À Lille, un projet unique en France pour sortir les mineures de la prostitution

Face à la prostitution des mineures, un projet pilote unique en France sera mis en place près de Lille à partir de novembre 2021, avec l'association Solfa. On vous explique tout.

Un dispositif unique en France sera mené dès novembre 2021 dans la métropole lilloise pour les jeunes filles en situation de prostitution.
Un dispositif unique en France sera mené dès novembre 2021 dans la métropole lilloise pour les jeunes filles en situation de prostitution. (©Adobe Stock/Ilustration)
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C’est un sujet de société qui prend de l’ampleur : la prostitution des mineurs. Face à ce défi, un projet pilote unique en France va être mis en place près de Lille (Nord) à partir de novembre 2021, avec une aide d’un million d’euros de l’État.  

Un accueil spécifique de ces jeunes prostituées sera mené dans la métropole lilloise. Explication avec Jean-Yves Jalain, directeur du pôle protection de l’enfance de Solfa.

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Expérience sur trois ans pour lutter contre la prostitution des mineures

En visite à Lille, Adrien Taquet, le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, était de passage le 20 septembre 2021 pour visiter des structures liées à l’aide à l’enfance et annoncer de nouveaux moyens financiers. 

Le département du Nord recevra de l’État 8,5 millions d’euros en 2021 pour la mise en place de projets concrets de prévention et de protection de l’enfance. Ce ne sera que le début, puisque 23 millions d’euros sur trois ans seront prévus au total.

Parmi les projets a été annoncée la création d’un nouveau lieu dédié à l’accompagnement des personnes mineures en situation de prostitution, avec un dispositif expérimenté sur trois ans. Un projet pilote qui pourrait essaimer en France.

L’expérimentation débutera avec 10 jeunes filles volontaires. C’est l’association Solfa, spécialisée dans l’accompagnement des femmes victimes de violence, qui gérera ce nouveau lieu.

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Qui bénéficiera de cette accueil ?

De quoi s’agit-il ? « Il s’agira d’une structure contenante d’accueil », signale Jean-Yves Jalain, directeur du pôle protection de l’enfance de Solfa. Traduction : un lieu « presque » fermé, où les jeunes ne pourront pas aller et venir comme elles veulent. 

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Cela concerne quelles jeunes ? Des filles, mineures, qui toutes pratiquent la prostitution, souvent dès 13 ans. La précision est importante car Solfa gère un foyer dans la métropole lilloise depuis mars 2021 dit à « seuil adapté » (c’est-à-dire à tolérance élevée, sans pré-requis ni obligation d’abandon de la prostitution) avec deux mineures en situation de prostitution et sept en parcours « classique » de l’Aide sociale à l’enfance. 

Forte de cette première expérience, Solfa en a tiré des conclusions pour proposer un nouveau projet plus cadré. Car dans un foyer « à seuil adapté », le risque de « contagion » de la prostitution entre jeunes est élevé. 

Dans le nouveau dispositif, les 10 jeunes filles seront toutes volontaires. Dans un premier temps, ce seront toutes des jeunes issues de l’Aide sociale à l’enfance, la prostitution dans les foyers d’ados placées étant connue. « Mais nous voulons l’ouvrir aussi à d’autres publics », ajoute le directeur.

Y a-t-il plus de prostituées mineures qu'avant ?

Y a-t-il plus de prostituées mineures qu'avant ? "Aucun chiffre n'est vraiment vérifiable sur le sujet", avance Jean-Yves Jalain. Pourtant, entre 2014 et 2020, le nombre de mineures victimes de proxénétisme recensées par l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains a explosé : de 28 en 2014 à 198 en 2020, soit un bon de 600 % !
Carole Étienne, procureure de la République de Lille, confiait récemment : "En 2020, sur les dossiers de proxénétisme que nous avons eu à traiter, on compte 33 victimes et 22 étaient mineures". 
Ce qui est sûr, c'est qu'il n'existait jusqu'alors aucun lieu spécifique dédié à ce public fragile. Une lacune que le Nord veut combler.

Scolarisation

L’abandon de la pratique prostitutionnelle sera une condition de fait puisque les jeunes seront éloignées de leurs lieux habituels et dans un espace cadré. « Elles signeront un contrat de séjour, le lieu dispose aussi d’une charte. »

Car le programme est cadré, beaucoup plus que dans un foyer « à seuil adapté » : obligation de scolarisation, dans un établissement scolaire ou avec un enseignant à domicile pour celles qui sont déscolarisées depuis longtemps. Un soutien scolaire sera assuré par des bénévoles en plus des heures de cours.

L’équipe encadrante sera formée d’une quinzaine de personnes : éducateurs, mais aussi deux psychologues et deux techniciens agricoles.

Des activités variées

Des activités seront également au programme autour de plusieurs pôles : maraîchage, élevage, culture et sport. 

Des « activités à fort impact » seront organisées, comme des séjours de plusieurs jours en petit groupe. « Par exemple, une croisière voile de cinq jours permettra de se confronter à d’autres univers, à trouver des nouvelles ressources en soi et dans le groupe. Cela développe la solidarité, la confiance dans le groupe entre jeunes et avec les encadrants. »

Un suivi psychologique et médical sera aussi nécessaire. « Côté santé, l’état de ces jeunes est alarmant. Elles ont beaucoup d’addictions, cela demande un suivi précis. »

Un bilan est fait au bout d’un mois pour valider la suite du séjour. Ce dernier durera six mois, renouvelables.

Le lieu exact de ce foyer novateur n’est pas connu, pour assurer la sécurité des jeunes filles et de l’équipe. Ce dont on est sûr, c’est que ce sera un lieu éloigné des centres-villes, et de Lille.

Recréer du lien, mais…

Et après ? « Les jeunes filles retournent en foyer ou en famille, ou encore dans un de nos appartements pour les jeunes majeures. Nous en aurons quatre, avec un accompagnement éducatif, un éducateur passera régulièrement voir la jeune fille pour faire le point ».

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enquete prostitution

Jean-Yves Jalain le sait : la sortie de la prostitution ne sera pas facile, même avec un tel programme. « On travaillera surtout sur le fait de recréer du lien avec ces jeunes qui n’ont plus confiance dans les adultes. Notre ambition est de leur donner les moyens de se projeter sur autre chose que la prostitution. Nous allons les ouvrir à d’autres réalités. Qu’elles se disent : ‘Je peux vivre autrement’… La plupart de ces jeunes ne se reconnaissent d’ailleurs pas dans le terme prostitution… »

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