SÉRIE- Femmes dans l’ombre

Nadia Khodossevitch-Léger, peintre et militante influente

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Publié le , mis à jour le
Leurs noms ne vous disent peut-être rien. Reléguées dans l’ombre d’un mari, d’un fils ou d’un mentor, ces artistes femmes ont vu leur talent longtemps éclipsé par leur entourage. Mais aujourd’hui, des expositions (re)mettent en lumière leurs œuvres. Intime de Doisneau, Chagall et Aragon, Nadia Khodossevitch-Léger fait le pont entre les avant-gardes russe et française avant de devenir l’épouse de Fernand Léger. À Saint-Tropez, le musée de l’Annonciade lui organise une rétrospective méritée.
Nadia Khodossevitch-Léger, Autoportrait
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Nadia Khodossevitch-Léger, Autoportrait, 1939

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Collection particulière • © ADAGP Paris 2021

Des baigneuses athlétiques et fières de leur corps, des mineurs dans une contre-plongée photographique, l’un portant la pioche et l’autre la lampe : autant de toiles peintes dans un réalisme socialiste pur et digne des plus fameuses images de propagande soviétique. Parmi ces monuments au peuple, Les Constructeurs [ill. ci-dessous], partageant non seulement le titre mais aussi les contrastes puissants et le traitement géométrique des constructions industrielles de l’œuvre de Fernand Léger. Il faut dire que leur auteure n’est autre que l’épouse du cubiste : Nadia Khodossievtich-Léger.

Nadia naît près de Minsk, en Biélorussie, en 1904. L’enfant est marquée par l’histoire mouvementée de son pays, de la chute du Tsar à la Révolution russe d’Octobre 1917. Cultivant son goût du dessin et poussée par sa famille, elle s’inscrit adolescente à l’Académie de Below avant de parfaire sa formation à Smolensk à partir de 1920. Là, à l’École des Arts, elle suit les cours de Wasyslaw Strzeminski. Disciple de Kazimir Malevitch et proche de l’UNOVIS – groupe d’artistes russes très influent dans l’histoire des avant-gardes –, ce dernier diffuse le message suprématiste que le maître enseigne alors à Vitebsk. Nadia Khodossievitch revendique d’ailleurs avoir aussi été l’élève de Malevitch, ce qu’a pourtant contesté le spécialiste de l’Art moderne russe, Jean-Claude Marcadé : l’auteur du Carré blanc sur fond blanc n’a jamais enseigné à Smolensk.

Nadia Khodossevitch-Léger, Les Constructeurs
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Nadia Khodossevitch-Léger, Les Constructeurs, 1953

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Collection particulière • © ADAGP Paris 2021

Peignant déjà des toiles abstraites dans la veine de Malevitch et Lissitzky, Nadia découvre en 1921, dans les pages de la revue de Le Corbusier, L’Esprit nouveau, des reproductions d’œuvres d’un artiste dont elle sous-estime encore l’importance qu’il aura dans son destin : Fernand Léger. Elle est décidée à gagner Paris pour suivre ses cours, après une étape aux Beaux-Arts de Varsovie qui durera quatre ans. Nadia y côtoie les artistes du Blok, un groupe s’inspirant des principes suprématistes, constructivistes et cubistes et fait la rencontre du peintre Stanislaw Grabowski qui devient son premier mari en 1924. Nadia prend le nom de Wanda Graboska.

Nadia Khodossevitch-Léger, Naissance de Mouvement envol
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Nadia Khodossevitch-Léger, Naissance de Mouvement envol, 1922

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Collection particulière • © ADAGP Paris 2021

En 1925, après avoir visité l’Exposition internationale des Arts décoratifs, le couple s’installe à Paris. À 21 ans, la jeune femme accomplit son rêve de s’inscrire à l’Académie moderne, fondée rue Notre-Dame-des-Champs par Fernand Léger et Amédée Ozenfant. Nadia s’imprègne de leur style « puriste ». L’empreinte de Léger ne touche pas seulement à l’art mais aussi à la vie privée : peu après avoir mis au monde une fille qu’elle appelle aussi Wanda, Nadia se sépare de Stanislaw en 1927 et reprend son prénom. Elle prend pour compagnon Fernand Léger.

