et la Guadeloupe, mes oncles étaient cyclistes, ma mère était aussi une athlète. Adolescente, c’est Marie-Jo Pérec puis Laure Manaudou qui m’ont inspirée. J’ai d’abord été championne de ping pong, j’ai pratiqué l’athlétisme et le basket… un coach, un jour, m’a dit : 'Tu as des grandes mains, tu devrais essayer le handball'. J’ai essayé et je n’ai plus jamais pratiqué un autre sport.

Je n’ai pas vécu directement des propos ou des comportements sexistes, mais j’ai vu d’autres athlètes en souffrir. Il ne faut pas être timide, on a les mêmes performances que les garçons, on ne devrait pas avoir de problème de légitimité. Beaucoup de sportives n’osent pas monter au créneau par peur des représailles, mais sans combat, on n’en serait pas là aujourd’hui.

J’ai repris des études à l’EDHEC Business School pour devenir trader. Il faut que les sportifs et sportives préparent leur reconversion, la jeune génération en a heureusement conscience."

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Major, joueuse et head-coach au Paris Rollergirls*, vice-championne de France

Re´mi Bre´mond

"La première équipe de Roller Derby féminin, c’était à Bordeaux, il y a dix ans. C’est une discipline récente à l’échelle des sports, elle est apparue il y a seulement 15 ans aux États-Unis. Il n’y a aucune professionnelle aujourd’hui même chez les Américaines qui ont pourtant pas mal de sponsoring.

C’est un sport où on accepte n’importe quel type physique et d’histoire, les filles partent de zéro, puis coachent les nouvelles. Des femmes exclues d’autres sports, des personnes homosexuelles ou transgenres, sont accueillies à bras ouverts chez nous.

Le Roller Derby demande de l’agilité ou de la puissance. Cela nécessite une préparation physique intense, des tests techniques et théoriques sont obligatoires, ça peut être assez dangereux même si on se met des taquets sur les rollers, il y a toutes les blessures possibles des sports de la glisse à 20 km heure.

Si on reste sur les stéréotypes et les clichés sexistes, rien ne correspond : c’est un sport vu comme un sport masculin, un sport d’équipe, on dit que les femmes ne s’entendent pas, et un sport extrêmement physique qui exige de l’endurance.

Des femmes exclues d’autres sports, des  personnes homosexuelles ou transgenres, sont accueillies à bras ouverts dans le derby.

Moi, je viens des arts martiaux, du Kendo. J’ai vécu le sexisme dans ce sport très traditionnaliste, et j’ai entendu beaucoup de réflexions homophobes. J’ai appris que des amies étaient lesbiennes après avoir quitté le kendo. Des maîtres venus du Japon refusaient de me parler, d’autres m’ont tabassée, j’ai tout connu parce que je suis une femme. Personne ne dit rien.

Quant aux sponsors, c’est une recherche continuelle. Décathlon a refusé un milliard de fois de faire des choses avec nous. C’est difficile, et quand on a des propositions de sponsoring, on veut pouvoir contrôler car on tombe vite dans les clichés machistes sur le Roller Derby : 'Des meufs en résille qui se tabassent !'. L’homosexualité féminine, c’est acceptable quand c’est sexy et un peu porno… Il faut négocier pour qu'on ne nous colle pas cette image. 

En France aujourd’hui, nous sommes 4000 licenciées, c’est une augmentation rapide malgré les difficultés pour trouver des espaces où s’entrainer : on n'aime pas trop le Roller Derby, on a peur que ça abîme le sol, et puis c’est une équipe de filles bizarres qui s’entraînent le soir. Paris nous propose une salle pourrie à 21h en Seine-Saint-Denis."

*Des ateliers sont mis en place cet été : www.facebook.com/ParisRollerGirls/

Retrouvez notre enquête sur le sexisme dans le sport, parue dans le n°827 de Marie Claire, en kiosque le 1er juillet 2021.

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