"Quand on m’a dit qu’on allait m’amputer, j’ai pensé "c’est fini, je ne serai plus jamais plus une femme " Mais bien sûr qu’on reste une femme, même avec un ou des membres en moins !" Secrétaire médicale à Genay près de Lyon, Sandrine est l’une des femmes amputées qui défileront fièrement en robe couture le 29 septembre, pendant la fashion week, dans le majestueux cadre de l’hôtel des Invalides à Paris. Tout comme Mélanie, 25 ans, amputée de ses quatre membres à la suite d’une méningite.

Alors en 4e année d’études dentaires, elle a dû abandonner son projet professionnel, réapprendre à se servir de ses mains, ouvrir une bouteille. Aujourd’hui, elle est en master de santé publique en informatique, et a retenté, le patinage artistique, qu’elle pratiquait à haut niveau. 

Amputée ne signifie pas diminuée

"Un défilé hors du commun pour changer le regard sur la féminité des femmes amputées, et magnifier leur différence", s’enthousiasme Fabienne Sava Pelosse, la présidente de l’association Objectif Sport Adapté (OSA), qui porte ce projet inspirant.

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Coach sportif, elle est elle-même amputée depuis 14 années, après avoir longtemps souffert d’un cancer des os. "Je savais, depuis mes 13 ans, que je serais amputée un jour. Alors quand c’est arrivé, j’avais déjà fait le deuil de ma jambe. Aujourd’hui, je veux aider les "nouvelles" pour qu’elles se réaproprient et mettent en valeur leur féminité. Elles peuvent être élégantes, stylées, tout en étant amputées, handicapées, appareillées. C’est aussi le message que je fais passer dans les écoles, les universités etc."

Fabienne Sava Pelosse a créé le projet Phoenix Alternative Models - Phoenix, comme cet oiseau mythologique qui renaît de ses cendres - avec Romuald Desandré, photographe et documentariste dont le frère est amputé, et le neveu de Romuald, le jeune styliste italien Fabio Porliod.

"J’avais montré à Romuald des photos de moi en robe de soirée avec mes prothèses, poursuit Fabienne Sava Pelosse. De fil en aiguille a germé le pari fou de faire défiler des femmes amputées pendant la fashion week, avec une collection de pièces créées spécialement pour elles par Fabio." Le styliste italien Antonio Vietri, qui a créé les premières chaussures en or 24 carats au monde, apporte aussi son savoir-faire pour illuminer le catwalk.

Ce n’est certes pas mon métier d’organiser des défilés de mode, mais nous souhaitons célébrer les femmes amputées.

Pour cette 2e édition, (la première a eu lieu en 2019), une vingtaine de femmes amputées, des Françaises et des Italiennes, joueront donc les mannequins d’un jour, accueillies par le gouverneur des Invalides, le Général Christophe de Saint-Chamas.

Le lieu n‘a pas été choisi au hasard. Discret, méconnu, l’Institut national des Invalides (INI), soigne en effet les grands blessés de guerre, d’anciens résistants et victimes des attentats – Charlie, Le Bataclan, Nice- et aussi des blessés civils. Surnommé "l'hôpital des gueules cassées", il accueille des hommes et des femmes dont la vie a basculé en un jour : une rescapée d’Auschwitz, qui a côtoyé Simone Weil, ou encore Edith, qui a eu une jambe arrachée par le camion de l'attentat terroriste de Nice (1). Ce joyau de l‘architecture française, qui fête ses 350 ans, a déjà accueilli des défilés de mode : Nina Ricci, Celine

Un autre trio s’est investi à fond dans le défilé de Phoenix Alternative Model. Elizabeth Spencer a elle-même perdu une jambe en décembre 2019, au large du sultanat d’Oman. "J’étais en mer avec des amis sur un canoé, et un bateau qui ne nous avait pas vus m’est passé dessus. " Pour sa rééducation, Elizabeth passe un an et demi dans le magnifique cadre historique de l’INI. "Mon amie Noémie de Yturbe, qui a elle-même deux proches handicapés, me visitait souvent. Pendant le confinement, nous avons passé beaucoup de temps au foyer, le cœur de l’hôpital, un endroit essentiel pour nous, la grande famille des pensionnaires de l’INI. Le gouverneur nous a parlé de Phoenix Alternative Models. Enthousiasmées, nous avons imaginé avec lui d’organiser, le 29 septembre, un deuxième passage du défilé à guichets fermés, devant un parterre de donateurs cette fois, pour collecter des fonds et financer la rénovation du foyer. Vraiment vétuste, ringard, l’endroit en a bien besoin et c’est important pour le moral des pensionnaires" Le nom de l’événement, "Victoire on défile ! " claque comme un joyeux défi, pour montrer qu’amputée ne signifie pas diminuée. "Ce n’est certes pas mon métier d’organiser des défilés de mode, mais nous souhaitons célébrer les femmes amputées, appareillées, leur beauté, leur courage, sublimer leur handicap", explique Christophe de Saint-Chamas. 

