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Société Les femmes premières touchées par les déserts médicaux en milieu rural

Manque de gynécologues, fermeture des maternités... Un rapport d'information du Sénat sur les inégalités en milieu rural souligne que les femmes sont plus touchées que les hommes par la désertification médicale. Ce qui peut avoir de lourdes conséquences, notamment en matière de dépistage de cancers.
Juliette MITOYEN - 19 oct. 2021 à 16:45 | mis à jour le 19 oct. 2021 à 17:00 - Temps de lecture :
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Photo d'illustration Pixabay CC
Photo d'illustration Pixabay CC

En France, les territoires ruraux représentent 88% des communes et regroupent 33% de la population française. Soit onze millions de femmes qui subissent bien plus que les hommes les conséquences de cet éloignement des zones urbaines, selon un rapport d’information de la délégation aux droits des femmes du Sénat publié jeudi et intitulé "Femmes et ruralité : pour en finir avec les zones blanches de l’égalité".

Le document passe en revue les multiples facteurs d'inégalités femmes/hommes qui s'exercent dans les territoires ruraux.

Parmi les déséquilibres les plus flagrants : l'accès aux soins dans les déserts médicaux. Si ces derniers concernent également les hommes, les femmes subissent encore plus la désertification via un manque de gynécologues ou la fermeture des maternités en milieu rural.

Capture d'écran rapport sénatorial "Femmes et ruralité" / Chiffres de l'Insee (2017)
Capture d'écran rapport sénatorial "Femmes et ruralité" / Chiffres de l'Insee (2017)

Treize départements dépourvus de gynécologues

"La désertification médicale touche tout particulièrement les gynécologues", souligne le rapport du Sénat. En France, on trouve environ 2,6 gynécologues pour 100.000 femmes en âge de consulter. Or, dans 77 départements sur 101, surtout en zones rurales, cette densité est inférieure.

Et les chiffres sont criants : 13 départements français sont entièrement dépourvus de médecins qualifiés en gynécologie médicale, pointent le Sénat. Il s'agit des Hautes-Alpes, du Cher, de la Corrèze, de la Creuse, du Loir-et-Cher, de la Haute-Marne, de la Meuse, de la Nièvre, du Haut-Rhin, des Deux-Sèvres, de l'Yonne, du Territoire de Belfort et de Mayotte.

Cette désertification peut peser lourd sur la santé des femmes, qu'il s'agisse de difficulté pour avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ou d'une impossibilité de se faire dépister pour un cancer, par exemple.

Ces difficultés d’accès aux soins conduisent parfois au renoncement, par certaines femmes en milieu rural,à  un suivi gynécologique, pourtant primordial en matière de prévention, et à de faibles taux de dépistage des cancers féminins.

Rapport sénatorial "Femmes et ruralité"

Dans les territoires concernés par un désert médical de gynécologues, les femmes se tournent donc vers les sages-femmes pour assurer ce suivi si important. Le Sénat souligne d'ailleurs le rôle primordial que jouent ces professionnelles habilitées à pratiquer un certain nombre d'actes (frottis, poses de dispositifs intra-utérins, ...) et à prescrire des médicaments ou des contraceptions à l'instar des gynécologues.

Encore et toujours moins de maternités...

C'est une statistique nationale : en 40 ans, entre 1975 et 2014, le nombre de maternités a été divisé par trois passant de 1369 établissements à 518.

"Si les fermetures de maternités sont un facteur supplémentaire d’inégalité dans l’accès aux soins, elles ne sont pas nécessairement dues à l’absence de gynécologues-obstétriciens. La décision peut être liée à la difficulté d’embaucher des anesthésistes-réanimateurs ou d’autres professionnels de santé ou à un nombre d’accouchements jugé insuffisant pour assurer la sécurité des patientes", d'après le rapport.

Ces fermetures ont particulièrement touché les zones rurales. Entre 2000 et 2017, le nombre de femmes en âge de procréer résidant respectivement à plus de 30 minutes d'une maternité a augmenté d'un tiers, et celui de femmes vivant à plus de 45 minutes d'une maternité a grimpé de 40%, soulignait une étude de la Drees en juillet 2021.

Source : Léa GUYOT/EBRA

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En janvier 2021, le professeur Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), a rappelé à la délégation du Sénat lors de sa table ronde qu’une "règle s’est dégagée, pour faire en sorte qu’aucune femme ne se trouve à plus de quarante-cinq minutes, en hiver, d’un lieu d’accouchement sécurisé".