À Paris, la jeune immigrée est plus qu’intégrée dans les cercles avant-gardistes puisqu’elle les anime également, rejoignant par exemple le groupe Cercle et Carré en 1929. Dans ces années folles, elle sait fédérer les femmes artistes d’origines polonaise et russe et côtoie notamment Sonia Delaunay. C’est avec cette ambition qu’elle fonde en 1929 la revue internationale L’Art contemporain – Sztuka wspolczesna où collaborent Piet Mondrian, Fernand Léger et Jean Arp. Après la fermeture de l’Académie moderne, Léger la nomme directrice adjointe de sa nouvelle Académie de l’art contemporain en 1932, poste qu’elle occupera jusqu’à la mort du peintre.

Outre la peinture, Nadia et Fernand partagent aussi leur engagement politique, très ancré à gauche. En la matière, c’est d’ailleurs la femme qui influence l’homme puisque Nadia rejoint le Parti communiste français dès 1933, douze ans avant Fernand. Elle sera ensuite de tous les grands combats, de la campagne pour le Front populaire en 1936 jusqu’à la Résistance, lorsque Fernand Léger est en exil aux États-Unis. À la Libération, Nadia participe autant à la promotion de la culture soviétique qu’au rapatriement de prisonniers de guerre. C’est aussi à cette période qu’elle fait la rencontre de Picasso, se lie d’amitié avec Louis Aragon et Elsa Triolet et réalise des portraits monumentaux de figures marxistes pour les meetings du PCF. Avec le peintre Georges Bauquier, elle organise la réouverture de l’Atelier Léger avant le retour du peintre en France.

Nadia Khodossevitch-Léger, Baigneuses
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Nadia Khodossevitch-Léger, Baigneuses, 1953

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Collection particulière • © ADAGP Paris 2021

Suivant l’idéal d’un renouveau de l’art public, Nadia encourage son compagnon à investir la sculpture, pour concevoir de vastes bas-reliefs mis en œuvre par le sculpteur Brice à Biot, dans les Alpes-Maritimes. Elle crée aussi de grands panneaux pour le Salon des Arts ménagers. En 1952, le couple se marie enfin, mais c’est en tant que Nadia Petrova qu’elle présente sa première exposition personnelle à la Galerie Bernheim-Jeune en 1953. Installés à Gif-sur-Yvette, les époux continuent de collaborer, Nadia aidant son mari à la réalisation de projets décoratifs tels que la décoration du bâtiment administratif de Gaz de France à Alfortville.

Nadia Khodossevitch-Léger, Marc Chagall
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Nadia Khodossevitch-Léger, Marc Chagall, 1970

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Collection particulière • © ADAGP Paris 2021

Fernand Léger meurt en 1955, laissant des projets inachevés dont Nadia supervise la mise en œuvre. C’est d’ailleurs surtout en tant que gestionnaire de la mémoire de son époux qu’elle sera reconnue. Grâce au bel héritage que lui lègue Fernand, elle dirige avec Georges Bauquier la construction d’un musée Fernand Léger à Biot, confiée à l’architecte André Svetchine. Le lieu est inauguré en 1960 en présence d’amis illustres de Nadia : Pablo Picasso, Marc Chagall et Maurice Thorez. Avec Bauquier, elle verse à l’État français un ensemble de 348 œuvres du peintre en 1967 et deux ans plus tard, sous la décision d’André Malraux, le musée Fernand Léger à Biot devient musée national. La même année, Nadia Léger et Georges Bauquier se marient. Tous deux continueront de promouvoir l’œuvre de Fernand en présentant de grandes expositions à l’international.

Nadia Léger continue aussi de peindre jusqu’à la fin de ses jours en 1982. Elle réalise notamment des portraits de figures allant de Marc Chagall à Youri Gagarine et met en œuvre des mosaïques monumentales reprenant ses compositions suprématistes des années 1920. Touchant à tout, elle crée enfin des bijoux qu’elle présente à l’Espace Cardin à la fin des années 1970. Pratiquement oubliée depuis lors, Nadia sort de l’ombre depuis quelques années, alors que l’éditeur et critique d’art Aymar du Chatenet redécouvre son art dans les années 2010 et lui dédie une vaste monographie en 2019. Et pour enfoncer le clou, les « couleurs de Nadia » sont aujourd’hui célébrées au musée de l’Annonciade.

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Nadia Léger investit Saint-Tropez - Les couleurs de Nadia

Du 3 juillet 2021 au 14 novembre 2021

www.sainttropeztourisme.com

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Nadia Léger, histoire extraordinaire d’une femme de l’ombre

par Aymar du Chatenet

Éd. Imav • 606 p. • 150 €

 

 

Retrouvez dans l’Encyclo : Fernand Léger

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