Le mouvement body-positive a fait émerger le besoin de représenter tous les types de corps. Mais celui des "estropiées" est rarement montré, hors des jeux paralympiques, et de la figure iconique d’Amélie Le fur, athlète multimédaillée. Certes, un film comme De rouille et d’os, avec Marion Cotillard en dresseuse d’orque amputée des deux jambes, démontrait sans complaisance, ni voyeurisme, qu’on est toujours une femme, même avec des moignons. Mais le corps féminin amputé est rarement associé à la mode, et à des messages de respect et de liberté.

Marier une pièce couture et une prothèse ne présente pas de difficulté

Pour le styliste Fabio Porliod, marier une pièce couture et une prothèse, ne présente pas de difficulté. « Ce n’est pas différent d’un vêtement destiné à une valide. J’aime soutenir des causes qui me tiennent à cœur. Mon parti pris est de ne pas cacher la prothèse mais au contraire de la mettre en évidence. Et même d’en jouer comme d’un accessoire, qu’on peut habiller, avec des dentelles par exemple." "Les robes de Fabio nous embellissent sans nous cacher, renchérit Fabienne Pelosse. Ainsi pas de manches longues pour une amputée du bras. Si on nous voit belles, on ne verra pas ce que nous avons en moins."

"Un jour dans la rue, on m’a dit "Très joli, votre bijou de jambe ! La personne n’a pas vu que c’était une prothèse", sourit Sandrine. Secrétaire médicale, 44 ans, elle a été amputée il y a deux ans après une récidive d’ostéosarcome, un cancer des os qu’on lui a diagnostiqué la première fois à 25 ans. "Les stéréotypes sur les femmes amputées doivent changer. Mes prothèses, j’en joue. Ce ne sont pas juste des tubes. Je leur ajoute des covers, un habillage esthétique pour apporter des couleurs, des motifs. J’en ai une avec des arabesques dorées, une autre métallisée vieux rose." Pour elle, porter jupe et talons de 7 cm, c’est une autre façon de gagner la bataille pour la visibilité des femmes amputées, et pour qu’elles mènent une vie normale, sans s’autocensurer. "Nous avons la chance d’être toujours en vie, de nous en être sorties au prix d’un ou plusieurs membres. C’est tellement triste de se cacher. " Sandrine s’est remise au rock dès sa sortie du centre de rééducation, pour apprivoiser son nouveau corps. Et s’initie à la bachata.

De son côté, Clémence, qui se sent belle en robe, veut faire passer un message inspirant à toutes les femmes amputées : "Ce membre manquant, c’est une force finalement car aujourd’hui, J’ose plus de choses. L’amputation a été un séisme sur ma vie, oui, mais après, j’ai rebondi. Nous voir défiler peut redonner espoir et confiance en elles aux femmes amputées, handicapées". Médiathécaire, elle a perdu sa jambe droite en dix jours à 29 ans, après un accident cardio-vasculaire, une artère bouchée. Elle porte une prothèse équipée d’un genou électronique. "Je le branche tous les soirs comme un portable."

Des mères pensent à ce qu’elles veulent transmettre à leurs enfants. Comme Agathe, 42 ans, qui veut donner à ses filles, "une chouette image (d’elle) d’élégance, et de légèreté". "Mêmes amputées, nous ne renonçons pas aux paillettes ». Agathe avait 27 ans quand elle a été percutée par un camion alors qu’elle patientait à un feu rouge sur son vélo au Canada. "Je veux qu’on me regarde comme une femme, pas seulement à travers mes prothèses." Championne d’aviron, -elle a participé aux jeux paralympiques de Londres en 2012. "Un défilé de mode, c’est un nouveau challenge". Et mettre des étoiles dans les yeux du public, ça fait plus de bien que la pitié, les "ohlala la pauvre, avec ce qui lui est arrivé…"

Les stéréotypes sur les femmes amputées doivent changer.

On peut plonger dans le quotidien des pensionnaires de l’hôpital des Invalides, découvrir leurs témoignages bouleversants grâce au livre de la journaliste Anne-Marie Grué-Gélinet. Elle a été elle-même hospitalisée plusieurs mois à l’INI suite à un accident. S’accrocher à une étoile. Editions du Cherche Midi.

Pour soutenir Phoenix alternative models : https://www.facebook.com/PhoenixAlternativeModels/
S’adresser au gouverneur des Invalides : gi.courrier.fct@intradef.gouv.fr
Dons en ligne : https://www.helloasso.com/associations/le-foyer-des-invalides/formulaires/1