Selon lui, "ce principe est respecté dans 98% des cas, mais il existe encore des déserts médicaux où les femmes demeurent très éloignées d’un lieu d’accouchement", notamment dans les Alpes.

La Drees a précisé dans son étude que les maternités qui avaient fermé étaient en général les plus petites. A l'inverse, celles qui étaient restées ouvertes étaient celles qui réalisent "davantage d’accouchements et se sont spécialisées dans la prise en charge des grossesses à risque, comme les maternités de type 3.

Des risques supplémentaires en cas de grossesse à risque

Malgré tout, dans onze départements, tous à dominante rurale, toutes les femmes en âge de procréer résident aujourd'hui à plus de 45 minutes d’une maternité de type 3, ce qui génère des risques supplémentaires en cas de grossesse à risque... Il s'agit des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes, de l'Aveyron, du Cantal, de la Corse-du-Sud, de la Haute-Corse, de l'Indre, du Lot, du Lot-et-Garonne, de la Lozère et de la Nièvre.

Ces inégalités de répartition des maternités sont par ailleurs exacerbées par des inégalités de mobilité. Alors que huit femmes sur 10 possèdent le permis de conduire en zone rurale (contre 9 hommes sur 10), certaines renoncent à des consultations en gynécologie notamment en raison d'une impossibilité de se déplacer.

Emploi, mobilité, violences conjugales... De multiples inégalités femmes / hommes en milieu rural

L'accès aux soins est loin d'être la seule inégalité femmes/hommes exacerbé par la vie en milieu rural. Le rapport du Sénat en pointe de nombreuses autres :

  • Inégalités professionnelles : les femmes des territoires ruraux sont plus touchées par le chômage que leurs homologues masculins en raison d'un marché de l'emploi proposant majoritairement des métiers masculinisés (bâtiment, agriculture, ...). Elles sont plus souvent concernées par des emplois plus précaires que les hommes, ou des emplois à temps partiel dans des secteurs moins bien payés (comme le social et le soin à la personne).
  • Inégalités de mobilité : alors que la voiture représente 80% des déplacements en zone rurale, seules 80% des femmes ont le permis, contre 90% des hommes. Or, la possession du permis de conduire est souvent un critère d'embauche ou un moyen d'accéder à des soins. Par ailleurs, en zones rurales, la desserte en transports en communs est limitée.
  • Une "double peine" pour les femmes victimes de violences conjugales : les femmes rurales sont sous-représentées dans les sollicitations des dispositifs d'appel à l'aide (26%) alors qu'elles comptent pour 50% des victimes de violences conjugales et 47% des féminicides.
  • Inégalités en politique : la part de femmes reste encore faible dans les conseils municipaux des communes rurales, bien plus qu'en ville. Les femmes représentent environ 36% des conseillers municipaux en "zone rurale très éloignée et très peu dense" contre 49% en zone urbaine très dense.

Consultations en itinérance et implantation de jeunes médecins

"La santé des femmes n’est pas considérée comme une priorité dans les territoires ruraux", déplore ainsi auprès du Parisien Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes au Sénat et sénatrice centriste de Vendée. Le rapport du Sénat fait ainsi plusieurs propositions pour améliorer le suivi médical des femmes en zones peu densément peuplées.

Les sénateurs proposent par exemple de généraliser à tous les départements ruraux les solutions de médecine itinérante, comme des bus ou camions proposant aux femmes des dépistages complets portant sur les cancers du sein, du col de l’utérus et du côlon mais aussi des consultations gynécologiques.

Le rapport préconise également d’autoriser les sages-femmes à recourir aux télé-consultations et, plus généralement, de revaloriser le statut de cette profession pour encourager les femmes à se tourner vers elles.

Le rapport souhaite aussi "agir sur les conditions d’installation des médecins dans les zones rurales les moins dotées en offre de soins (...) en instaurant un plafonnement du nombre d’installations par département ou l’obligation, pour les médecins jeunes, de trois années d’exercice dans les départements sous-dotés en offre de soins".

Concernant tous les types d'inégalités rencontrées par les femmes en milieu rural (emploi, mobilité...), la mission d’information du Sénat liste en tout 70 propositions et appelle le gouvernement à prendre en compte ces enjeux.

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