Le claquement sec des gants de cuir attire l’attention de quelques passants qui glissent un œil à travers les fenêtres grillagées du centre communautaire de Kariobangi-Nord : à l’intérieur, l’entraînement de boxe rassemble quasi exclusivement des filles et des femmes. Adolescentes ou adultes, elles sont originaires de Kariobangi, Kayole ou Korogocho, des quartiers pauvres de l’est de la capitale kényane, Nairobi. Elles sont réunies par l’association BoxGirls Kenya, qui leur donne accès depuis 2007 à ce sport réputé masculin.
Dans la salle obscure de Kariobangi-Nord, où un Astérix en gants de boxe orne les murs décrépis, toutes ont commencé pour la même raison : se défendre dans leur quartier, où règnent la pauvreté et la loi du plus fort.
"Un jour, je faisais un jogging et un homme sorti de nulle part m’a mis une claque. Alors j’ai voulu m’entraîner pour me venger", explique Sarah Achieng, devenue pro et aujourd’hui âgée de 34 ans.
"Une jeune femme qui grandit dans ces quartiers sans moyen de se défendre, c’est difficile. Beaucoup de gens […] considèrent une fille comme un objet sexuel. Chaque fois qu’ils les voient, ils pensent à les agresser", souligne Emily Juma, 22 ans.
Si apprendre à se défendre est légitime, l’entraîneur Alfred Analo Anjere met régulièrement en garde ses protégées. "S’entraîner pour se venger, ce n’est pas bon", affirme ce rasta à la voix posée, en rappelant qu’un boxeur, ou une boxeuse, ne doit pas se battre hors du ring.
Ces 14 dernières années, elles sont plus de 3000 à y avoir pratiqué la boxe. Si la plupart le font en loisir, certaines en ont fait leur vie, devenant boxeuses professionnelles. Et quelques-unes ont même atteint les Jeux olympiques, comme Elizabeth Andiego en 2012 ou Christine Ongare, connue sous le nom de "Mamushka", qui participera dans quelques jours aux Jeux Olympiques dans la catégorie de 48-51kg.
Christine Ongare a grandi dans les quartiers difficiles de Nairobi, faire de mauvaises rencontres était monnaie courante. Victime d’une mauvaise expérience, elle tombe enceinte à douze ans et doit assumer des conséquences irréversibles. Pour elle, c’est la fin du monde. Elle a honte mais sa mère, devenue la risée du quartier, va élever cet enfant et Christine quitte Nairobi pour retourner à l’école.
Forte, Christine revient de ses études en décidant de ne pas laisser une mauvaise expérience gâcher sa vie, elle décide de ne tirer que le meilleur de ce qu’elle vit. Ongare a prouvé à quel point elle est résiliente avec sa carrière de boxeuse, particulièrement au cours des dernières années. En 2018, elle est devenue la première femme kényane à remporter une médaille aux Jeux du Commonwealth lorsqu’elle a décroché le bronze à la Gold Coast, en Australie. C’était aussi la seule médaille du Kenya en boxe aux Jeux. Deux ans plus tard, elle veut profiter des difficultés avec lesquelles elle a grandi pour se propulser vers une médaille à Tokyo.