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Pour avoir pris son congé paternité, le rugbyman Timoci Nagusa cible de critiques rétrogrades

Le joueur de Grenoble, en Pro D2, a annoncé vouloir profiter de son congé paternité pour s’occuper de son deuxième enfant. Une décision mal comprise dans le milieu du rugby, qui estime que Timoci Nagusa «met son équipe en difficulté».
par LIBERATION
publié le 22 octobre 2021 à 16h39

Une décision simple et un discours sain, mais qui provoque d’étonnants remous dans un milieu qui semble parfois ignorer le droit du travail. Le rugbyman fidjien de 34 ans Timoci Nagusa, qui évolue aujourd’hui en Pro D2 à Grenoble, a décidé de profiter de son congé paternité après la naissance de son deuxième enfant, au grand dam de certains observateurs du ballon ovale.

«J’ai saisi cette opportunité pour aider ma femme et m’occuper du bébé. C’est mon devoir. Je n’ai fait que saisir l’opportunité offerte par le gouvernement français à tous les pères, et j’en suis très reconnaissant», explique librement l’ancien joueur de Montpellier à France Info. Problème : l’initiative prise par «Jim» Nagusa est une exception et ne fait pas du tout l’unanimité.

«Pas la vie de monsieur et madame Tout-le-Monde»

Interrogé sur Canal+ durant l’émission Late Rugby Club, l’ancien ouvreur du LOU et de Grenoble Jonathan Wisniewski se dit «un peu sans voix». «Quand on est rugbyman pro, on a une vie qui est quand même déconnectée de la réalité. On évolue dans des univers privilégiés, on gagne bien sa vie, on vous lave votre linge, on prépare vos repas… On n’a pas la vie de monsieur et madame Tout-le-Monde, donc ça me paraît compliqué de vouloir bénéficier des mêmes privilèges (sic) que ceux qui gagnent moins bien leur vie et en ont vraiment besoin.»

Le manager de Montpellier et ancien sélectionneur de l’équipe de France Philippe Saint-André s’inquiète quant à lui, dans les colonnes de Midi Olympique, pour la condition physique du Fidjien. «Il lui faudra pratiquement sept à huit semaines de plus pour se réathlétiser et revenir. Donc, en gros, le joueur n’est pas absent qu’un mois mais trois mois.» «Le joueur laisse son équipe dans la difficulté, poursuit-il. […] N’oublions pas qu’il est bien payé pour vivre sa passion. Jim Nagusa est certainement dans son bon droit mais bon…»

Des points de vue auxquels Nagusa semble ne pas donner une grande importance. «J’entends les commentaires des gens. Je comprends qu’ils pensent que si je ne m’entraîne pas je vais mettre du temps à revenir, à être prêt. Mais je n’expose pas ma vie privée. Je ne poste rien sur les réseaux sociaux quand je fais ma muscu ou ma course à pied. Les gens pensent ce qu’ils veulent ; moi, je sais ce que je fais pour rester en forme malgré mon arrêt. Je suis rugbyman professionnel depuis quinze ans. Je fais mes affaires parce que je sais que quand je reviendrai, je serai prêt.»

Une nouvelle loi depuis le mois de juillet

On a tendance à l’oublier mais les joueurs de rugby professionnels sont des salariés comme les autres. Et comme tous les salariés, ils ont des droits. Or, le droit a récemment évolué en matière de congés après la naissance d’un enfant. La mesure a d’ailleurs été présentée par l’Elysée comme un «enjeu de santé publique» et de «lutte contre les inégalités de destin». Le congé paternité est alors passé de onze jours à vingt-cinq, en plus des trois jours prévus par le code du travail immédiatement à la naissance de l’enfant.

Avant le décret, ce congé devait être pris d’une traite et devait débuter dans un délai de quatre mois à compter de l’arrivée du nouveau-né. Désormais, il peut être fractionné «en deux périodes d’une durée minimale de cinq jours chacune», et le parent a jusqu’aux 6 mois de son enfant pour le poser. En cas de naissances multiples, le congé est porté à trente-deux jours, «fractionnable en trois périodes d’au moins cinq jours chacune», également dans les six mois suivant la naissance des enfants. Le décret établit également que le salarié doit informer son employeur de la date prévisionnelle de l’accouchement «au moins un mois avant celle-ci». Si la naissance intervient avant la date du terme de la grossesse et que, par conséquent, le salarié souhaite débuter sa période de congé plus tôt que prévu, il est tenu d’en informer «sans délai» son employeur.

Des évolutions que Timoci Nagusa a bien notées, sans vouloir donner de leçon à quiconque. «La loi offre un congé paternité de vingt-huit jours, mais libre à chacun de le prendre ou non. Pour moi, la famille, c’est plus important que tout dans la vie. Ma femme est très importante. Quand je partirai en déplacement avec l’équipe, quand je serai à l’entraînement, elle restera auprès de mes enfants. Prendre cette décision, c’est aussi une manière de la protéger.»

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